King Gizzard frappe là où on ne l'attend pas.



Certes, cette phrase, on peut la placer pour un peu n'importe laquelle de leur sortie, mais quand même, ça fait un moment qu'on n'en a plus eu l'occasion. On a eu les deux continuités microtonales, et l'album metal, qui était leur sortie improbable la plus prévisible. Mais alors, un album synthpop, décrit comme "mélodique + psychédélique", voilà qui ne pouvait que interroger !... Quand on entend des choses pareilles, on peut se dire que Stu Mackenzie et sa clique aurait laissé tomber les guitares 70' pour glisser vers les gros synthés des années 80. Et on ne peut s'empêcher de penser à tout ceux de la trempe de ce traître de Kevin Parker, dont le changement de décennie aboutit rarement à un résultat satisfaisant (bon je m'emporte un peu, mais je suis autant admirateur de Lonerism que détracteur de the Slow Rush).


Comme on ne change pas une bonne habitude, le groupe parvient à attirer l'attention dans sa communication. Car aucun single n'étant sorti, personne ne pouvait savoir ce que cela allait donner ! Depuis, il se sont bien rattrapés, en nous sortant un clip par semaine, un par chanson, de quoi nous occuper pour l'été (Petit update : voici une compil regroupant tous les clips). Mais il est temps de voir ce que donne cet album tiré de ce courant mal nommé qu'est la neo-psychedelia.


Et comme toujours, c'est un chef-d'œuvre (ouais bon, je suis déjà plus très rationel, mais c'est surtout que ça fait un pti moment que j'ai pas pu aduler ce groupe). Car s'il y a une règle que King Gizzard a su appliquer dans cet album, c'est que la mélodie est reine. Et à l'inverse de leurs confrères qui nous sortent des bouillies surproduites (métaphore subtile), c'est la simplicité qui prône dans la composition. La recette est simple : des boucles de synthés mélodiques, et pour remplir on compte sur la batterie, la basse, le chant. Et pourquoi pas un peu de remplissage avec des guitares. C'est là le gros changement qui opère sur Butterfly 3000 : la guitare qui tenait toujours la première place (j'exagère même pas) perd la vedette pour des claviers. En fait, les passages sophistiqués sont dû quasiment aux seuls synthés. Il y est également travaillé la polyrythmie, qui donne des décalages intéressants. Comme le dit Stu lui-même dans une interview : "A cause de la magie des polyrythmes, si un élément est en 13 et un autre en 9, il existe un nombre de combinaisons et de permutations énormes". Et j'irai même plus loin, en affirmant que l'album est sans doute l'un des plus complexes rythmiquement du groupe pour ne pas dire le plus complexe. Prenez l'exemple de Shanghai : la boucle en 19/8 qui se décale lentement sur l'accompagnement en 4/4. Plus alambiqué, l'intro de Catching Smoke. Lorsque la mélodie du synthé est en 9/4, la batterie est en 11/4, tandis que la voix est en ternaire (et la suite est encore pire, moi je suis perdu)... Alors certes, ça sonne un peu comme de la branlette, mais je trouve que non seulement cette volatilité rythmique permet justement cette puissance insoupçonnée. Pour un album qui se veut aussi pop, je ne peux que saluer !


Heureusement, les autres instruments peuvent de temps en temps avoir leur petit moment de gloire. L'album est parsemé de quelques excellentes lignes de basses bien mises en valeur (comme sur Yours), on sera ravi de constater que le départ d'Eric Moore n'aura pas affecté la puissance de la batterie (il suffit d'entendre l'intro très krautrock de Interior People -ma chanson préférée- pour voir que Michael Cavanagh s'en sort toujours aussi bien), et pour les aficionados de guitare, il y a toujours Black Hot Soup qui aurait pu figurer dans Oddments, c'est dire si le "style Gizzard" parvient à se perpétuer !


Il faut dire aussi que le ton général de l'album diffère des autres. Pas moyen de headbanger dessus !! Le résultat, coloré et fait pour être passé durant tout l'été, est plutôt euphorique, malgré la dimension rythmique très présente, comme toujours chez king gizzard. La faute aux gammes majeures qui ponctuent l'album, certes, mais aussi aux thèmes évoqués. Byebye les dysphories écologiques où des gens tentent de fuir une Terre inhabitable pour se rendre sur Vénus sauf qu'ils se font attirer par le Soleil et qu'ils meurent tous brûlés vifs ! À la place de ça, des textes qui incitent à profiter du temps présent, mettant en valeur un certain hédonisme comme pour Shangai ou Catching Smoke (métaphore subtile). Mais aussi en parallèle le thème de la métamorphose qui se ressent, le besoin de changer de s'adapter. Que ce soit par rapport au confinement (Interior People) ou par le fait que Stu soit devenu père (Yours, Butterfly 3000). La métaphore du papillon prend maintenant tout son sens...


