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Une question avant de commencer : X-Files aurait-elle existé sans Twin Peaks ? Poser la question c'est un peu y répondre... La série que Chris Carter lance sur la Fox en 1993 ressemble sur bien des points à celle de Lynch et Forst. Elle a d'abord des policiers comme personnages principaux, des policiers très « boarder line » dont l'un, un beau brun souriant qui croit dur comme fer au surnaturel et qui suit son instinct parfois contre toute raison « rationnelle », semble une espèce de décalqué de Dale Cooper...si ses talents n'étaient pas, ici, honnis par ses supérieurs qui lui envoient dans le pilote une jeune recrue formée au métier de médecin soi-disant pour l'assister _ en fait pour l'espionner _ mais qui va devenir très vite son alliée, puis son amie, puis... X-Files emprunte à Twin Peaks ses décors naturels : la série étant, les cinq premières saisons, tournée autour de Vancouver, les forêts et l'impression de froid sont réelles et entretiennent son ambiance très caractéristique de peur, de surnaturel, et de ce sentiment que « la vérité est ailleurs ». Ici nous touchons à un autre point commun partagé par X-Files et Twin Peaks : le mélange des genres. X-Files abandonne l'idée de soap mais conserve un humour très présent (certains épisodes sont délibérément placés sous le signe de la comédie, et les personnages principaux, en particulier Mulder et les Lone Gunmen, sont dotés d'un très solide sens d' l'humour) et pousse davantage que Twin Peaks le bouchon du côté du surnaturel. En-effet, tous les épisodes sont des enquêtes concernant un phénomène défiant la logique qui va requérir les talents des deux agents du FBI Fox Mulder (David Duchovny) et Dana Scully (Gillian Anderson). Ici nous touchons à une différence fondamentale avec Twin Peaks : X-Files refuse délibérément d'envisager une intrigue bien définie dont chaque épisode veut marquer une progression calculée : pas question de faire un feuilleton qui perdrait le public comme Twin Peaks l'a fait, d'autant plus que l'ambiance parfois très gore, en tout cas toujours angoissante, des épisodes fait que la série elle-même court le risque de déplaire à un large public pas obligatoirement féru de science-fiction... Ici la structure est semi-feuilletonante (notons que la formule est celle de NYPD Blue la même année, et qu'elle sera reprise par Urgences et par Friends un an plus tard) et chaque épisode permet de se centrer sur un monstre quelconque qui est souvent un reflet ou une métaphore d'un mal très humain, en même temps qu'une certaine continuité existe (discrète dans les relations entre les personnages, directe dans l'élaboration de la mythologie propre de la série [le fameux « mytharc »]). Dernier clin d'œil de Carter à Lynch, mais non des moindres : les acteurs de la série, en particulier dans la saison 1. Nous avons ainsi le plaisir de retrouver certains acteurs bien connus des fans de Twin Peaks : Michael Horse, qui joue Hawk, l'adjoint du shérif, dans Twin Peaks, redevient policier le temps d'un épisode dans X-Files, dans la saison 1 ; plus important, Don S. Davis, le major Briggs dans Twin Peaks, joue-t-il dans X-Files le père de Scully (encore un militaire) ; Michael J. Anderson, dans un rôle assez à mi-chemin entre le nain qui danse de Twin Peaks et le Samson de La Caravane de l'Etrange, apparaît-il dans un épisode de la saison 2 ; mais le plus frappant est de retrouver l'interprète de l'agent Denise, le fameux travesti ami de Dale Cooper, sous les traits de Fox Mulder : David Duchovny sert ainsi de trait d'union entre les deux séries, d'autant mieux que son personnage dans X-Files, nous l'avons dit, ressemble beaucoup à Dale Cooper...
