Civilisation
6.3
Civilisation

Album de Orelsan (2021)

La particularité de Civilisation, et c'est pour ça que ce nouvel opus d'Orelsan fait autant parler de lui, c'est qu'il a été commercialisé en 20 versions différentes (dont une où le CD est signé, une autre limitée à 5 exemplaires avec un pass pour tous les concerts du rappeur à venir), ce qui a non seulement boosté ses ventes en CD mais permet au disque de terminer platine en une semaine. Bon attention, quand je dis platine c'est la certification platine de maintenant, on est clairement plus dans les années 90 de ce côté-là...


Et je sais que c'est extérieur à l'album en lui-même, ce principe, mais je me sens obligé d'en parler car un rappeur qui critique les influenceurs dans un morceau parce qu'ils nous font croire que leur vie est meilleure que la nôtre et avec des produits dont on a pas besoin, sur le papier ça me plait bien. Mais quand derrière la même personne vend 20 éditions différentes de son album qu'on ne peut à présent plus distinguer à l'achat (on tombe aléatoirement sur une version) pour que ses fans en achètent bien trop d'exemplaires pour que ce soit considéré comme raisonnable, je trouve que ça relève un peu de la mauvaise foi. Et moi je comprends bien que même pour un artiste il faut bien manger et que faire des versions différentes de son propre album pour en vendre un peu plus c'est devenu assez banal. Après tout suffit de voir Thirty Seconds to Mars avec ses 2000 pochettes différentes pour son album This Is War, Lana Del Rey dont Blue Banisters a été décliné en plusieurs versions, de même pour ABBA ou encore les nombreux vinyles couleur pour un même disque qu'on peut retrouver en magasin ces dernières années : ça marche. Ce qui me gêne c'est que là c'est aléatoire, et à la manière de stickers Panini pour les gosses, ça pousse à en acheter un nombre incalculable pour tout avoir.


Bref, ça c'est fait, on va enfin parler d'Orelsan et sa musique. Je l'ai découvert avec Peur de l'échec que j'avais aimé mais qui ne m'avait pas donné envie de creuser plus que ça à ce moment-là (faut dire que j'étais pas très curieux) et je me suis pris une bonne grosse baffe avec Le chant des sirènes. Un type qui racontait sa vie de jeune moyen fraichement devenu une star du rap et incarnait des personnages qui tapaient un peu sur tout ce qui bouge avec une production Pop/Electro, quand j'avais 15 ans ça me parlait bien. J'ai tellement aimé l'album qu'il doit faire partie de mon top 50 des disques les plus importants pour moi, même s'il n'était évidemment pas parfait. Et oui je fais partie de ces jeunes moyens qui n'écoutent que très peu de rap, je ne vais clairement pas faire mon connaisseur de ce côté-là (tout est sur mon profil SC de toute façon si vous voulez voir ce que j'écoute en Hip-Hop et en Rap pour mieux vous foutre de moi, y'a pas de souci). La fête est finie et Épilogue m'ont moins convaincu, mais c'est pas non plus les pires trucs que j'ai entendu de ma vie. L'influence de Stromae sur le premier m'a un peu gavé, l'influence du rap français mainstream actuel sur le second m'a soûlé aussi. Néanmoins y'a des titres que j'aime beaucoup sur cet album et sa réédition (San, La famille, la famille, Paradis...). Malgré les réécoutes mon avis à chaud n'a pas changé avec le temps sur ces opus.


Alors que vaut ce nouvel album, trois ans après Épilogue ? C'est un joyeux bordel.


