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Un rite de passage, oui. Et ce à tous les niveaux... Car Buffy n'arrive pas n'importe quand: en même temps que les chaînes de type HBO produisent leurs premiers chefs d'œuvre télévisuels, cette série au parti-pris beaucoup plus populaire révolutionne la télé et contribue à la faire entrer dans son âge d'or: les seules qui en ont fait autant sons X-Files et A la Maison Blanche, excusez du peu...


En 1997, Joss Whedon, connu pour avoir été scénariste de Toy Story deux ans plus tôt, sort une série qui prend tout le monde à contre-pied et qui s'impose comme l'une des meilleures de son temps : Buffy contre les vampires. Le pitch est hyper-classique et se répète (à quelques variations prêt) au début de chaque épisode : dans une ambiance nocturne d'une petite ville de Californie, une jeune lycéenne blonde se promène, forcément dans un cimetière, ne voyant pas l'horrible monstre suceur de sang qui va lui tomber dessus. Sauf que... Sauf que ce postulat des films d'horreur de série B, postulat appuyé par les maquillages et les masques outranciers des méchants, se conclut par un résultat totalement inverse de ce qui était « programmé » : la jeune fille attend de pied ferme le vampire qui l'attaque sournoisement, le roue de coups de poings et de pieds en lui adressant au passage une bordée de moqueries, et l'anéantit en un rien de temps... La série part sur un contre-pied des genres desquels elle s'inspire autant qu'elle les parodie. Mélange de série fantastique à la X-Files et de teen-drama, Buffy contre les vampires a aussi une originalité particulière : son discours ouvertement féministe avec une héroïne guerrière qui n'est pas sans rappeler la Xéna de la série de Sam Raimi... Sauf que... Sauf qu'ici les histoires sont autrement plus « poussées » avec dans chaque épisode une morale à-peine cachée. Le fantastique sert, comme dans X-Files, à illustrer des problèmes très humains, mais dans Buffy les épisodes forment rapidement (de façon flagrante dès le milieu de la saison 2) un tout cohérent où l'histoire particulière de chacun se mêle à la trame de la saison dans un ballet fascinant pour qui prend le temps de suivre une saison dans l'ordre. Le féminisme de la série s'exprime particulièrement via l'héroïne : Buffy Summers (Sarah Michelle Gellar) est une ado séduisante mais maladroite, qui n'aime pas particulièrement les études et qui essaie de partager son temps entre sa mère (qui l'élève seule) et ses amis Willow (Alyson Hannigan) et Alex (Nicholas Brendon). Mais elle est aussi la Tueuse : celle qui doit, grâce à sa force et son habileté exceptionnelles, sauver la ville à la nuit tombée des hordes de vampires et autres monstres qui la hantent, chose d'autant plus malaisée que ces-derniers ont tendance à se multiplier vu que la ville est située au-dessus de la Bouche de l'Enfer (comme par hasard nous sommes en Californie : la Bouche de l'Enfer serait-elle un symbole de la faille de San Andreas ?..). Si elle est aidée par le bibliothécaire du lycée, qui est aussi son mentor, Rupert Giles (Anthony Stewart Head) elle ne combat que seule et elle acquiert très vite un charisme exceptionnel qui en fait une redoutable meneuse, prête à assumer ce genre de responsabilités... Au fil de la série, ce sont toujours les filles qui seront dotées de pouvoirs surnaturels : Willow devient une puissante sorcière (de même que sa petite amie Tara), Anya, qui arrive dans la saison 3, est un ancien démon vengeur, les autres Tueuses rencontrées sont toutes des filles. Pour autant le rôle des hommes est tout aussi important : on rencontre ainsi deux vampires dotés d'une âme qui vont devenir les grands amours de Buffy (Angel [David Boreanaz] et Spike [James Marsters]) mais tous les protagonistes, qu'ils soient masculins ou féminins, ont un rôle bien à eux et essentiel à la progression dramatique de la série qui, à grands coups de drames et d'aventures multiples, est en fait une formidable métaphore du passage de l'adolescence à l'âge adulte, avec tout ce que ça peut comprendre de recherche de soi et de doutes. Or cette quête, comme nous allons le voir, n'est pas l'apanage de la seule héroïne...