Mais X-Files n'est pas une simple « copie à la sauce populaire » de Twin Peaks, très loin s'en faut ! Son esthétique tout d'abord, quoique très travaillée (beaucoup plus que dans les autres séries de l'époque), ne ressemble en rien à celle de Lynch. Pour commencer le mal est montré régulièrement et de façon souvent choquante : il n'est pas question d'une mystérieuse entité sortie d'une diabolique Loge Noire qui prend les âmes des humains, mais de phénomènes surnaturels très différents et plus inquiétants les uns que les autres qui interviennent un par un à chaque épisode, en plus d'un mytharc (nous utiliserons désormais ce mot pour qualifier la mythologie récurrente de la série) centré sur des extraterrestres aux propriétés multiples qui utilisent foule de moyens ignobles pour parvenir à leurs fins de conquérir la Terre et de réduire l'humanité en esclavage. X-Files n'hésite pas à montrer des images « coups de poing » inspirées des divers films d'horreur (une douve géante fécondée par un humain qu'elle tue pour se libérer, des enfants victimes d'une épidémie de variole, un nourrisson enterré vivant : la liste est longue...), de grandes forêts ou une nature hostiles où une créature monstrueuse est cachée (des insectes microscopiques mangeurs d'hommes, un champignon hallucinogène également mangeur d'hommes, un alligator dissimulé sur les berges denses d'un lac immense...) quand ce n'est pas une intelligence artificielle déchaînée... Le générique est de cet acabit : une musique angoissante, lente et aiguë, composée par Mark Snow (qui tranche énormément avec celle, apaisée et rêveuse, de Badalamenti dans Twin Peaks), et puis, dans des images troubles et floues, apparaît soudain un visage ressemblant beaucoup au Cri d'Edvard Munch, d'étranges soucoupes volantes, puis enfin les héros dont la seule image nette est leur carte de police. Angoissant au possible, ce générique préfigure généralement l'épisode. X-Files a accordé manifestement beaucoup d'importance à la musique : si la musique de Snow est très travaillée et s'adapte admirablement aux situations, souvent tragiques, que traversent les personnages, d'autres sont également utilisées dans des épisodes spéciaux : nous reviendrons plus loin sur ceux-ci mais quel fan de la série ne se souvient pas de Walking in Memphis interprétée par Cher, ou de Bad Boys d'Inner Circle dans un générique ?.. Autre particularité esthétique de X-Files, qui détonne énormément dans le monde des séries télé de l'époque : le physique de ses acteurs principaux, en particulier de Gillian Anderson. Loin, très loin, des canons de beauté féminine « classiques », l'actrice est une petite rouquine à la coupe très « stricte » et à la poitrine pas du tout démesurée, qui vient au travail dans des habits tout aussi « stricts »...quand elle n'a pas ses lunettes et ses gants en latex (c'est à dire quand elle n'a rien à autopsier). De plus, Scully sourit rarement, est volontiers grognonne, et affiche souvent la mine lasse de ceux qui savent et qui essaient patiemment d'expliquer des vérités simples à un bambin têtu dès qu'elle s'adresse à Mulder : on ne saurait être plus éloigné des grandes sauveteuses blondes et « pulpeuses » en bonnet F éternellement en quête d'hommes d'Alerte à Malibu (nous exagérons un peu, peut-être ?..). Et pourtant, qui, ayant regardé X-Files, peut dire que Scully manque de charme et qu'elle n'a pas, comme Mulder, un sex-apeal certain, sinon envoûtant ?.. La première force de Carter est de rompre avec les codes traditionnels de beauté plastique pour donner à sa série un côté romantique beaucoup plus caché mais totalement présent et plus « intérieur », qui accroche aussi lentement que sûrement. Nous reviendrons plus loin sur le duo Mulder/Scully et nous allons brièvement passer en revue les autres œuvres dont X-Files s'est inspiré...
