Le meilleur album de la décennie, par le meilleur groupe de rock en activité.

Il y a quelques jours, commentant la prestation au festival Reading and Leeds—point d'orgue d'une tournée européenne entamée suite à la parution de l'album dont il est ici question—une journaliste du NME qualifiait "AM" de meilleur album de la décennie, réalisé par ce qui à ce jour apparait comme le meilleur groupe de rock en activité.
Meilleur album de la décennie, voilà qui peut sembler audacieux. On pourrait ajouter un prudent "pour l'instant". Mais on ne se risquerait pas trop à dire qu'en l'état actuel des choses, il n'est qu'un éventuel 6ème album du groupe de Sheffield pour s'imposer devant ce 5ème opus, tant les Arctic Monkeys se sont imposés comme groupe de référence, reléguant bon nombre de leurs contemporains au rang de pâles imitateurs.

En synthétisant et en transformant en un son unique 40 ans de musique populaire (bien au delà, donc, des seules frontières du rock), ce cinquième album, sobrement intitulé "AM", en est la preuve la plus éclatante. Dès les premières notes de "Do I Wanna Know?", on comprend que les Arctic Monkeys de 2014 n'ont presque plus rien à voir avec le groupe qu'ils étaient à leurs débuts en 2006. Le son est plus lourd, le rythme plus lent, les basses plus puissantes: le premier morceau est une véritable déflagration qui, à elle seule, donne déjà l'impression—confirmée par la suite—que c'est un très grand album qui s'annonce. Exit les influences Britpop et le patronage d'Oasis, perceptible sur les 2 premiers volets. Ça et là, on retrouve bien sûr les ingrédients qui ont contribué à les propulser sur le devant de la scène musicale anglaise: "R U Mine?" est peu ou prou la version 2014 de "I bet you look good on the dancefloor": même structure musicale, mêmes riffs rageurs et une hystérie en live en tous points semblable à celle déchaînée par sa consoeur.
Entre le premier et le dernier morceau, c'est un véritable kaléidoscope musical que nous présentent les Arctic Monkeys. On y retrouve, pêle-mêle, un morceau d'une sensualité incroyable—"Arabella"—empruntant aux pionniers du Heavy Metal, Black Sabbath (le morceau a manifestement été écrit avec "War Pigs" en tête), une ballade aux accents "lennonien"—"N°1 Party Anthem"—et une autre, "Mad Sounds", qui, tout en étant clairement marquée par l'influence de Bob Dylan rappelle en même temps certaines des plus belles ballades du groupe, telles "Reckless Serenade" ou "Piledriver Waltz"; et c'est bien là que réside toute l'originalité de ce cinquième album. Loin de se limiter à des pastiches de Black Sabbath, de Lennon ou de Dylan, les Monkeys ajoutent à chaque fois leur touche personnelle, rendant chacun de ces morceaux unique en son genre. On pourrait multiplier les exemples à l'envie: "One for the road"? Un morceau que, de leur propre aveux, les AM ont voulu "rap". Soit. On remarquera simplement que ça ne les aura pas empêcher d'y ajouter ce qui est sans doute le plus impressionnant des solos de l'album.

Et on pourrait encore parler longtemps du pari (réussi) d'adjoindre à plusieurs morceaux des choeurs d'aigües chantés par les autres membres du groupe (sur "Knee Socks", "Why'd you only call me when you're high?", "One for the road"...) ou du tour de force que représentent ces sauts d'un genre à un autre: à la fin de l'écoute, on en vient à penser que seuls les Arctic Monkeys pouvaient réussir à passer, en un même album, de la détresse d'un "Fireside" au rythme quasi angoissant à l'exaltation du dansant "Snap out of it", ou du frénétique "I want it all" au sublime "I wanna be yours" véritable condensé de tout ce que le groupe à toujours su faire de mieux en termes de ballade. Le morceau, dont les paroles sont empruntées au poète punk John Cooper Clarke, clôt un album dont on ressort transformé.

Avant son dernier concert à Reading and Leeds, Alex Turner déclarait vouloir faire une pause au terme de cette longue tournée; on peut comprendre que, alors que pour beaucoup de groupes, le deuxième album fait souvent office de test, pour les AM, véritables stakhanovistes rompus au rythme d'un album tous les 1an et demi, le 6ème album représentera un véritable défi: comment, en effet, faire mieux, plus ambitieux et encore plus réussi que "AM"?
On se rassura toutefois en se disant que la carrière fulgurante du groupe a amplement montré à quel point il était capable de se renouveler, d'innover et de surprendre d'un album à l'autre. Peu importe, finalement, la longueur de la pause: pour 2, 3, 4, 5 ans (plus?), il sera certainement difficile—sauf surprise—de trouver un concurrent à "AM". Turner et consorts peuvent se reposer tranquillement, sûrs d'avoir écrit une des plus belles pages de l'histoire du rock.