Chaque saison de Buffy contre les vampires est l'occasion de montrer une évolution particulière dans la vie des personnages et de voir l'univers de la série s'étoffer progressivement avec des personnages qui reviennent parfois discrètement rappeler que le temps passe... Dans la première saison, le groupe est réduit aux quatre seuls protagonistes évoqués plus haut avec comme méchant un vampire hideux très religieux: le Maître. C'est l'arrivée des méchants Spike et Drusilla dans la saison 2 qui donne plus de potentiel à la série, en y apportant beaucoup d'humour et en fendillant discrètement le manichéisme, de même que certains personnages évoluent comme Cordelia, peste superficielle jusque là, qui va devenir la petite amie d'Alex. Mais cette saison est surtout marquée par l'amour tragique de Buffy et Angel lequel, victime d'une malédiction hautement métaphorique à la fois du mal existant en chacun de nous comme de la destruction que peut engendrer l'amour-passion, devient le pire ennemi de Buffy qui est contrainte de le tuer. Son retour dans la saison 3 coïncide avec une baisse progressive des sentiments qui le conduira à partir pour de bon (Whedon créera le spin-off Angel à son nom). Cette saison, dernière des années lycée (qui sera détruit à la fin), confronte l'héroïne à l'autorité municipale avec comme méchant récurent le maire Wilkins (l'un des plus convaincants et des plus terrifiants de la série) et lui fera découvrir le danger pour chacun de passer « du côté obscur de la force » pour pasticher Star Wars. Entrée à la fac et découverte des militaires dans la saison 4, mais surtout retour définitif de Spike (privé de ses pouvoirs et qui devient un allié par obligation des héros) et arrivée d'Anya et de Tara qui va progressivement former avec Willow un couple dont la principale force est peut-être que l'homosexualité n'est qu'un détail : elles sont juste amoureuses et belles à voir ensemble... La saison 5 revient à la famille avec l'arrivée surprise de Dawn, la sœur de Buffy...qui n'avait pas de sœur. Whedon a utilisé le fantastique pour donner une cohérence au principe de la saison-rêve de Dallas et en faire la trame principale dans une série de plus en plus complexe, de plus en plus noire, où Spike se rendra compte des sentiments qu'il éprouve pour Buffy et une fin tragique qui a stupéfié les fans. Et la saison 6 va plus loin dans la noirceur, poussant le bouchon à un point jusqu'où même X-Files n'avait pas osé s'aventurer : l'héroïne est totalement désacralisée et les personnages principaux sombrent l'un après l'autre dans leur plus graves travers face à un trio de méchants minables mais qui vont être les plus prêts de les détruire pour de bon. Cette saison, dans laquelle seuls Tara et Spike restent à peu près « fiables » et égaux à eux-mêmes, parle de l'entrée dans la vie adulte et se conclut tragiquement (encore...) avec une terrifiante métamorphose d'un des héros déchiré par la douleur... La boucle se boucle dans la saison 7, qui parle de politique dans son sens le plus basique et qui ramène les héros dans le lycée reconstruit. La romance entre Buffy et Spike entre dans sa dernière ligne droite, le groupe augmente de façon exponentielle à mesure que la fin approche, et finalement, de drames en drames, après un ultime combat en forme d'apocalypse, le dernier épisode ferme définitivement l'histoire en faisant assez magistralement écho au premier... Mais plus encore que ce suivi dramatique particulier, complexe comme très peu de séries destinées à un large public avaient osé le faire, Buffy contre les vampires a osé tenter des formes totalement inattendues et atypiques dans quelques épisodes, en faisant ainsi des chef d'œuvres d'une audace incroyable...