Jusque ici nous avons peut-être commis l'erreur de suggérer que seule Twin Peaks avait inspiré X-Files, or rien n'est plus faux ! Les inspirations de Carter sont tellement multiples qu'elles en donneraient presque le tournis, aussi contentons-nous des plus évidentes : l'ambiance générale de la série et sa capacité à « balayer » très large dans le domaine des monstres légendaires en mêlant policier et fantastique vient sans aucun doute de Dossiers brûlants (série de Jeff Rice datant de 1974), de même que l'idée que les extraterrestres veulent envahir la Terre en s'entendant avec des humains complices a sous toute probabilité des origines dans Les Envahisseurs ou V. Le nom du premier informateur de Mulder est Gorge Profonde, c'est à dire le même pseudonyme que celui utilisé par l'informateur des journalistes Carl Bernstein et Bob Woodward qui leur a finalement permis de révéler au grand jour le scandale du Watergate, qui coûta sa présidence à Richard Nixon. Ce n'est pas un hasard que l'ambiance de complot flotte sur la série : en 1991, Oliver Stone avait sorti son film JFK, récompensé par deux oscars et nominé, entre autres, pour celui du meilleur film : une bonne partie de l'opinion avait dès lors de nouveau considéré l'assassinat de Jack Kennedy comme un complot impliquant les plus hautes instances politiques du pays, et X-Files part clairement dans cette voie, s'en prenant aux puissants et aux institutions avec un acharnement et une acidité digne d'une fontaine de vitriol... Beaucoup d'épisodes comportent des créatures de cauchemar qui ne dépareilleraient pas dans un roman de Stephen King lequel, fan de la série, en a écrit un durant la saison 5 (La Poupée) : si X-Files n'est pas une adaptation directe du romancier son influence se fait clairement sentir dans la mythologie et les créatures de la série, particulièrement dans les « loners » (épisodes non-liée au mytharc). L'ambiance de la série est sombre, glauque, paranoïaque : autant de caractéristiques que partage également l'oscar du Meilleur Film 1991, Le Silence des agneaux dont l'héroïne, jouée par Jodie Foster, est, étrangement, une petite rousse supérieurement intelligente : Carter aurait-il pu, par hasard, s'en inspirer pour créer le personnage de Dana Scully ?.. Les inspirations de X-Files sont, comme nous le voyons, d'une multiplicité extrême : la série ressemble à un gigantesque shaker de genres et de recettes éprouvées que personne n'avait envisagé de mêler jusque-là... Mais ce cocktail assez monstrueux en soi n'aurait jamais pu conquérir un grand public s'il n'avait pas été servi par des personnages et des relations totalement atypiques, écrits et joués avec une finesse qu'on n'avait jusque là que très rarement vu à la télé, qui firent non seulement le délice des fans mais pour certaines apportèrent un « repère » dramatique solide dont les meilleurs séries n'auront pas de sitôt fini de se servir...


Outre Mulder et Scully, X-Files fourmille de personnages récurrents, souvent rattachés au mytharc, et rarement une série aura à ce point développé ses personnages négatifs et/ou menaçants... Ainsi apparaît dès le pilote un étrange bonhomme se tenant dans l'ombre qui va progressivement s'imposer comme étant LE méchant de la série : l'homme à la cigarette (William B. Davis). Impitoyable membre du Syndicat (organisation qui, depuis 1954 et l'affaire Roswell, a pactisé avec les extraterrestres pour les aider à conquérir la Terre) il tente de saper les efforts de Mulder mais, étrangement, fait tout pour qu'il reste au sein du FBI. Ses atrocités ne se comptent plus : c'est lui qui commandite l'assassinat du père de Mulder, il est responsable de la mort de la sœur de Scully et de l'enlèvement de celle-ci, il autorise une expérience consistant à lancer sur des enfants des abeilles porteuses du virus de la variole, il tire sur son fils de sang froid. Mais ses motivations profondes demeurent obscures : derrière son calme olympien et les volutes de sa cigarette il semble le plus au courant des enjeux profonds qui se jouent et qu'il essaie de déjouer. Il est ainsi le seul à comprendre ce qui se passe ce qui lui permet de s'enfuir à temps lorsque le Syndicat est massacré dans la saison 6, et les sacrifices qu'il a consenti dans le passé peuvent expliquer son insensibilité et son cynisme. Au début de la saison 7 il tente d'atteindre l'immortalité en vidant Mulder de son énergie dans une expérience vampirisante, expérience encore pire quand on sait qu'il est le père biologique de sa victime... Mais ses alliés qu'il berne sans scrupule peuvent aussi nourrir à son égard de sévères rancœurs, il est lui-même malade ce qui en fait un personnage tout à fait fascinant, maléfique mais en manque d'affection qui peut à certains moment susciter la pitié en même temps que la répulsion... L'autre grand méchant de la série est Alex Krycek (Nicholas Lea). Apparu dans la saison 2 après que Scully ait été mutée, il a l'air d'un jeune policier coéquipier modèle des anciennes séries avec son physique attrayant et ses initiatives pour aider Mulder qu'il semble vénérer. Et puis patatras ! le bon coéquipier devient l'espion sans scrupule qui tente de tuer Mulder, l'homme de main de