L'homme sans âge que la vie d'avant a sculpté comme une pierre d'opale avance dans un sable noir et mouvant lui interdisant toute pause. Parfois pris de fatigue, d'une pensée perdue ou d'un remords obscur il ralentit ses mouvements et sent le sable qui le tire pour l'avaler comme pris dans l'antre d'un fourmilion. Il est seul, fort et brisé, faible et courageux. Le vent agite délicatement sa toge brune imprimant sur le fond du paysage figé une tache mouvante. Point de Soleil dans ce ciel rouge, pourtant une luminescence brulante éclaire la planète. Des éclats de lumière éclaboussent les dunes créant des ombres étranges misérables ou grandioses. La paix qui règne accentue l'impression d'une tristesse grise et désolée.
Les pieds nus scandent une musique douce ou la lenteur est synonyme de beauté, de pureté et d'une volonté inébranlable. Encore marcher, avancer dans un silence assourdissant de vide. Brisant ce mystère incompréhensible l'homme laisse échapper de ses cordes vocales des sons plaintifs et longs. Les hululements d'une douceur magnifique le protègent de l’aberration, colmatent ses fissures et le mettent à l'unisson de son environnement splendide, immense désolation carcérale. Ce n’est plus une voix humaine mais comme une trompette tordue qui se déchire, chante pour finir par pleurer. Les sons jaillissent et aspergent la toile de fragments invisibles. Les yeux sans pupilles, petites fenêtres insuffisantes fondus dans l'opalescence de sa peau glacée cherchent, tournent et virevoltent de gauche à droite, de haut en bas ou bien est-ce le rythme de sa plainte qui les actionnent, leur conférant un déplacement incantatoire proche de l'extase du vaincu. Rentrant ses bras entre les pans de son vêtement il le laisse glisser au sol puis poursuit sa marche nu comme au premier jour, encore plus libre puisqu’il n’a plus rien, juste sa souffrance et sa joie. Il est une pierre qui bouge blanche craie sur un fond noir et rouge brillant. Toujours ce chant déconcertant qui l'accompagne rythmant sa marche. Tour à tour moelleux, tendre, sensuel puis au détour d'un ostinato il dérive vers la folie ou l'horreur mais toujours il revient vers des mélodies de pureté qui l’élèvent au dessus des sables gourmands comme un moine lévitant au dessus des gisants. Par moments sa lamentation cesse et il lui semble entendre venant de si loin le bruit des Soleils en fusion, gémissements célestes, fracas innommables, échos d’infinis insondables qui l’enferment dans son délire. Alors il se met à tourner comme une toupie ivre qui lutte pour ne pas s’arrêter. Sa rotation lui procure un plaisir indéfinissable et lui confère l’immunité temporaire du déséquilibré. Droit, penché, tourner, pencher encore, ne pas tomber, conserver cet équilibre précaire, qui est sa force vive, rage du vivant, du corps en mouvement. Il peut croire, il peut oublier, il n’est plus rien et une fois encore, une dernière il s’élève dans un tourbillon de grains poivrés au dessus du monde, plus haut si haut que le ciel pourpre semble l’avaler. Toujours il retombe puis reprend sa marche sans comprendre sans savoir vers quels gouffres mystérieux il s’avance. Au détour d’une dune alors qu’il n’y croit plus apparait un autre être qui lui ressemble tant. Une femme, comme lui perdue dans le paysage désertique. Parfois elle aussi s’élève et puis retombe. Sa danse l’émeut. Bien sur il comprend son chant ce hululement qui résonne au creux des monticules de sable. Elle est lui il est elle. Dans un effort sublime ils se rejoignent, leurs mains se tendent, leurs mains se touchent, puis inexorablement, leurs mains se détachent, leurs mains s’éloignent. La distance se crée et s’agrandit. Enfin Elle n’est plus qu’un point au faite d’une colline mouvante puis lentement elle disparait. L’homme s’arrête alors il lève ses bras vers le ciel inclément, ouvre sa bouche et laisse son chant monter. Son ventre gémit, ses boyaux se tordent et ses poumons se vident. Petit à petit il s’enfonce mais la musique qui vient du fond de son cœur lourd d’une encre de détresse jaillit encore plus forte.
Le sable l’engloutit et pendant quelques secondes l’écho de sa mélodie calme et pure rebondit puis s'éteint au flanc des dunes.

SombreLune
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le 21 nov. 2019

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