L'épisode 9 de la saison 3, Wish, utilise un principe dramatique qu'on avait déjà vu dans...La Vie est Belle de Frank Capra : à savoir qu'un personnage (en l'occurrence Cordelia) voit ce qui se serait passé si Buffy n'était jamais venue à Sunnydale. La grande originalité est que cela lui coûte la vie et que c'est un autre personnage (Giles) qui répare les dégâts et ramène la série à son présent. Une autre tentative dans ce sens est utilisée (mais avec beaucoup plus d'humour) dans l'épisode 17 de la saison 4 (Superstar), mais sans le frisson de la nouveauté... Cette saison comprend en revanche deux épisodes tout à fait inédits dans leur forme : d'abord celui qui voit apparaître Tara, Hush, où des monstres particulièrement terrifiants (les Gentlemen) envahissent Sunnydale et réduisent tout le monde au silence : la moitié de l'épisode se passe ainsi, sans un mot, avec des méthodes de communication différentes, ce qui pour un média aussi verbal que la télé était particulièrement culotté... Le final de cette saison, Restles, ressemblerait presque à Twin Peaks et est en tout cas un hommage au surréalisme en montrant, avec des images et des situations clairement sorties de l'imagination pure, les rêves de trois personnages, rêves qui auront un étrange écho dans la saison 5 (dont l'épisode 21, The Weight of the World, reprendra en partie le principe)... C'est encore avec le son que joue l'épisode le plus marquant de la saison 5 (l'un des plus durs de toute la série), The Body, qui confronte l'héroïne à la perte de sa mère et dont la particularité est d'être joué sans aucune musique pour l'accompagner, apportant aux émotions et à la tristesse un côté « brut » et vrai, dénué de tout artifice... L'épisode le plus légendaire de la série, sans doute le préféré des fans, se situe dans la pourtant tragique saison 6 : Once More, With Feeling, est réalisé et joué comme une comédie musicale avec des acteurs chantant vraiment et une mise en scène typique des comédies musicales avec danses, solos, rideau rouge pour conclure. Grey's Anatomy a tenté de le refaire (avec beaucoup moins de succès...) et cet épisode a en tout cas ouvert de nombreuses portes qui ne demandent qu'à être empruntées... Est-ce une exploitation, cette fois parfaitement planifiée et intégrée à la trame de la série, de la saison-rêve de Dallas ? un questionnement sur la légitimité même de la série ? une possibilité donnée aux fans d'imaginer autre-chose ? un peu de tout cela à la fois ? En tout cas Normal Again, l'épisode 17 de la saison 6, qui montre dans une autre réalité Buffy dans un hôpital psychiatrique, qui aurait en fait inventé tout ce qui s'est passé depuis le début de la série, ne peut pas laisser le spectateur indifférent, d'autant que sa conclusion est plus que troublante... Peut-être un hommage tendre aux Soprano, l'épisode 7 de la saison 7, Conversation with Dead People, montre une Buffy en train de faire une véritable séance de psychothérapie avec...un vampire qu'elle s'apprête à combattre. Enfin, dans la même saison, Storyteller (épisode 16) montre Andrew essayer de narrer une aventure de la bande, mais l'épisode vaut par ses scènes de fantasmes rapides dont on ne sait sur le moment s'ils sont réels ou pas, qui ne sont pas sans rappeler ceux utilisés à l'envi dans Six Feet Under... Par son intelligence et sa cohérence gigantesque alors que nous sommes dans une série qui se rapproche de plus en plus du feuilleton au fil du temps, par ses coups d'audace stylistiques et scénaristiques, Buffy contre les vampires a prouvé qu'une série « populaire » pouvait parfaitement rivaliser avec celles du câble dans le domaine de l'intelligence et de la qualité intrinsèque: et au-delà de ses qualités intrinsèques, de la passion que peuvent engendrer les personnages et de sa cohérence scénaristique exceptionnelle, c'est peut-être ça qui fait de Buffy une référence incontournable pour tout sériphile. Un chef d'œuvre inoubliable!..

Sudena
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le 2 août 2015

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