l'homme à la cigarette ! C'est lui qui tue la sœur de Scully et le père de Mulder, lui qui contrôle Skinner en lui injectant un virus qu'il peut contrôler à sa guise ce qui lui permet de faire chanter les héros. Plusieurs fois Mulder le tient sous son flingue mais, as de la survie, il parvient toujours à s'en sortir, monnayant une information ou un service. Mais ses motivations profondes sont tout aussi floues et même plus complexes que celles de l'homme à la cigarette qui tente de le tuer et à qui il voue par la suite une haine totale. Krycek semble lié aux russes et travailler en « free-lance », suivant son propre intérêt. La seule chose de fiable dans ce personnage est la haine qu'il voue à l'homme à la cigarette et au fil des saisons, par-delà son arrivisme, son côté nauséabond et la haine farouche qu'ils lui vouent, on peut se demander si Krycek n'est pas un étrange allié de Mulder et Scully. Il ira jusqu'à assassiner l'homme à la cigarette (du moins le croit-on pendant deux saisons), se fera finalement abattre par Skinner et son fantôme reviendra aider Mulder dans le dernier épisode. Par sa complexité de plus en plus grande, son regard froid, son extraordinaire instinct de survie, on peut se demander si ce personnage n'a pas été une grande source d'inspiration aux créateurs de Lost au moment d'écrire le personnage de Ben... Les informateurs de Mulder sont des personnages étranges : si Gorge Profonde (Jerry Hardin) semble avoir une sympathie certaine pour les héros, au point de se faire tuer pour eux à la fin de la saison 1, Monsieur X (Steven Williams) est beaucoup plus agressif, malmène Mulder et n'hésite pas à l'injurier, le jugeant trop lent à comprendre les enjeux et ne posant pas les bonnes questions : deux hommes bizarres, espèces de Iago dans l'autre sens (des méchants qui aident secrètement les gentils pour grossir le tableau) qui créent une espèce de « troisième force » particulièrement étrange dans la série et qui renforce ainsi son côté paranoïaque... Le dernier personnage de ce type mais qui, lui, passe clairement du « bon » côté de la barrière est Jeffrey Spender (Chris Owens) : apparu comme un « Krycek-bis » mais dont le seul but est de sortir Mulder du FBI, sans même prendre les précautions du double-jeu, ce personnage d'abord détestable va progressivement réviser son jugement quand sa mère sera victime d'une expérience extraterrestre. On apprendra rapidement qu'il est le fils de l'homme à la cigarette (donc le demi-frère de Mulder) et il se retournera contre son père...avant de se faire descendre par lui. Néanmoins la dernière saison nous le montre en vie, totalement défiguré mais déterminé, enfin, à aider les héros dans leur quête de vérité...
A-côté de ces personnages négatifs, X-Files donne aussi des adjuvants aux héros, qui prennent petit à petit de plus en plus d'importance. Il en est ainsi pour le directeur adjoint du FBI Walter Skinner (Mitch Pileggi), qui semble d'abord être un empêcheur de tourner en rond mais qui, à partir de la saison 2 et de l'enlèvement de Scully, choisira son camp et n'en changera plus. Ancien du Vietnam, Skinner ne croit pas à-priori aux extraterrestres mais il révisera son jugement lorsqu'il verra la hargne de ses supérieurs à se débarrasser de Mulder. Par-rapport aux héros la confiance se gagne en deux temps : si Mulder voit en lui un ami dès la saison 2, il faudra beaucoup plus de temps à Scully pour en arriver là et il sera plusieurs fois soupçonné (à tort) de traîtrise, mais dès lors l'amitié que les héros lui vouent ira crescendo, jusqu'à pratiquement former un trio dans la saison 7, saison à la fin de laquelle il apprendra le premier que Scully est enceinte, au moment de lui annoncer que Mulder a été enlevé. C'est lui qui insistera pour exhumer le corps de Mulder dans la saison 8, lui sauvant ainsi la vie, et il franchira les portes de la légalité dans le dernier épisode pour lui sauver la vie à nouveau. Victime « préférée » des coups tordus de Krycek, il aura sa revanche en le tuant de sang froid. Ce personnage symbolise une évolution que les séries télé n'avaient que très peu exploité jusque là : le crescendo de l'amitié. Par le suite des séries comme 24h chrono ou Lost auront ce type de relation évolutive... Vers la fin de la série arrivent deux personnages qui vont petit à petit remplacer Mulder et Scully (bien que Scully soit toujours présente son rôle se réduit considérablement, en particulier dans la saison 9). Le premier est l'archétype du flic parfait et rationnel qui ne croit pas aux extraterrestres mais qui est déterminé à faire son boulot jusqu'au bout et à aider qui le demande : John Doggett (Robert Patrick). Personnage au passé douloureux, il tente de se reconstruire et dispose d'un instinct sûr dès qu'il s'agit d'agir. Le deuxième est une mystérieuse femme admettant le surnaturel comme une possibilité sans avoir la croyance (parfois crédule) de Mulder : Monica Reyes (Annabeth Gish). Personnage hautement empathique et « flamboyant », Monica Reyes connaît bien le passé de Doggett et, comme lui, va jusqu'au bout de ses combats, quels qu'ils soient (c'est elle qui mettra au monde l'enfant de Scully à la fin de la saison 8). Ces deux