Death Certificate
7.7
Death Certificate

Album de Ice Cube (1991)

Je ne sais pas de quand date la censure dans l'histoire de l'humanité, mais une chose est certaine c'est que le hip-hop se voit très souvent confronté à elle.
Ice Cube en fait évidemment partie, et ce depuis le début de sa carrière. L'ayant commencé très tôt, il a depuis bien longtemps l’étiquette du bad boy qui lui colle à la peau. Pourtant comme il l'explique lui-même, le hip-hop est une culture, un apprentissage des codes de la rue, une façon d'être et de vivre. Les paroles de ses chansons sont certes acérées et parfois considérées comme belliqueuses, mais ça fait partie du jeu à un moment donné. Rien de gratuit dans les lyrics, tout est question de contexte.
Effectivement, quand Death Certificate est sorti fin 1991, Los Angeles commençait à s'embraser (cf. les émeutes à L.A. en 1992). Dans le South Central, les communautés afro-américaines s'en étaient prises aux Coréens pour de sombres affaires identitaires, mais surtout le meurtre d'un gamin de 15 ans qui avait volé une bouteille de jus d'oranges (sic) dans une épicerie coréenne. Ainsi le (court) morceau 'Black Korea' a été censuré. Pire, Ice Cube a été montré à l'index comme étant un des instigateurs de la violence et la haine raciale. Censure sur les radios.
Mais loin de se focaliser sur un titre de 46 secondes, cet album doit avant tout être perçu différemment. Voilà comment je vois les choses.

20 titres (dont 5 qui sont soit des interludes, soit des "messages") dans lesquels Ice Cube fait l'état des lieux de la vie à Los Angeles (particulièrement le sud de la ville) de façon générale. Mais le constat ne s'arrête pas là. Los Angeles étant pour lui l'endroit où il vit, mais si l'on regarde la pochette de l'album, on peut voir accroché au gros orteil du type dans la morgue "Uncle Sam"; à savoir les États-Unis. Le "Certificat de Décès" tire la sonnette d'alarme plus qu'il n'appelle à la violence ou la haine, comme on a pu le lire ça et là. On est alors sous la présidence de George Bush Père. La Guerre du Golfe fait rage au Proche-Orient. Rappelez-vous. Les USA dépensent des milliards dans cette guerre aveugle (une fois de plus) en mettant de côté le peuple américain, ses problèmes majeurs de politique intérieure, etc. Ainsi le hip-hop du début des années 90 est le plus contestataire qui soit et qui fut dans l'histoire de la musique US. Ça se comprend aisément. Nombre de groupes ou artistes (et pas seulement dans le hip-hop) ont sorti des albums à la mesure de la politique catastrophique du gouvernement G. Bush.
'I Wanna Kill Sam' ne laisse planer aucun doute sur le ressentiment du chanteur. Ce qui gène et dérange les grandes instances et la morale établie est TOUJOURS censuré. Ice Cube dérange, beaucoup même. Et pas seulement l’État. Il s'attaque également aux anciens membres de N.W.A; groupe auquel il appartenait. Les titres 'True to the Game' et surtout 'No Vaseline' leur sont directement adressés. Des morceaux qui sont des réponses à des paroles préalables retrouvées dans 'Message to B.A.' sur l'album Efil4zaggin (mai 1991). Encore une fois, ça fait partie du jeu de la bergère. D'ailleurs sur l'édition anglaise de Death Certificate, 'No Vaseline' et 'Black Korea' ont été éludés du tracklisting.
Chose qui n'est pas noté mais qui a son importance pour comprendre l'évolution de la grille de lecture. Cet album se décompose en deux parties distinctes: "The Death Side" (jusqu'au morceau "Death") et "The Life Side". La première partie traite de ce qui est au moment où Ice Cube fait cet album ("a mirror image of where we are today"), et la seconde traite de ce qui devrait être pour que les choses aillent dans le bon sens ("a vision of where we need to go"). La lumière qui devrait naître de l'obscurité, et non un Bien qui devrait supplanter un Mal. Car, bien qu'il soit difficile de faire un rapprochement entre cet album et la philosophie, je pense cependant à Spinoza quand il disait que « toutes choses sont nécessaires, et que dans la nature il n'y a ni bien ni mal […]. » Je suis entièrement d'accord avec lui. Les termes sont juste l’œuvre de l'Homme afin de diviser et de rallier à sa cause le plus grand nombre. Bref c'est un autre débat, je digresse. Toutefois, c'est à ce manichéisme que cet opus de Ice Cube me fait penser.

Un peu plus d'une heure tissée de textes, de samples, de mélodies, d'interludes et de messages. Une œuvre qui (comme je le disais) tend à faire un état des lieux plus qu'autre chose. Nous sommes en présence de cela dans cet album; un espèce de journal qui n'est plus intime mais révélé comme un exutoire, un lâcher-prise du rappeur. En quelque sorte une psychanalyse introspective. Qui n'a jamais eu envie de lâcher les chevaux quand sa tête commençait à bouillir et se mettre à imploser ?

C'est ainsi que je vois ce Death Certificate. Un opus majeur dans le hip-hop "conscient"; sur le fond comme sur la forme. Rien n'est laissé au hasard, rien n'est dépourvu d'intérêt.
Alors bien entendu, pour faire un bon plat, il faut de bons ingrédients, mais aussi et surtout un bon cuisinier.
lehibououzbek
8
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le 28 nov. 2013

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lehibououzbek

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