L’Aventurier
6.8
L’Aventurier

Morceau de Indochine (1982)

Parfois le week-end je quitte le temps d'une soirée la réalité de notre monde réel pour la dimension parallèle des fêtes de famille à la campagne.


Il est alors samedi soir, tout là-haut, dans l'immensité du ciel le soleil se couche, tout là-bas, au milieu de ce petit parking les néons s'allument dans la salle des fêtes.


J'arrive dans la voiture parentale, on se gare, la porte de la salle s'ouvre, une de ces musiques disco-pop-variété-pop-disco des années 80' que l'on n'entend jamais ailleurs que dans ces fêtes de famille à la campagne résonne au milieu des lumières pastels, on franchit le seuil et nous voilà dans cette nouvelle galaxie où l'on est pas encore loin d'être les derniers arrivées. Ce n’est pas bien grave, on ne sera pas bien loin d'être les derniers à repartir non plus.


Alors une longue procession se met en place, une procession qui longe les longues tables, qui slalome au milieu des chaises, qui passe par le bar et sa soupe de champagne, par le buffet et ses amuses gueules, qui est faîte de "Bonjour", de "Comment ça va?", de "Mais tu as encore grandit", de "Ah mais qu'est-ce qu'il est grand", de "Ouai ch'couz" et de "Cha va min piti?" ironique, qui repasse par le bar et le buffet, qui essaie de mettre des noms sur les visages et puis des visages sur le noms, qui s'interrompt par la rencontre d'un membre de la famille au lien de parenté flou comme le nom des trois quarts des invités ci-présent, que je n'ai pas vue depuis mes 9 ans, qui me parle pendant un bon trois-quarts d'heure de sa jeunesse dans la marine, de son retour à 20 ans, de sa maison à 21 ans, de son mariage à 22 et de l'enfant à 23, et toi tu as quel âge maintenant? 25 ans, déjà dit-donc, et qu'est-ce que ça donne? là j'ai acheté deux des derniers Brautigan qu'il me manquait, une plante verte et une affiche de Vanishing Point pour mon 25 mètres carré en location... ah oui c'était une autre époque... ah oui c'est une autre époque... pendant ce temps-là 3 coupes ont gravité autour de mes mains, nouveau petit passage au bar, tient la pompe à bière est ouverte, et on continue cet incroyable défilé de mains serrées; des moites, des molles, des charnues, des rêches, des craquelées et puis même des douces à l’occasion, des mains, des mains et puis encore des mains et puis aussi des bises, pleins de bises, avec du fond de teint et du rouge à lèvre qui vous reste sur les joues, une odeur de parfum qui vous pique les narines et un début de mal de dos à force de se baisser s'en arrêt et enfin on peut finalement aller s'installer, mais d'abord, une petit bière, et puis tient, voilà déjà que j'en suis à la quatrième.


Je suis maintenant assis en face de mon cousin et de sa compagne, entre mon autre cousin et un ami d'enfance du cousin qui est en face, un ami d'enfance du cousin qui est en face avec lequel j'avais failli me battre quand je n’étais encore qu’enfant car sa petite copine était séduit par mon charme de la ville avec mes jolis yeux bleus, mon franc parlé exotique et mon survêt' du foot rouge et noir avec numéro six floqué sur le cœur et j'étais, il faut bien le dire, assez séduit par son charme de la campagne, avec ses jolis yeux vert, son franc parlé exotique et son corset de la danse avec décolleté sur poitrine naissante nourrie au lait fermier et au prune du jardin. Mais aujourd'hui, tout semble être oublié et on scelle une nouvelle franche amitié d'une soirée par une jolie farandole de vin, du blanc et puis du rouge et puis de rosé aussi parce c'est printemps, ou alors peut-être veut-il simplement se venger par la boisson? Toujours est-il que mon verre est automatiquement rempli à chaque fois qu'il est vide, je n'ai même pratiquement pas le temps de savourer ma dernière gorgé que déjà plein d'autre gorgés sont venues lui tenir compagnie.


Une entrée, un plat, un madison, une chenille et l'inévitable vrai héro de tous les temps, l'aventurier contre tout guerrier, Bob Morane en personne qui déboulent perchés sur leurs décibels et le volume sonore des conversations a doublé, le teins moyens du visage s'en est allé se badigeonner de rouge, les fumeurs fument dehors, les danseurs dansent sur la piste, les enfants courent au milieu des tables, parfois un jeune parent passe en courant derrière quelque instant plus tard sans jamais réussir à le rattraper parce qu'il coure au milieu des tables comme un adulte et pas comme un enfant, les bouteilles de vin continuent leur charmante chorégraphie, s'en reviennent et s'en repartent, s’en reviennent et s’en repartent, encore et encore à l'infini, comme la houle des vagues sur le sable fin de Stella Plage, parfois elle sont même accompagnés d'une bouteille d'eau et puis alors arrive le trou normand, sa petite coupelle, sa fraîche boule glacée à la poire, sa vodka ou son Cointreau, selon les préférences, les accointances et autre convictions personnelles.


Le dessert est maintenant passé, cousin n°1 chante sur la table, cousin n°2 renverse son vin rouge, tante n°1 converse passionnément avec tante n°2 et cousine n°1, 2 et 3, l'oncle regarde dans le vide ce ravissant mur marron-moutarde qui a étrangement la même couleur que le Ricard dosé façon cowboy des calanques qu'il a sur la table, les enfants sont rentrés dormir chez les grands-parents, les parents sont revenus sans les enfants et maintenant les parents font les grands enfants, mon verre vide est de nouveau plein, des quarantenaires tirant vers la soixantaine que tu ne vois qu’une à deux fois l'an se trémoussent en agitant leur chemise en l'air sur "tomber la chemise", les amis d'enfance de la cousine avec qui tu faisais du basket quand tu avais sept ans les rejoignent, les digeos se pointent avec leur jolie robe, leur caractère enjoué et leurs étreintes passionnées et on va tous revenir demain dimanche parce qu'il reste encore le double de nourriture et puis aussi pas mal de boissons et puis la salle ne va pas se débarrasser toute seule.


Et voilà que le réveil sonne et même qu'il est lundi matin, la gorge sèche du marathonien après l'effort, un ventre vallonné en hommage au plus beau moment de l'enduro du Touquet, un relent de vin rouge et de bière pendant le petit déjeuner, un renvoi de terrine de lièvre après le brossage de dent et me revoilà de retour dans ce bon vieux monde réel.


Même qu’aujourd’hui il faut aller travailler.

Clode
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le 24 avr. 2016

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