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American Horror Story ne possède pas un titre sexy et quand on m’en a parlé, j’étais un peu réticent. Puis j’ai mis le premier épisode. Quelques heures plus tard, je bouclais le sixième, il était 3h du matin et je me disais que quand même il fallait que je dorme…

Commençons par le commencement. La première scène. Clap.

Nous sommes devant une maison de type victorien, grande, massive, une petite tour et son chapeau pointu. Elle est abandonnée, envahit par les plantes grimpantes. Devant la maison, de dos, une petite fille en robe jaune qui semble l’observer avec attention.

Un caillou est lancé, un carreau éclate. Deux ados, jumeaux, rouquins, avec une démarche de petits cons et des battes entrent sur la propriété et se dirigent vers la porte. La gamine se retourne, elle a le visage d’une trisomique. Elle les interpelle et leur dit qu’ils vont mourir s’ils entrent. Ils se moquent d’elle, la menacent et rentrent quand même. La gamine se met à répéter, comme une litanie, « Vous allez le regretter ». Evidemment, on la croit vu que ce sont deux petits cons et sans âme de surcroit (ben oui, ils sont roux).

Les deux ados rentrent donc et s’amusent à casser plein de trucs qui restent des derniers propriétaires, le lustre, la télé, des chaises, des carreaux… Puis ils trouvent une trappe qui mène au sous-sol (non on ne le sent pas venir hein ?). Le sous-sol est sombre, ils y trouvent de nombreuses étagères sur lesquels sont entreposés des bocaux remplis de formols et de… choses. Un fœtus. Humain. Un bras de bébé. Une tête, de bébé. On sent la tension monter chez les deux couillons. L’un d’eux fait son malin et casse un des bocaux. Mais ils en profitent quand même pour s’éloigner et tombent sur un cadavre de rat. Encore frais. Une petite flaque de sang près de tête. Gros plan. Le rat a été égorgé, proprement. « Cool » dit l’un des jumeaux. De notre côté, nous voyons une ombre passer en arrière-plan.

Les deux décident de remonter, la caméra suit le premier. Il arrive à l’escalier qui mène à la trappe, commence à monter, se retourne, voit que son frère n’est plus là. Il l’appelle. Pas de réponse. Il redescend, l’appelle à nouveau pas de réponse. Il retourne un peu sur ses pas et tombe nez à nez avec son frangin. Il se tient la gorge d’où s’échappent des flots de sang. Il ne peut pas parler, tombe sur ses genoux. Une forme surgit dans le dos du jumeau encore entier. L’éclat d’une lame. Sa gorge est tranchée.

Fin de la scène.

Ailleurs, une femme est chez son gynécologue. Puis, elle rentre chez elle. Ce n’est pas la maison de la première scène. Un bruit à l’étage, elle prend peur. Appelle la police. Monte l’escalier. Arrive devant une porte, l’ouvre. On ne voit pas l’ »intérieur. Elle, si. Elle semble choquée, s’effondrer. Elle repart vers l’escalier en pleurant. On entend un cri venant de la pièce « Non Viviane, non, non ». Un homme sort de la pièce. Il est nu. Paniqué. On comprend qu’elle vient de voir une scène adultère.

Générique.

Une petite musique au son très faible, lancinante, orientée sur une ligne de basse. Les images s’enchainent rapidement, presqu’avec un effet un stroboscopique, des photos de bébés plus ou moins ‘normaux’, puis un bruit strident, industriel, mécanique, mélangé avec le crissement d’un vinyle, comme un cri, le bruit s’arrête, les images continuent, des bocaux du sous-sol, un homme avec un sécateur, le sécateur plein de sang, à nouveau ce bruit strident. Et ceci pendant une minute.

Fin du générique.


Si ce n’est le générique, un tantinet perturbant, le début est donc assez classique et le pitch aussi. Une famille (deux parents, une ado) décide de changer de vie et de s’installer à l’autre bout des Etats-Unis dans une grande bâtisse de style victorien dans le but de se reconstruire après la liaison adultère du mari.

On se retrouve donc dans une ambiance Amityville slash Shining. Mais pas que. Parce que bon, tenir 12 épisodes de 40 minutes sur du Amityville, faudrait quand même s’accrocher. Non, il y a aussi du Kingdom dedans (la série « horrifique » de Lars Von Trier) et même du Desperate Housewives (mais pas l’humour hein, ce n’est pas une série drôle).


Mais surtout, il y a la psychologie des personnages. Elle est fouillée, complexe, bien écrite et bien malmenée. Les auteurs connaissent leur travail. Rien d’étonnant ils sont à l’origine de Nip/Tuck et on retrouve des similitudes avec la saison 1 de cette dernière, notamment le fait qu’ils arrivent à mettre les personnages dans des situations difficiles, très difficiles et qu’ils se refusent à résoudre les problèmes d’un coup de baguette magique et de bons sentiments « allez c’est pas grave, on est tous copains ». Pas de manichéisme non plus, il n’y a jamais de bonne solution à un problème et on navigue en permanence dans des zones de gris.