personnages, apparus à la fin de la série, en avaient « sous la semelle », tant dans leurs personnalités que dans les sentiments qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre, et auraient peut-être pu poursuivre l'aventure de la série, mais les fortes baisses d'audience du début de la saison 9 furent sans ambiguïté : le public n'était pas prêt à suivre X-Files sans Mulder et Scully et la série s'arrêta conséquemment... Mais les personnages secondaires sinon les plus importants, du moins les plus populaires, sont les trois amis « geek » de Mulder, qui bénéficièrent d'un spin-off du nom de leur groupe : The Lone Gunmen. Personnages hautement comiques, Byers (Bruce Harwood), Frohike (Tom Braidwood) et Langly (Dean Haglund) sont encore plus persuadés que Mulder de l'existence d'un complot gouvernemental, ils se terrent dans des petites salles souterraines, sont des génies de la technique et partagent avec Mulder une vraie amitié, amitié que leur accordera progressivement Scully. Au fil de la série on comprend d'où ils viennent et pourquoi Byers est le seul des trois à porter un costume trois pièces... Certains épisodes leur sont consacrés, un spin-off, nous l'avons dit, leur a été dédié (peut-être un peu tard...) et leur mort, dans la saison 9, a été sujette à beaucoup de controverses. Mike Gilligan, l'un des scénaristes, a dit à ce sujet : « Encore aujourd'hui je reste persuadé qu'on a fait le mauvais choix... ». Ces personnages positifs forment l'entourage général, peuplent le monde de la série, mais X-Files tient d'abord et avant tout sur un duo légendaire : Mulder et Scully...
Ils forment la sève de la série, celle qui en fait toute la saveur et qui tient les fans par le palpitant, leur histoire commune se noue petit à petit, au fil des saisons, ils ont des caractères opposés mais extrêmement complémentaires, et ils ont constitué un modèle pour les séries visant à rapprocher deux partenaires de travail tout en évitant le « syndrome Clair de lune », et dans chaque épisode ils jouent avec les spectateurs un numéro d'équilibriste intellectuels illustrant et questionnant le principe de Saint Thomas : peut-on croire ce qu'on voit ?.. Mulder et Scully sont d'abord bâtis sur un opposition frontale : Mulder est celui qui croit au surnaturel, qui fonctionne à l'instinct avec ce que ça peut comprendre de faiblesse (il a tendance à foncer ce qui le met souvent en danger) comme de force (il dispose d'une grande intelligence et d'un « flair » très sûr ce qui sauve Scully plus d'une fois). Scully, elle, est la sceptique : scientifique parfois obsédée et obstinée, elle raisonne avec sa tête et sait faire montre de diplomatie avec la hiérarchie. Elle est capable de douter des gens (plus que Mulder) mais son obstination à refuser de croire au surnaturel tourne parfois à l'obsession...du moins jusqu'à la saison 7 où elle commence à réviser son jugement. Mais voilà qu'apparaît le premier paradoxe : Scully la sceptique est aussi pieuse que Mulder le croyant est athée... Chris Carter joue sur cette possibilité de « renverser les rôles », souvent avec brio, et X-Files a ainsi deux personnages principaux aux réactions parfois imprévisibles, ce qui évite ainsi la monotonie (en soi le moyen était simple, mais comme on dit : « il fallait y penser... »). Les deux partagent néanmoins une grande force de caractère, ils se respectent beaucoup, savent écouter l'autre, et il ne faut pas longtemps pour que se noue entre eux une amitié très solide, amitié qui est rapidement mêlée d'une certaine attirance réciproque... L'évolution de ce couple fait à la fois la torture et le régal des fans, mais son schéma a fait recette : d'abord un attachement « unilatéral », c'est à dire chacun dans leur coin, avec des réactions différentes de l'un et de l'autre. Ici, Scully a dès la saison 2 des petits accès de jalousie, tandis que Mulder est prêt à se damner pour la retrouver et la sauver après son enlèvement. Puis on en arrive aux fricotages avec des partenaires d'occasion qui ne sont que des images déformées de l'autre, puis, mais plus tard, aux baisers avortés, puis aux gestes tendres et aux aveux cachés, puis enfin aux baisers...avant une rupture violente (de-facto, ici, vu que cela correspond à l'enlèvement de Mulder à la fin de la saison 7) que suivra une reconquête progressive, et un « acte » définitif qui correspond à la dernière scène de la saison 8. Il est d'ailleurs probable que cette conclusion explique pour partie la baisse des audiences de la saison 9 : Doggett et Reyes n'ont pas été amenés aussi lentement, ce qui a partiellement rompu le charme... Ce schéma général a été repris X fois par les séries ayant suivi : il est ainsi suivi scrupuleusement dans Buffy contre les vampires (Buffy et Spike), Lost (Jack et Kate) ou A la Maison Blanche (Josh et Donna), et nombre d'autres s'en inspirent plus ou moins directement. Mais X-Files n'a pas tenu sur le seul ressort des personnages : tout au long de son existence ses saisons ont accumulé les mystères et les épisodes mémorables, et c'est cette architecture très particulière et très équilibrée qui en a fait LA série des années '90, faisant la passerelle entre Twin Peaks et le grand public...