Et le tout forme un ensemble vraiment construit. Oui bon ok, les "concept-albums-qui-font-que-tous-les-morceaux-semblent-n'en-former-qu'un", c'est vu et revu chez King Gizz, en témoigne la flopée de live qu'on s'est mangé l'année dernière et qui manifeste leur amour du medley. Et puis, il y a le maître en la matière : Nonagon Infinity. Mais il faut avouer aussi que s'il y a quelques (très) bons exemples, c'est que ça ne fonctionne pas toujours, au risque que les transitions paraissent forcées. Rappelez-vous cette trilogie microtonale, dont les transitions étaient très hasardeuses (bordel le passage entre Slift Drifter et Billabong Valley est tellement douloureux)... Heureusement, ici ça fonctionne, grâce à une certaine cohésion entre les différentes boucles synthétiques. Le seul morceau pour lequel je n'arrive toujours pas à rentrer dedans, c'est Blue Morpho et ces accords dépressifs qui font beaucoup trop penser à Pyramid Song de Radiohead...


Si l'album est vendu par Stu Mackenzie comme le plus facile d'immersion aux non-initiés, Joey Walker avait paradoxalement parlé d'un album qui diviserait. Et il est vrai que Butterfly 3000 soit probablement l'œuvre la moins accessible pour les fans du sextet, en allant encore une fois vers de nouveaux horizons. Heureusement, j'ai l'impression qu'il est plutôt bien accueilli ici. Assez curieux de voir ce que ces morceaux vont bien pouvoir donner en live.

poulemouillée
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs albums de King Gizzard & the Lizard Wizard et Les meilleurs albums de 2021

Créée

le 10 juil. 2021

Critique lue 352 fois

4 j'aime

4 commentaires

poulemouillée

Écrit par

Critique lue 352 fois

4
4

D'autres avis sur Butterfly 3000

Butterfly 3000
GuillaumeL666
7

I only wanna wake up in my dream

Décidément, ce groupe m'impressionne, il est tellement productif que je finis toujours par rattraper le dernier album en date quelques semaines après sa sortie. Dans quel style s'est donc embourbée...

le 1 sept. 2021

4 j'aime

Butterfly 3000
poulemouillée
8

Happy Songs for Happy People

King Gizzard frappe là où on ne l'attend pas. Certes, cette phrase, on peut la placer pour un peu n'importe laquelle de leur sortie, mais quand même, ça fait un moment qu'on n'en a plus eu...

le 10 juil. 2021

4 j'aime

4

Butterfly 3000
BigVerodollydodo91
10

D'une qualité rare

Aucun mots ne saurait décrire selon moi la beauté de cette oeuvre, qu'une fois de plus je juge comme majeure. J'ai beaucoup aimé les remixes, mais je ne saurai expliquer pourquoi j'aime tant et...

le 12 avr. 2024

Du même critique

Stup Forever
poulemouillée
5

Cinquième ère : Il est temps de mourir

Comme un peu tout le monde, je suis surpris par la sortie de cet album auquel personne n'imaginait sa venue. Il faut dire que Stup Virus, sorti il y a déjà 5 ans de ça, était déjà un album un peu...

le 16 sept. 2022

28 j'aime

12

The Lamb Lies Down on Broadway
poulemouillée
10

Voyage au bout de l'enfer

Comment présenter le Genesis des années 1970 ? Simplement, on pourrait dire que Genesis se fait remarquer sur la scène progressive non seulement pour sa musique, au structures complexes mais très...

le 1 sept. 2018

18 j'aime

1

Larks’ Tongues in Aspic
poulemouillée
8

5e Roi Cramoisi : L'imprévisible

Après le succès plutôt mitigé d'Islands, Robert Fripp, le leader du groupe (même s'il n'aime pas être nommé ainsi) décide de jeter tout le monde, y compris Peter Sinfield son plus ancien...

le 26 mars 2017

16 j'aime

2