Je ne vais pas commenter l'album en tant que tel mais l'oeuvre dans sa globalité. Ayant eu la chance d'entendre cette oeuvre des mains du compositeur lui-même, le grand Philip Glass, ainsi que des mains de 9 autres grands pianistes, j'ai pu me faire une idée assez précise des forces et des richesses de ces études pour piano.


D'abord, il faut comprendre ce qu'est une étude au piano et en musique de manière générale. L'étude est une pièce qui permet de travailler et de perfectionner sa technique. Les études au piano de Chopin, de Liszt, de Scriabine, sans parler de Bach, sont des classiques du genre. Bien plus que des exercices simplement techniques ce sont de véritables oeuvres.


Philip Glass se réclame de cet héritage. Le premier livre des études (à savoir les 10 premières) marque la volonté du compositeur de perfectionner sa technique (déjà excellente), bien que plusieurs soient des commandes de différentes institutions artistiques, ce qui montre qu'il ne s'agit pas de simples exercices. Le second livre (les 10 dernières) sont créées pour composer un ensemble cohérent et abouti. La perspective uniquement technique est loin même si les études nécessitent une technique assez remarquable pour être jouées.


D'ailleurs, Philip Glass s'inspire des célèbres études pour piano. Ainsi, la numéro 6, très intense et exaltée, se rapproche du style de Liszt. D'autres sont plus proches de la douceur de Schubert, un compositeur fondamental pour Glass. On trouvera aussi des influences jazz, et des leitmotiv, des thèmes qui reviennent, comme dans toutes études, variations et fugues.


Les études retracent la carrière musicale de Philip Glass. Rappelons que ce compositeur américain, qui a aujourd'hui plus de 80 ans, a mis 20 ans à parachever cette oeuvre, interrompu par une très grosse carrière musicale, aussi bien dans l'opéra, que dans la musique de films (The Hours, Koyaanisqatsi). Il a aussi marqué le jazz, la variété dans son ensemble (Brian Eno, Bowie). Il est un des ambassadeur de la musique américaine, de la musique classique contemporaine et probablement la figure la plus célèbre de la musique dite "minimaliste".


Revenons d'ailleurs sur ce terme de musique "minimaliste". Ce mot est assez impropre. Il sous-entend que c'est une musique simpliste. Certes ici un piano, un pianiste, suffisent pour interpréter la musique. Mais la technicité, la richesse des références éloignent les études de la simplicité. La musique minimaliste s'oppose en réalité à la musique dire sérielle, qui contrairement à ce que semble indiquer son nom n'est pas une musique répétitive mais une musique fondée sur une série d'éléments musicaux, atonaux, c'est à dire sans les tonalités classiques. Musique savante, mathématique, héritière des travaux de Gustave Malher ou de Schonberg notamment, elle représentait jusque dans les années 80, avec notamment en France Pierre Boulez, le grand mouvement contemporain de la musique classique. Philip Glass est très éloigné de ce style musical, plongeant volontiers dans des références plus traditionnelles. La mélodie, l'esthétique et la tonalité demeurent des horizons importants là où la musique sérielle brisait tous les codes "classiques". La musique minimaliste serait donc une musique plutôt épurée, qui revient à l'essentiel de ce qui fait l'esthétique musicale. Très facile à utiliser, immédiatement émotive et accessible, la musique "minimaliste", par son refus d'être élitiste ou trop absconse, très ouverte aux évolutions contemporaines (électronique notamment) et assimilée dans la culture populaire est finalement très universelle.


Pourtant ces études pour piano ne sont pas une oeuvre simplement agréable à écouter. Elles sont exigeantes techniquement et demandent d'apprécier un temps soit peu le piano. Philip Glass refuse la rupture avec la musique savante, bien que sa musique soit plus populaire. Il est une sorte de pont entre les deux.


Les 20 études pour piano de Philip Glass sont une oeuvre remarquable, faite de variations et de surprises, embrassant différents styles musicaux, mais toujours avec une patte mélodique particulière propre au compositeur. Ce style consiste à n'utiliser que quelques notes pour faire des motifs musicaux qui reviennent, à différents moments de l'oeuvre, sorte de refrain, presque de gimmicks, ce qui aura été reproché à Glass. L'ambiance qui se dégage de l'ensemble est pourtant profondément mélancolique et douce. La tonalité mineure, qui domine l'ensemble, n'y est pas pour rien mais c'est aussi le propre de la musique du compositeur, qui aime infléchir ses phrases musicales pour les teinter d'une légère tristesse. L'étude n°20 est presque une berceuse. Son style est tel qu'il a été mainte fois copié, en particulier dans la musique anglo-saxonne et dans les compositions de bande-originales. Il y a presque une sorte d'identité américaine propre à cette musique, et plus spécifiquement de la côte est, new-yorkaise, d'où provient Philip Glass. On imaginera aisément ces grandes maisons en bois au milieu de la forêt, baignée dans une lumière diaphane, ou l'austère froideur des immeubles de NY, les vitres, le métal et le fer, sans aspérités, si brillants qu'ils reflètent jusqu'à l'âme des promeneurs, baignés alors dans leur propre mélancolie.


20 nuances de piano.

Tom_Ab
9
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le 18 mai 2019

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Tom_Ab

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