L'ambition de X-Files est à la base de narrer une quête : celle de Mulder essayant de retrouver sa sœur Samantha qui a été enlevé par les extraterrestres alors qu'il était enfant. Sa position au sein du FBI lui permet de fouiller dans les affaires non-classées en quête d'informations sur les activités surnaturelles à-propos desquelles il soupçonne une aide humaine qui viendrait de très haut dans la hiérarchie... A cette quête se joint Scully et ses amis les Lone Gunmen qui soupçonnent eux-mêmes un complot gouvernemental depuis l'enlèvement sous leurs yeux d'une certaine Suzan Modelski dont Byers, alors fonctionnaire d'Etat, était amoureux. Ces élément, qu'on apprend progressivement, forment le mytharc de la série : ils feuilletonnent sur plusieurs saisons, chacune riche d'informations complexifiant un peu plus la mythologie. Le Syndicat est une organisation d'hommes complices des extraterrestres qui, pour gagner du temps, ont accepté de les aider en organisant des enlèvements pour des expériences, ou diverses autres atrocités que les héros vont connaître à leurs dépends. Mais cette guerre sourde, d'abord relativement simple à suivre, va progressivement se complexifier en deux temps très distincts : d''abord, dans la saison 6, on apprendra que les extraterrestres se sont fait des ennemis dans l'univers, des Rebelles sans yeux qui sont en train de les vaincre et qui vont exterminer le Syndicat de façon extrêmement violente et radicale. Ensuite parce que la quête de Mulder, après bien des rebondissements, connaîtra une fin inattendue dans la saison 7 et une scène très touchante où David Duchovny montrera l'étendue de ses talents d'acteur, et pourtant le mytharc continue, qui voit apparaître des Super Soldats extraterrestres en apparence immortels...sauf lorsqu'ils sont confrontés à l'électro-magnétisme. Nous nous arrêterons là pour évoquer le mytharc car nous touchons à une transition des plus « parlantes » dans l'histoire des séries télé : la quête principale de la série s'arrête avant la fin, ce qui ne l'empêche pas de continuer...comme la résolution du meurtre de Laura Palmer n'avait pas signé la fin de Twin Peaks. Et une entité immortelle confrontée à l'électro-magnétisme est une recette qu'éprouvera beaucoup (en la complexifiant), Lost...
Les saisons de X-Files se définissent généralement par les informations distillées sur le mytharc (ces épisodes se reconnaissent en venant généralement par paire [deux consécutifs formant en fait une seule et même intrigue interrompue au milieu]) mais elles fourmillent d'épisodes mémorables dont l'originalité (de style ou de scénario) a fait école depuis. Ainsi dans la saison 1, deux épisodes espacés dans le temps se concentrent sur un même monstre : Eugène Tooms (Doug Hutchinson). Très marquée esthétiquement par ses extérieurs en forêt, cette saison propose plusieurs huis-clos terrifiants dont l'un des plus typiques est le 19 (Quand vient la nuit) qui délivre un message écologique dénué de tout manichéisme.
