Les aventures de Steven au cours de "Welcome to my Nightmare" ont confirmé qu'Alice Cooper pouvait très bien exister en tant qu'artiste solo. L'album s'est fort bien vendu, appuyé par l'émission "The Nightmare", sorte de comédie musicale télévisée durant laquelle même Vincent Price rejoint Vincent Furnier dans une sarabande macabre peuplée de démons et de squelettes dansants. Cette fois, Alice s'enfonce plus loin encore dans le gouffre et c'est bien l'enfer qui servira de pays des merveilles à ses nouvelles tribulations. Pour le coup, Alice Cooper assume son pseudonyme avec bonheur, surtout le prénom, et s'il n'y a pas de Lapin Blanc, l'album nous promène quand même à travers des paysages pitoresques d'un autre côté du miroir qui emprunte également au Pays d'Oz, nous le verrons.
Pourtant, les graines de la décadence sont déjà plantées et de nombreux indices nous montreront que tout n'est pas merveilleux au pays d'Alice Cooper, loin de là. Le personnage qu'il s'est créé a beau fasciner, l'homme derrière le masque se révèle plus complexe qu'il n'y paraît et sa vie réelle comporte des rebondissements dignes de la fiction dans laquelle il s'inscrit. "Goes to Hell" n'en est que la partie visible.

