... And Star Power
6.3
... And Star Power

Album de Foxygen (2014)

C’est un peu plus d’un an après le fabuleux « We Are The 21st Century Ambassadors of Peace and Magic » que les désormais quatre membres de Foxygen reviennent avec leur troisième opus, presque sobrement intitulé « … And Star Power ». Presque, car si 2013 fut l’année d’une certaine consécration pour le duo de musiciens Sam France et Jonathan Rado, elle fut aussi le théâtre de quelques dissensions, dont on eut écho tant par les annulations de tournée en Europe que par les tweets d’Elisabeth le Fey, petite amie de France qui accompagnait le groupe sur scène à l’époque. Mais ces soubresauts sont désormais derrière eux et le groupe nous revient avec la présence de deux nouveaux membres, Shaun Fleming et Justin Nijssen.


Et le moins que l’on puisse dire, c’est que leur nouvel effort collectif frise le suicide commercial. Par sa durée déjà, devenue relativement inhabituelle dans l’indie pop et la pop en général. Une heure vingt et des poussières pour 24 titres, tout de même. Mais au-delà de ça, c’est la structure même du disque – plus que celle des morceaux – qui étonne et force autant l’admiration que la moquerie, selon que l’on aime ou non la démarche et le disque qui en résulte. Quatre faces pour cinq parties bien distinctes et toutes gouvernées par un fil directeur musical ou thématique. On est loin de la fraîcheur et de la facilité d’accès du deuxième album, qui préférait torturer les structures internes des morceaux tout en restant direct et concis. Ici, le groupe nous embarque ni plus ni moins pour un grand voyage musical à la limite du délire et du trip cosmique.



Cela démarre d’emblée, avec les bruits d’avion (imités) et le titre même de « Star Power Airlines », sorte de préambule du disque. Première escale sur la partie intitulée « The Hits », on devine l’intention, tout sauf innocente, qu’a le groupe de se débarrasser de son style d’antan et de ses prétentions commerciales. Les quatre morceaux qui suivent délivrent une pop soignée et sous influence qu’on connaissait déjà, à peu de choses près, grâce à l’album précédent. Ici on sera plutôt dans une ambiance californienne très « summer of love », là dans une pop frenchie presque yéyé, ou encore dans un registre proche de la Motown des débuts. Le groupe excelle dans ces glissements de style et dans l’imitation intelligente, c’est-à-dire la réinvention. Mais ces « tubes » autoproclamés – dont sont d’ailleurs issus les deux singles du disque – sont presque trop sages, trop innocents par rapport à ce que l’on a connu et surtout ce qui va se produire. En effet, la suite éponyme « Star Power » vient chambouler une première fois le schéma en place. Le groupe investit le champ de la suite de morceaux, exercice phare du prog de tous temps et relancé notamment par Arcade Fire avec « Funeral » il y a déjà dix ans. « Star Power » monte d’un cran dans l’originalité et la démesure, mais le groupe garde encore quelques atouts dans sa manche.



Les deux parties suivantes constituent en quelque sorte le cœur de l’album, son long paroxysme et ses éléments les plus riches musicalement. C’est tout d’abord un retour à une pop plus conventionnelle sur « The Paranoid Side », mais déjà quelques alertes : structures éclatées ou planantes sur « Mattress Warehouse », jam farfelue avec « 666 ». Les thèmes s’assombrissent peu à peu et le ton se fait plus rock. Sur « Journey To Hell », le groupe délivre enfin la clé de son propos. Cette mini odyssée psychédélique n’avait en fait pour but que de nous amener sur ces quelques morceaux complètement furibards, libres et frénétiques. Tout y passe, de la reprise déguisée d’un thème de Requiem for a Dream sur « Cold Winter /Freedom » à l’autocitation à moitié avouée de « On Blue Mountain » du précédent disque sur « Freedom II ». Sur ces quelques morceaux constituant indubitablement le sommet d’intensité de l’album, Sam France dépasse les accents Mick-Jaggeriens habituels de sa voix féline et devient une sorte de gourou en transe, hurlant, vociférant (et gesticulant quand il est sur scène), à mi-chemin entre un Iggy Pop au sommet de sa forme et l’élégance dandy androgyne de Bowie, Lou Reed ou, donc, du père Jagger. Ce type incarne sa musique autant que l’énergie folle qui s’en dégage et pendant ces quelques morceaux, l’album passe de simplement bon et osé à quelque chose de pratiquement indescriptible. Évidemment, les deux derniers titres, rassemblés sur une ultime partie, « Hang on to Love », forment le nécessaire retour à l’ordre et à l’harmonie et réconcilient le groupe avec une pop plus calme et sucrée. Jusqu’aux dernières secondes de l’album, qui sonnent comme un ultime envoi un brin hystérique en forme de pirouette finale.



Un disque non seulement ambitieux mais complètement fou, et par là-même sujet à plus de failles ou de scories que le précédent. Mais l’audace et le talent de ses auteurs paient et c’est finalement le respect devant un geste artistique démesuré et presque inouï qui l’emporte. Un véritable feu d’artifice, roublard et insaisissable à souhait.

Créée

le 2 nov. 2014

Critique lue 411 fois

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Krokodebil

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