Un incident se produit entre les saisons 1 et 2 : Gillian Anderson tombe enceinte. Mais cette contrainte fut en fait une belle occasion pour Carter qui imposa à la Fox de pouvoir montrer les extraterrestres _ alors que la chaîne l'avait à la base interdit _ pour pouvoir faire disparaître un temps le personnage tout en restant cohérent au niveau du scénario. Scully ne disparaît qu'un épisode mais est beaucoup moins présente à l'écran et son retour dans l'épisode 8 porte X-Files à un degré de qualité de jeu rarement vu : entre l'hyperactivité de Mulder qui passe par tous les états de nerfs et le simple regard lointain de Scully dans une représentation de la barque de Charon, un équilibre de rythme est trouvé en passant par les extrêmes (ce qui n'avait quasiment jamais été exploité à la télé). Autre épisode mémorable de cette saison généralement très appréciée par les fans, le treizième (Le Fétichiste) qui montre pour la première fois à la fois un démon parfaitement humain (joué par Nick Chinlund) et une inversion des rôles des héros : dans cet épisode c'est Mulder l'élément rationnel tandis que Scully se perd dans sa terreur.
La saison 3, la préférée de Carter, est moins violente en ce qui concerne les héros mais elle est d'une tristesse incommensurable... L'un des épisodes les plus originaux est celui où un assassin réussit à convaincre ses victimes de se suicider, illustrant le dicton selon lequel on serait nous-mêmes notre pire ennemi (épisode 17 : Autosuggestion).
La plus polémique est sans-doute la 4 : de loin la plus violente, elle n'épargne ni les spectateurs qui voient des enfants subir une attaque biologique avec des abeilles porteuses de la variole, ni les héros... C'est dans cette saison que Scully attrape le cancer et apprend progressivement à vivre en sachant que ses jours sont comptés (c'est peut-être la saison où Gillian Anderson déploie le plus ses formidables qualités d'actrice). Des épisodes mémorables ? Oh que oui, dont le plus gore, le plus ignoble et le plus controversé de tous : le 3 (La Meute) dont la première scène montre un nourrisson enterré vivant avec une prise de vue en contre-plongée avec la caméra dans la fosse : aucune série n'osa s'aventurer aussi loin dans le gore, du moins jusqu'à The Walking Dead (2010). Le 5 (Le pré où je suis mort), déprécié par les fans car montrant Mulder amoureux d'une autre femme que Scully, est pourtant une très intéressante tentative de parler à la fois des sectes et des vies antérieures, mais Carter réitérera sa tentative par la suite...
La saison 5, qui préfigure le premier film et qui est la dernière à être tournée au Canada, est marquée par deux épisodes parmi les plus légendaires de la série : le 6 (Prométhée post-moderne), tourné en noir et blanc, ressemble à un hommage explicite de Carter à Lynch avec le personnage de Mutato fortement inspiré d'Elephant Man, sauf que l'épisode finit en apothéose sur la chanson Walking in Memphis chantée par Cher que nous avons évoqué plus haut. L'épisode préféré tant des fans que de Gillian Anderson est l'inoubliable comédie Le shérif a les dents longues (épisode 12) : outre son succès public et ses situations désopilantes il a une narration tout à fait particulière avec pendant les deux tiers la même histoire racontée par Scully puis Mulder...et les quelques petites variations qu'on peut observer entre les deux versions.
Le premier film, qui revient sur les abeilles tueuses et qui voit (encore) Scully se faire enlever (sans parler d'un baiser avorté à la dernière seconde...) annonce une saison 6 très spéciale et qui marque une rupture dramatique certaine avec, en plein milieu, le massacre du Syndicat... Tournée en Californie, cette saison est moins gore que les précédentes, plus poétique, et si elle n'a pas fini de diviser ses partisans et ses détracteurs, il n'en demeure pas moins qu'elle comporte plus d'épisodes très marquants que les autres... L'épisode 3 (Triangle) reprend l'idée de vie antérieure et initie le mélange étroit du passé et du présent ; le 8 (Les Amants maudits) est un spécial noël très marqué par Lewis Caroll ; le 9 (Photo mortelle) évoque _ c'est une première dans une série télé _ le malheur terrible qu'est l'immortalité ; le 13 (Bienvenue en Arcadie) montre Mulder et Scully se faisant passer pour un couple modèle dans une banlieue bourgeoise et se moque ainsi copieusement (et avec beaucoup d'acidité) de l'American-way-of-life ; le 18 (A cœur perdu) montre Scully envoûtée par le charme d'un mystérieux écrivain et évoque le rapport ambigu entre un écrivain et son œuvre qui peut à tout moment échapper à son contrôle (c'est aussi un étrange miroir que se lancent les créateurs d'une série télé aussi populaire que X-Files) ; le 20 (Le grand jour), écrit et réalisé par David Duchovny, part de la métaphore des extraterrestres pour faire un phénoménal plaidoyer anti-raciste ; le 21 (Spores) reprend le principe du Shérif a les dents longues mais de façon bien plus gore et évoque la nécessité vitale de douter. Cette saison est sans-doute celle qui a le plus inspiré les créateurs de Lost, et elle a aussi pour suivi dramatique de montrer que la romance entre Mulder et Scully va bientôt se conclure.