De manière générale je ne trouve pas grand chose à redire aux textes de l'album. Je suis persuadé qu'Orelsan était capable de proposer quelque chose de mieux, de plus original, ça me parait évident, mais d'un autre côté c'est cohérent avec sa personnalité. C'est un grand ado prisonnier dans un corps d'adulte qui a des petites réflexions qui vont parler à tout le monde, et qui depuis quelques temps a une vie assez posée avec sa copine, loin des années où il n'était qu'un loser qui aimait glandouiller avec ses potes. Ce qui me dérange déjà un peu plus c'est que c'est parfois un peu redondant au niveau des thèmes abordés, le rappeur de Caen se répète et on a l'impression pour certains titres qu'il aurait pu les écrire il y a 4 ans. Par contre pour moi lorsqu'il introduit le titre Casseurs Flowters infinity en disant qu'il fait un album sur "la société et sur sa meuf", pour moi il se fourre un sacré doigt dans l’œil et c'est bête d'être à côté de la plaque comme ça. Parce que la société, il l'évoque surtout dans Manifeste et L'odeur de l'essence (où on a l'impression que le mec est persuadé d'avoir réinventé la roue alors qu'il balance des banalités empilées comme les lignes d'une liste de courses). Mais dire que les influenceurs, le star-système et les critiques sont trop nuls, désolé mais là c'est vraiment rester en surface, et comme ses albums précédents le disque parle surtout de lui. Ça parle de son ressenti, du fait qu'il se sente toujours un peu perdu dans la vie, la stabilité mentale que lui a apporté le fric et la rencontre avec sa conjointe, en bref ce que ça fait d'être un type de 39 ans qui ne se sent toujours pas si prêt que ça à être considéré comme un adulte. C'est cohérent dans la carrière de l'artiste, mais du coup je ne pige pas pourquoi il semble dire au premier degré que l'album parle juste "de la société et de sa meuf". Cela étant dit je trouve qu'il est plutôt bon lorsqu'il parle de sa chère et tendre. Bébéboa peut donner un sentiment de malaise (j'en reparlerai lorsque j'évoquerai la production de l'album) mais fallait oser le sortir ce texte-là quand même, parler de l'alcoolisme d'un proche avec légèreté. Oh et puis zut j'avais oublié le morceau sur l'écologie qui reste à nouveau bien trop en surface pour qu'on en ait quelque chose à faire. C'est pas en étant si gentillet que nos dirigeants vont se bouger pour trouver des solutions. Je sais bien qu'on a pour la plupart d'entre nous accepté le fait qu'on allait tous crever d'une catastrophe climatique assez proche, mais de là à en faire un texte en mode "Ça fait réfléchir, mais t'inquiète pas le prochain titre te donnera envie de danser" pitié quoi... Et puis encore parler de songer à tromper sa copine à 39 piges, ça donne vraiment une impression de disque rayé.


J'ai connu Aurélien plus en forme sur l'interprétation aussi. Sa voix est plus nasillarde que jamais, il est parfois à côté, que ce soit rythmiquement ou dans les notes atteintes (parce que oui le monsieur chante beaucoup maintenant), et j'ai l'impression que la plupart des pistes de voix principales ont été enregistrées en une prise. Pour les filtres sur la voix soit on met de l'Autotune à fond les ballons, soit quasiment rien, même pas de compression ou une égalisation qui pourrait être flatteuse pour mettre sa voix en valeur, non, à part sur L'odeur de l'essence et un petit peu Dernier verre, personne n'a voulu faire cet effort ici. Et dans Shonen j'ai l'impression qu'il chouine en étant pas pile sur les temps, en faisant fièrement rimer "hein" avec "hein"... On a vu plus percutant pour démarrer un album quand même.


Enfin, pour la production de façon globale, j'ai pas trouvé ça spécialement brillant non plus. J'ai jamais trouvé que c'était le gros point fort d'Orelsan, mais que ce soit Skread et Phazz, ils ont quand même une certaine personnalité qui permettent à Orelsan d'avoir un son plutôt unique et reconnaissable à la fois. Les basses bouffent toutes les autres pistes d'un morceau ou au contraire n'arrivent pas à lui donner du relief, Skread a beau s'éclater sur Ensemble ça sonne comme de la musique de supermarché où on aurait balancé une partie de basse slappée au milieu. Pour Bébéboa le décalage entre la musique et les paroles est intéressant, mais là encore ça sonne un peu cheap et je ne saurais expliquer pourquoi. J'ai l'impression d'écouter une instru de Lorie du début des années 2000 en version pas finie. Il y a un titre avec The Neptunes, on s'attend à du lourd, et hormis la voix d'Orelsan qui s'intègre un peu mieux dans le mix ça reste vraiment pas terrible (en plus d'être le titre le plus mauvais du côté des paroles). Quand on voit ce que Pharrell a produit pour Snoop Dogg il y a quelques années en comparaison, c'est le jour et la nuit.


Finalement, ça s'écoute pas trop mal, si vous adorez l'album faites-vous plaisir à le réécouter en boucle, le but de l'avis que je donne n'est clairement pas de faire la leçon à qui que ce soit. Mais j'ai vraiment le sentiment que quelques morceaux font office de remplissage, que ça a parfois été produit à l'arrache et surtout qu'Orel est capable de faire tellement mieux que je ne peux qu'être déçu.

GuillaumeL666
5
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le 28 nov. 2021

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Guillaume L.

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