Et ça ne s’arrête pas là. Non content de servir des personnages denses, les auteurs se refusent en plus de tomber dans la facilité de la mise en scène. Pas de zoom avec des « violonsquifontpeur » si cher à tous les mécréants du suspense (dois-je encore citer JJ Abrams ?), pas de musique lancinante qui monte pour finir sur un « oh mais lol c’est le chat du voisin qui a casser le vase », pas de « on va tirer sur la corde jusqu’à temps qu’elle s’effiloche parce que ça marche et qu’on va en profiter parce qu’on manque d’idées », ni de plan répétés à chaque épisode et ad nauseum pour t’expliquer la relation entre deux personnages (ici, je pense par exemple à Walking Dead et les fabuleux plans lourdingues de Shane le lourdingue matant boeufement Lorie pour expliquer au spectateur qu’il a envie d’elle). Non, ici, on ne prend pas les spectateurs pour des cons. On sous-entend plus qu’on affirme, on glisse des choses sans insister, sans les marteler, évitant ainsi la lourdeur souvent inhérente au genre de la série.

Un exemple de mise en scène intelligente, qui n’est pas un vrai spoiler, il se produit au milieu du premier épisode.
A peine installée dans la maison, notre famille va recevoir la visite d’une petite vieille un peu flippante (jouée par celle qui joue la mère dans Six feet under). Accueillie par la mère, elle explique qu’elle bossait pour les anciens proprios et qu’elle est très attachée à la maison qui est en plus très grande, donc qu’il faudra bien quelqu’un pour s’en occuper. La mère hésite, dit qu’ils sont un peu ric rac niveau thunes, la vieille dit que ce n’est pas grave, qu’elle peut bosser gratuitement, la mère dit non quand même et dit que c’est quand même intéressant. Le mari débarque. Et là, paf, lui ne voit pas une vieille, mais une jeune femme sublime, sulfureuse, une incarnation de l’érotisme, sensuelle, excitante, mais un peu effrayante. La femme lui dit qu’ils devraient l’embaucher comme bonne. L’homme déglutit, se demande quoi dire. Accepte et une fois que la bonne est partie, dit à sa femme « Tu es formidable, tu n’arrêtes pas de me surprendre ». Pas la peine d’en faire un foin, pas la peine d’expliciter, on a tous en tête l’adultère, on est encore sous l’effet de la différence de point de vue. On sait qu’ils n’ont pas de raison de lever le voile sur cette différence… C’est fin, c’est intelligent, c’est classe.

A l’opposé d’un Lost où on passe notre temps à nous demander pourquoi les personnages se foutent sur la gueule sans jamais se parler ni expliquer les raisons de leurs embrouilles, ici, on sait qu’ils n’ont pas de raison de les expliciter car du point de vue chacun, il n’y a pas de raison. On en sait plus qu’eux et on tremble du fait qu’il n’y ait pas d’échappatoire, pas de possibilité à faire éclater la vérité.

Un autre exemple de la qualité de l’écriture. Dans ce type d’environnement (maison hantée), en tant que spectateur, on arrive rapidement à la conclusion que les personnages devraient peut-être se casser et qu’à leur place on se barrerait de la maison. Eh bien, ici, ils se disent et très tôt. Sauf que les scénaristes vont utiliser un ressort très terre à terre, mais malin. Leurs économies sont passées dans la maison, le mari (qui est psy) n’a pas encore pu se refaire une clientèle et ils n’ont pas les moyens de se barrer financièrement. Paf.
Ce genre de choses permet d’ancrer les personnages et la série dans une certaine réalité, et ce malgré la grosse part de fantastique. Comme je le disais plus haut, les créateurs évitent les grosses ficelles et nous éloignent ainsi d’un vulgaire Creepshow.

La série aborde aussi les thèmes des relations parents-enfants (dont une d'amour haine à la fois belle et absolument horrible), des relations de couples, l’adultère, les dominés-dominants… Et tout ça sur un fond de maison hantée.

Une des questions que vous pourriez vous poser est « est-ce que ça fait peur ? ». Oui et non. Ça dépendra beaucoup de vos rapports aux thèmes au final. Moi qui suis assez sujet à flipper devant l’épouvante (plus que devant l’horreur), je n’ai pas eu très peur en voyant cette série. A part dans certaines scènes spécifiques, à cause d’un personnage en particulier.

Pourtant, d’autres personnes (moins sujette que moi à l’épouvante de surcroît) m’ont témoignés avoir eu un peu de mal à avancer.
Mais ce n’est pas de la frousse que déclenche le plus la série, c’est un sentiment de malaise. Un malaise psychologique, malsain. A l’image du générique, il y a quelque chose d’oppressant, de poisseux. Et ça, c’est vachement bien, parce que c’est vachement rare.


Le seul reproche que je ferais est la fin de la première saison. Les choses se précipitent, un peu trop et l’ont fini par perdre de vue certains thèmes. Elle n’est pas mauvaise, elle est même cohérente et logique, mais il y a une rupture qui m’a un peu surpris. J’en voulais plus. Mais c’est le souci des bonnes séries. On en veut toujours plus, alors que les auteurs refusent de sombrer dans la redondance. Et plus j'y pense plus je me dis qu'il y avait un risque et qu'au moins, beaucoup de choses sont bouclées et laissent même une certaine impression d'achevé (trop rare dans le monde des séries).

Ce (léger) reproche explique la note. J’ai mis 8, mais les deux premiers tiers de la saison 1 valent un bon 9 tant ils sont maitrisés et jouissifs (malsainement jouissifs, mais jouissifs quand même).


A voir donc.
VincK
8
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Créée

le 25 août 2012

Modifiée

le 27 août 2012

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