Guerre & Paix à Baltimore
Plus guerre du crime que paix des braves The Wire raconte la ville de Baltimore, ni plus ni moins et c'est déjà beaucoup.
Tout d'abord pour saisir la spécificité de The Wire il convient de se pencher sur ses géniteurs, Ed Burns David Simon. Le premier est un ancien détective de la police de cette charmante bourgade reconverti en professeur et le second un ancien journaliste du Baltimore Sun spécialisé dans le crime qui tirera de son expérience un livre au début des années 90 (Homicide: A Year on the Killing Streets), lequel donnera naissance à une série diffusée de 93 à 99. Ce premier pas dans le monde de la tévision sera suivi par l'adaptation télévisuelle d'un livre co-écrit avec Ed Burns (The Corner: A Year in the Life of an Inner-City Neighborhood) qui relate l'observation d'une année par les deux compères d'un "corner", un coin de rue, où s'installent les vendeurs de drogue dans les quartiers difficiles.
Sans rentrer dans le détail The Corner s'associe parfaitement à The Wire comme une sorte de prélude, on y retrouve l'aspect documentaire de la narration et la minutie de ses auteurs à montrer la réalité telle qu'ils l'ont observé eux-mêmes sans complaisance, ni pathos superflu ni voyeurisme.
Cet apparté sur les auteurs permet de bien avoir en tête que Simon et Burns ont par leur parcours une crédibilité incontestable pour raconter la vie des rues de Baltimore et d'autre part des points de vue qui se complètent idéalement du fait de leurs expériences respectives dans la presse, la police et le système scolaire de cette ville.
The Wire se distingue des oeuvres précédemment évoquées par son ambition de décrire un personnage plus global : la ville de Baltimore. J'insiste sur ce point car s'il est possible à un moment donné d'identifier un personnage principal celui-ci peut ensuite disparaître pendant presque une saison complète. La seule constante de la série concerne le lieu où se déroulent les évènements (à de très rares exceptions) et le dernier épisode s'avère particulièrement explicite sur ce point (omg spoil, voteban grincheux).
D'autre part la compétence de Simon et Burns sur l'aspect journalistique de la série, son ultra réalisme et son ambition de raconter la réalité sans la dénaturer, s'enrichit par ailleurs d'une cohorte d'auteurs confirmés de polars (Dennis Lehane entre autres), la combinaison de ces talents permet à la série de jouir de qualités narratives hors du commun et d'un contenu dont la crédibilité n'est jamais remise en cause, jamais les auteurs ne sombrent dans l'écueil du retournement invraisemblable de situation pour redonner de l'intérêt à leur histoire. Cette rigueur peut donner le sentiment qu'il ne se passe pas grand chose dans The Wire aux téléspectateurs habitués des séries à grand spectacle quand ils découvrent la première saison car finalement ce n'est pas tant l'histoire en elle-même qui importe (les policiers vont-ils coffrer les voyous ?) mais tout ce qui se déroule autour de cette histoire qui a de la valeur et qui rend la série si particulière. Bien entendu la série comporte son lot de personnages hors normes, de dialogues d'orfèvres et de situations fascinantes mais tout cela ne peut s'exprimer pleinement qu'en prenant place dans un schéma global de narration. Ainsi il ne peut pas exister de "Previously on The Wire" au début de chaque épisode puisque tout ce qui a été raconté précédemment a de l'importance. En écho la bande son de la série s'intitule "And All the Pieces Matter" pour signifier que la série est un puzzle d'évènement qui s'imbriquent les uns dans les autres pour former la fresque de la vie baltimorienne au début des années 2000.
Cette intransigeance exige que le téléspectateur soit parfaitement attentif à chaque scène, qu'il ne saute aucun épisode et soit prêt à décortiquer l'intrigue sans qu'on le lui explique. Il n'est rien d'insurmontable pour les esprits ouverts et volontaires mais il est certain que cette série n'est pas conçue pour plaire à tous les types de public.
Ici je me suis contenté d'essayer d'expliquer la démarche de création de la série et d'en expliciter la spécificité, pour le contenu propre de la série (son découpage thématique par saison notamment) je laisse le soin de les découvrir à ceux qui pourraient se lancer suite à la lecture de cette critique.
En conclusion The Wire est pour moi une oeuvre de fiction absolue (je cite Guerre et Paix en titre car j'y ai retrouvé sa complexité narrative) à portée journalistique. Cette fresque sociale de 60 heures qui ne s'autorise ni jugement de valeur ni condescendance à l'égard de ses personnages offre un portrait plus complet que n'importe quel reportage, chronique ou film sur le sujet.