"Go to Hell" est l'introduction en forme de réquisitoire qui conduit le malheureux Steven (avatar de l'avatar si on peut dire) à sa destination peu enviable. Les choeurs développent les chefs d'accusation à l'encontre du jeune homme incluant les actes de violence sur scène (vous avez dit "poulet" ?) et autres déviances. Sur des rythmes tribaux et des guitares incandescentes, on comprend que la fête se fera aux dépends du pêcheur et que le calvaire n'en est qu'à ses débuts. On retrouve absolument le domaine des comédies musicales, toujours très attaché au chanteur et baignant le cauchemard précédent. L'enfer surprend quand même un peu, il ressemble moins aux tableaux de Jérôme Bosch qu'à un épisode dégénéré de "La Croisière s'Amuse".
Mais l'enfer au fond c'est quoi ? L'enfer c'est les autres ? C'est soi même ? Oui, mais pas seulement. En 1976, pour une figure de proue du hard-rock, l'enfer c'est aussi cinq lettres marquées au fer rouge, l'enfer musical c'est le DISCO ! Au moment de l'album, le combat qui motive Alice Cooper, c'est celui qu'il mène contre cette forme de musique qui, à coups de grosse caisse sur chaque temps, mine tout ce qui avait été bâti jusqu'alors. Ici, avec "You Gotta Dance", suivant le thème de "On Achève Bien les Chevaux", on assiste à une version disco de la danse macabre. On imagine assez bien les morts-vivants en col pelle à tarte et pantalon patte d'eph' rivaliser d'audace dans une éternelle battle disco.
Le diable lui même prend la parole dans le groovy "I'm the Coolest" avec une voix méconnaissable d'Alice Cooper particulièrement grâve et ... ben... cool. Le côté jazzy du morceau rappelle certains passages de "School's Out" ou "Muscle of Love" avec une ironie bien placée.
"Didn't we Met" avec sa naïveté apparente arrive comme un contrepied, la voix du chanteur se plaçant à peu près à l'opposé de la précédente, c'est bel et bien celle de Steven du "Nightmare", toujours perdu, avec ce quelque chose de candide s'il n'était censé être un meurtrier doublé d'un nécrophile. L'interprétation est habitée, les rythmes à la fois rock et kitsch 70s, tout à fait représentatifs de cette période du Coop'. L'enchaînement se déroule à merveille vers le "I Never Cry" premier disque d'or du chanteur et chanson qui suit directement la filiation de "Only Women Bleed". C'est clairement le morceau à émotion de l'album, certainement un peu naïf mais pas moins poignant de sincérité. Les paroles dévoilent ce que les photos où le chanteur apparaissait euphorique aux côtés d'un John Lennon en plein lost week-end, ou Budweiser à la main laissaient à supposer. Effectivement l'alcoolisme est le véritable enfer dans lequel s'enferme Alice Cooper, la chanson laisse peu de place à d'autres interprétations qu'à celle d'un vibrant appel au-secours.
"Give the Kid a Break" tire dans le même sens, mais avec humour cette fois ci. On y voit le personnage négocier tant bien que mal son âme auprès d'un diable peu convaincu. Le chanteur assume les deux voix, la même que sur "I'm the Coolest" en alternance avec celle de Steven. Bien-sûr il n'obtiendra aucun succès, les choeurs eux même se retournant contre lui sur la fin d'un morceau qui se change peu à peu...en disco, c'est mauvais signe ! On est dans la pure comédie, élément majeur chez Alice Cooper, presque plus que tout le décorum macabre. Le piano et les choeurs donc font de ce morceau une amusante pièce tout à fait théâtrale particulièrement réussie.
Après la dépression et les négociations vient l'acceptation, ce n'est pas moi qui le dit. Donc "Guilty" voit Steven se résoudre à son destin funeste en adoptant le côté dansant et festif du disco mêlé au rock pour signifier sa résignation. Le glam rock n'est pas très loin non plus, et l'ambiance est communicative.
Pourtant, les étapes se brouillent avec le doux et naïf "Wake me Gently" qui résume le tout à un nouveau cauchemar sans importance. Le déni en somme ! Avec un renfort de carillons, de guitares sèches et de voix apaisés, on sent le malheureux Steven s'enfoncer dans son délire. Le tout explose en ballade taillée pour les radios et pour laquelle on sortirait volontiers son briquet. L'enthousiasme débordant du personnage fait de la peine, car on comprend ici que c'est globalement foutu, n'en déplaise aux envolées de violons !
"Wish You Where Here" confirme cette idée, cette fois c'est mort, le disco emporte la mise, avec un certain côté exotique façon croisière à renforts de bongos et maracas. Il s'agit ni plus ni moins d'une carte postale à l'ironie cruelle postée depuis le plus chaud des cercles infernaux. C'est sûr que la météo est clémente, pas de doute là-dessus, la chaleur est un peu plus que tropicale !
"I'm Always Chasing Rainbow" enfonce le clou. Cette fois on nage en plein délire et Steven est définitivement perdu ! La chanson est une reprise du standard popularisé entre autres par Judy Garland (alors que Liza Minelli était déjà présente en chair et en voix sur "Muscle of Love" ) et l'instrumentation se paie le luxe de reprendre sur la fin le thème du "Magicien d'Oz" justement, si jamais les choses n'étaient pas suffisammment claires. Alice Cooper y manifeste une nouvelle fois son humour fait d'auto-dépréciation et de noirceur résignée. "I'm Going Home" s'enchaîne directement, plus naïf encore, porté par une orchestration grandiloquente, sirupeuse et faussement optimiste. Steven se réjouit tant de rentrer chez lui, "no place like home" disait Dorothy, que c'en est suspect. L'auditeur n'est pas dupe, les clochettes et les violons n'y feront rien, on sait que la damnation attend patiemment la friandise que constitue son âme particulièrement torturée.

Et c'est la fin !

"Goes to Hell" est un peu frustrant. On s'attend à quelque chose de l'envergure de "Welcome to my Nightmare" puisqu'il est censé en être la suite directe et on reste sur notre faim. L'album ne manque pas de qualités, mais il répète un peu trop la formule de son prédécesseur et peine à renouveler le génie en ne proposant pas vraiment de morceaux majeurs. On sent par ailleurs que le chanteur est déjà un peu ailleurs, moins investi comme le suggère le recyclage de la photo période "Billion Dollar" qui fait office de couverture. Comme dit un peu plus tôt, le véritable enfer n'est pas le disco mais l'alcool, il conduira Alice Cooper à l'étrange "Lace and Whiskey", manifeste délirant et déspespéré d'un homme à bout. Le personnage de Steven entrera en hibernation pendant un bon moment, on ne le verra réapparaître que subrepticement au détour de "DaDa" , "Hey Stoopid" ou "Along Came a Spider" avant de connaître la fin de son destin tragique dans le récent "Welcome 2 My Nightmare".

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le 29 oct. 2013

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I Reverend

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