La saison la plus déroutante qui explore peut-être le plus toutes les possibilités de X-Files est sans-doute la saison 7. Pour Vince Gilligan : « La saison sept est l'une de nos meilleures parce qu'on a pris plus de risques narratifs que dans les précédentes. » C'est dans cette saison que Mulder apprend ce qu'il est arrivé à Samantha, le Fétichiste revient le temps d'un épisode sous forme d'une incarnation du diable et les épisodes peuvent tout à la fois regorger de poésie légère ou tout au contraire explorer toutes les possibilités du gore. Parmi les épisodes mémorables, MilleniuM (épisode 5) apporte une conclusion (prématurée...) à l'autre série de Carter en proposant un « crossover » (épisode mêlant des personnages de deux séries différentes) dont les fans se rappellent surtout qu'il fut le premier qui vit Mulder et Scully s'embrasser. Le plus gros « coup » narratif de la série est peut-être celui de l'épisode 12 (X-Cops) qui mélange les personnages de X-Files avec le magazine bien connu aux Etats-Unis COPS : caméra à l'épaule, impression de réalisme permanente, personnages gênés par le fait d'être filmés, générique du magazine (Bad Boys d'Inner Circle) : le mélange de la fiction et de la réalité s'est produit, et ce dans une série de genre fantastique ! Cette idée inspira beaucoup les créateurs d'A la Maison Blanche... La différence entre fiction et réalité éclate avec beaucoup d'humour lorsque Mulder et Scully acceptent de servir de modèles pour un film...et constatent avec désespoir le résultat (Hollywood, épisode 18).
L'enlèvement de Mulder donne un étrange élan à la série, avec une saison 8 marquée par l'arrivée de Doggett et Reyes mais assez peu innovante dans ses épisodes. A noter néanmoins le tragique Invocation (épisode 6) qui a certainement marqué les séries policières les plus noires de ces dernières années (Cold Case ou Esprits Criminels)...
La saison 9, la dernière, n'a peut-être pas été une réussite commerciale mais elle n'a pas manqué, elle, de moments originaux et « osés », comme dans l'étrange épisode 5 (4-D) qui, outre l'évocation implicite des sentiments que se vouent Dogett et Reyes, évoque la perte de repères dramatiques au moment où l'un des héros (mais lequel ?..) se trouve entre la vie et la mort. L'épisode 14 (Improbable) est une évocation à la fois poétique et désopilante de Dieu qui apparaît sous les traits de Burt Reynolds. Après la mort des Lone Gunmen la série amorce son virage final avec un moment déchirant où Scully est obligée d'abandonner son enfant et un dernier épisode dans le ton de la série : sombre, voilent, pessimiste, mais pas sans espoir. Entre temps un appel du pied est proposé aux spectateurs dans l'épisode 18 (Irréfutable) qui prouve d'une part l'existence du surnaturel à Skinner et qui pousse les spectateurs à passer à autre-chose, disant par là qu'une vie ne peut pas tourner autour de X-Files. Cette morale sera beaucoup reprise dans Lost et la coïncidence est troublante que de trouver dans cet épisode un acteur qui deviendra un personnage culte de la série de Abrams et Lindelof : Michael Emerson...


Tout ça pour dire que X-Files, outre ses qualités pures et indéniables qui en font on formidable divertissement populaire, est aussi une série "phare": il y a eu un avant et un après, clairement, et au-delà de l'envoûtement qu'elle provoque, toujours intense malgré les années, elle a un intérêt historique qui en fait une série "culte" dans le sens le plus strict du terme. Merci de m'avoir suivi tout au long de cette interminable critique... ;)

Sudena
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le 7 sept. 2015

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Sudena

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