Cyclone
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Cyclone

Album de Tangerine Dream (1978)

A partir de 1974, le rock progressif n’est plus. Ses principaux représentants se perdent dans leurs complexités et son marché, précédemment florissant, commence peu à peu à perdre de la valeur. Pourtant, c’est aux alentours temporels de ce retournement de situation que certains artistes, auparavant peu ou pas affiliés au genre, décident d’y plonger la tête en avant. Tangerine Dream entre dans cette catégorie. Déjà en 1976, le trio, à l’époque formé du légendaire line-up Froese/Franke/Baumann, annonce ses ambitions progressives avec Stratosfear, son septième album studio. Deux ans plus tard, malgré le départ de Peter Baumann, ces envies ont mué en une réelle direction artistique, ce en partie grâce (ou à cause, c’est selon) à Steve Jolliffe, nouvel arrivant, adepte tardif et avocat plutôt talentueux (comment a-t-il pu convaincre Froese et Franke de chanter…?) des excursions progressives. Ce dernier, malgré un talent certain pour le multi-instrumentalisme - la flûte en particulier - deviendra, suite à sa participation dans Cyclone, l’ennemi numéro un d’une bonne frange des amateurs du groupe, ce pour une simple et unique raison : il chante ! Dans un album dans Tangerine Dream ! L’affront aura pour conséquence le reniement irréversible de Cyclone dans son intégralité, tant par la presse que par les potentiels acheteurs.

Les vocaux hérétiques de Jolliffe ne sont pas la seule nouveauté en 1978 : l’autre nouveau venu, Klaus Krieger, maîtrise la batterie. La vraie batterie, non pas les boîtes à rythmes et les percussions précédemment employées par Chris Franke ou Edgar Froese. L’apport d’une réelle base rythmique percussive dans la musique de Tangerine Dream est sans appel : désormais, les influences progressives dans leur contemplation la plus rock sont aussi, sinon plus importantes que les bases électroniques alimentées depuis Ricochet. Aussi la couleur illuminée des vocaux de Jolliffe, en particulier sur « Rising Runner Missed By Endless Sender », permet-elle un rapprochement immédiat avec celle de Jon Anderson de Yes, au grand désespoir de beaucoup, ce dernier n’étant pas spécialement dans les bonnes grâces du monde musical de 1978 (Tormato). Plutôt déplaisantes, voire simplement désagréables, les cinq minutes du morceau cité ci-dessus font généralement partie de l’argumentaire par défaut du parfait haineux de Cyclone : tout y est pressant et désordonné. La voix de Jolliffe, fausse et énervante, et la courte durée du morceau en comparaison des deux autres montrent l’étendue du pouvoir de ce dernier sur ces camarades à cette période. Mais pour combien de temps… ? L’histoire ne sera pas indulgente avec lui : une fois Cyclone sorti et les réprimandes critiques lâchées, Jolliffe est immédiatement renvoyé et l’album peu à peu renié par Tangerine Dream, notamment Edgar Froese qui le considère encore aujourd’hui comme une erreur de carrière.

Cyclone est à des lieues de l’œuvre honteuse excommuniée par tous. Les influences progressives sont digérées et retranscrites dans une logique alternance entre parties séquencées électroniques et parties instrumentales progressives. Parfois, les deux se fondent en une, comme sur « Bent Cold Sidewalk », l’épique premier titre où, une fois les parties chantées repues, la sublime flûte agrémente le séquençage hypnotique de Froese. Outre le timbre de Jolliffe, certains passages de Cyclone rappellent irrémédiablement Yes, dans la clarté du son, dans son aspect séraphique. Tout n’est pas aussi maîtrisé, complexe ou lumineux qu’un « Awaken » (Going For The One, Yes 1977), mais pour du Tangerine Dream, l’effort est notable. Il préfigure directement les ambitions futures du groupe. Les vingt minutes de « Madrigal Meridian » opèrent en territoire plus connu des habitués : séquençage, synthétiseurs et ambiances atmosphériques sont l’apanage de ce bon titre quoiqu’un peu répétitif, à considérer tout de même parmi les travaux réussis du Dream de l’époque.

En bref, Cyclone est à Tangerine Dream ce que Sabbath Bloody Sabbath et Hall Of The Mountain Grill sont respectivement à Black Sabbath et Hawkwind : un virage progressif déprécié aussi bien par le public que par la critique. Pourtant, les cas évoqués ci-dessus indiquent qu’une dépréciation de la sorte pour simple exploration des qualités artistiques inhérentes au progressisme n’appelle pas nécessairement à l’échec inexorable de l’objet dévalué. En tout cas artistiquement. Car finalement, si Cyclone dépareille dans la discographie de Tangerine Dream, il n’en demeure pas moins un ouvrage de rock progressif à tendance électronique réussi. C’est tout ce qui importe. Et puis, il prépare le terrain pour la suite, puisque malgré l’échec commercial et critique, Edgar Froese & Cie n’en ont pas terminé avec le progressisme. Au risque de tenter un raccourci peu fameux, sans Cyclone, peut-être pas de Force Majeure…
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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