Chocolat
4.9
Chocolat

Album de Roméo Elvis (2019)

Un seul Motel vous manque et tout est dépeuplé

Ah, les joies de Pâques ! Dieu bénisse ce week-end de 3 jours, généralement placé sous le signe du rassemblement familial, de l’abondance alimentaire, et plus accessoirement d’un mec chevelu qui a tenu 48h au jeu de cache-cache. Autant vous dire que Redoine Faid et Oussama ben Laden ne sont que moyennement impressionnés.


Sorte de sous-Noël, la période pascale est là pour vous rappeler pourquoi vous ne revoyez pas si souvent votre famille. Entre le conspirationnisme éhonté de votre oncle (qui attribue l’incendie de Notre-Dame aux francs-maçons), le racisme assumé de votre grand-père (qui attribue l’incendie de Notre-Dame aux connards d’immigrés) et l’homophobie revendiquée de votre belle-mère (qui attribue l’incendie de Notre-Dame aux pédés, quels qu’ils soient), le déjeuner dominicalo-pascal se révèle plutôt avare en réjouissances malgré son apparente opulence.


Mais qu’importe, puisqu’en bon enfant attardé, tout ce qui compte à vos yeux, c’est le chocolat. Après tout, c’est bien cette même fève de cacao qui vous a accompagné(e) dans les hauts et les bas de votre vie, et Dieu sait à quel point vous en aviez besoin après la mort de La Boule de Fort Boyard en 2014 l’éviction de Julien Lepers de Questions pour un Champion en 2016. L’excitation de la chasse aux œufs ne vous atteint plus ? Tant pis pour la beauté du sport, l’attrait d’un œuf géant kinder surprise l’a depuis longtemps surpassée. Vos papilles jubilent, votre estomac vacille : il est venu le temps de la crise de foie. Et c’est ainsi qu’après 3 heures de repas acharnées, vous pouvez enfin vous retirer, pataud mais satisfait.


Vous l’aurez compris, quoi de plus approprié que ce lundi de Pâques pour parler de Chocolat, dernier album en date de Roméo Elvis ?
L’attente était palpable autour de la sortie du premier album du rappeur belge. Tout d’abord parce qu’après deux EPs Morale et Morale II d’excellente facture et quelques collaborations bien senties, le natif du plat pays avait été propulsé sur le devant de la scène de la nouvelle vague rap francophone, et forme à l’heure actuelle avec sa sœur Angèle le power couple le plus en vue de ces dernières années avec les frangins de PNL.
Mais aussi parce qu’il s’agit de son premier album en solo, lui qui avait auparavant collaboré avec son producteur Le Motel, qu’il n’hésitait pas à citer et plébisciter dans la plupart de ses morceaux. A juste titre, tant le talentueux bruxellois avait su créer une alchimie fusionnelle entre ses productions électroniques jazzy et léchées, et le phrasé rauque et titubant de son compatriote.


Le mc Roméo tourne donc une page et entame une nouvelle étape dans sa carrière en lançant Chocolat, son premier projet solo d’envergure. Et pour reprendre ses termes :



Tous les autres, tous les autres, tous les autres / Sautent sautent dans le bordel / C’est juste moi sans Le Motel / Les autres sont dans le chocooooo




Chocolat blanc



Tout d’abord attardons-nous sur la pochette du disque.



Tout compte fait, ne nous y attardons pas.


Niveau production, Roméo Elvis a fait dans l’éclectique. On y retrouve l’énigmatique Vladimir Cauchemar sur une bonne partie de la tracklist, les très en vogue Eazy Dew ou Seezy, mais aussi d’anciens collaborateurs du Roméo comme Vynk et… Le Motel ! Côté featurings, c’est également varié, avec les artistes flamands Zwangere Guy et Témé Tan, et de manière plus surprenante, notre -M- national et, excusez du peu, Damon Albarn en personne !


Cette variété se retrouve dans les 19 morceaux qui composent cet album. Roméo Elvis a voulu se faire plaisir en touchant à une multitude de styles. Son flow polymorphe se transforme au gré des différents morceaux, alternant douceur et violence, rappé et chanté, trap et nouvelle variété. Le rappeur belge se livre également dans ses textes, très personnels et volontairement plus critiques et matures : sa relation avec le succès, la réputation dont il a hérité, sa vie amoureuse, le décès de ses amis, son regard actuel sur les folies de sa jeunesse, sur la politique de son pays… Plus de temps pour de l’ego trip bassboosté, Roméo est devenu un jeune adulte réfléchi.
L’histoire est touchante, les intentions sont louables, le personnage est attachant, et pourtant… Ça ne marche pas.


Utilisons ici une métaphore animalière : Roméo Elvis est un jeune chien. Le Motel a été sa laisse pendant la première partie de sa carrière, et a permis de canaliser sa fougue canine en le transformant en docile quadripède. Laissé à présent sans laisse, ce dernier court, aboie, s’agite dans tous les sens, sans cohérence aucune.


A vouloir trop en faire, Roméo s’est perdu. Passons rapidement sur Malade, à l’impressionnante instru plus grande que nature, et Perdu, où les chœurs gospels, bien que vus et revus, s’accordent avec justesse à la voix délicate et plaintive de Damon Albarn et au phrasé chaleureux et délirant du rappeur. Ce sont à mes oreilles les deux seules réussites de l’album, noyées dans un océan de chansons tantôt tout juste moyennes, tantôt franchement mauvaises, mais toujours décevantes au vu du potentiel du Belge.


Le flow de Roméo Elvis semble ne jamais trouver sa place sur les instrus. Ses textes sont d’une accablante lourdeur, sans finesse ni poésie aucune, et on a parfois l’impression d’entendre un collégien stressé lire un exposé pour la première fois devant sa classe. La Belgique Afrique ou 194 en sont les exemples les plus marquants : malgré la gravité des thèmes abordés, Roméo perd toute crédibilité en zozotant comme un sjw puceau qui s’excite derrière un écran sur un article konbini.


Les gimmicks sont extrêmement maladroits pour ne pas dire totalement ridicules (La Belgique Afrique, Cœur des Hommes) l’utilisation de la polyphonie est immonde (Normal, Soleil), et de manière générale, les morceaux semblent ne pas avoir été réécoutés avant parution. L’ingé son a dû s’endormir au moment de mixer 194, Normal ou 3 étoiles, où l’aspect extrêmement « gras » de la texture sonore laissera perplexe n’importe quel auditeur doté d’un casque audio de qualité moyenne. Et je me fous qu’on me dise que ce soit voulu ou non, le rendu final reste dégueulasse à l’oreille.


Chocolat est une des plus grosses déceptions de 2019. Je n’en voudrai jamais à un artiste de vouloir se renouveler (ce qui serait extrêmement malvenu de la part d’une personne vouant un culte absolu à David Bowie), mais force est de constater que sur ce projet, le rappeur belge n’a pas su s’entourer des bonnes personnes. Il tente, expérimente, réessaye, mais finit par s’essouffler à force de gesticuler dans tous les sens. 19 morceaux de Chocolat plus tard, une bonne grosse crise de foie.



  • En quelques mots : Une bonne grosse crise de foie au chocolat Lidl

  • Schoko-bon : Malade, Perdu

  • Schoko-mou : Viseur, Bobo

  • Schoko-pute : Soleil, 194, Normal, 3 étoiles, La Belgique Afrique

  • Note finale : 3+

JLTBB
3
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le 22 avr. 2019

Critique lue 918 fois

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