Enfin.
C'est peut-être bateau, téléphoné, évident, mais c'est le mot qui me vient en tête à la première écoute de l'album. Depuis "Avant que l'ombre" au moins, Mylène perdait peu à peu de sa superbe, errant d'un genre à l'autre en nous servant des albums qui n'ont jamais été intégralement à jeter, mais qui comportaient trop de titres anecdotiques pour vraiment convaincre - à mon sens. "Bleu noir", par exemple, comportait de jolis titres ("Diabolique mon ange", "Bleu noir"), des chansons dynamiques et "radiophoniques" ("Moi je veux", "Lonely Lisa") mais restait parasité par un certain nombre de titres mous et oubliables ("Toi l'Amour", "Light me up", "Inséparables"...). Le constat est à peu près le même pour tous les albums suivants : malgré quelques éclairs de génie, la majorité des chansons ronronnent et m'ont ennuyé. J'aimais un single, une chanson, une tentative, une esquisse, mais j'avais toujours ce sentiment d'occasion manquée, maudissant au moins en partie les choix opéré par la chanteuse et son équipe ; Mylène Farmer semblait avoir perdu, petit à petit, sortie après sortie, son sens de la mélodie tout juste réservé à quelques titres, son irrévérence devenue trop rarement perceptible ; sa capacité à délivrer des albums funs et intelligents.


Qu'en est-il en 2018, du coup ? Honnêtement, "Rolling Stone" ne m'avait pas emballé plus que ça. Le duo avec LP, "N'oublie pas", est sympathique sans tutoyer les sommets (que Mylène vouvoierait peut-être, si on en croit sa chanson "Consentement" ;)). Quant à "Sentimentale", titre proposé une semaine avant la sortie de l'album, c'était ma première vraie surprise ; je ne l'écouterai sans doute pas en boucle, je ne la mettrai sans doute pas dans la liste de mes chansons préférées de la chanteuse, mais elle joue avec la fibre nostalgique tout en restant moderne et finalement mélodique. Ne restait plus qu'à attendre ce vendredi 28 septembre, pour découvrir ce que "Désobéissance" avait dans le coffre : soit un nouveau pétard mouillé correct mais décevant, soit, "enfin" justement, à la fin de tout ce parcorus sinueux, un vrai bel album.


Et je pense qu'on le tient, ce vrai bel album. Cette preuve que Mylène est encore capable de surprendre et d'y croire. Capable de s'entourer d'artistes compétents, venant compléter son univers sans l'étouffer ou le rendre chiant à mourir. "Désobéissance" réussit le pari - si tant est qu'il fût lancé - de créer un pont entre la Mylène des débuts, celle de "Chloé", de "l'Horloge", de "Pourvu qu'elles soient douces", et celle des années 2010 - si l'on garde le meilleur de cette cuvée en tout cas. Là où les chansons des derniers albums pouvaient (trop souvent) se perdre dans des mélodies creuses et des rythmes éculés, celles de 2018 étonnent par leur diversité, leur arrogance, avec ce côté "rétrospectif" qui a de quoi séduire les fans, ou ceux qui avaient délaissé la rouquine. Tout aussi important : Mylène ne tombe pas dans les pièges de son personnage, s'ouvre davantage, semble plus proche de ses fans que jamais. Comme rarement auparavant, elle fait preuve d'une certaine autodérision ("Get up girl"), d'optimisme ("Parler d'avenir", "On a besoin d'y croire") et apporte à ses textes suffisamment de lumière pour faire oublier les inspirations emo-darks que les détracteurs aiment bien lui coller à la peau.


Je parlais plus tôt de la mollesse des mélodies sur les albums précédents - sauf exceptions, et il y en a quand même eu une bonne poignée - mais je ne suis pas pour autant demandeur d'un album dont chaque chanson pourrait être un tube en puissance. Ceci étant dit, j'aime bien quand les titres non "catchy", pour reprendre l'expression anglaise, se démarquent autrement. Quand les musiques moins évidentes ont une autre forme de personnalité, offrent d'autres repères peut-être moins rassurants mais séduisants. Et de ce côté-là, "Désobéissance" me parait convaincant. "Au lecteur", par exemple, n'a absolument rien de radiophonique, mais rappelle le lien de Mylène avec Baudelaire ; surtout sa belle capacité à donner voix aux poèmes du mythique versificateur. "Histoires de fesses", déjà plus appétissant sur le plan musical, apparait surtout comme une réminiscence des fessées facétieuses dans les années 80, et le fait très bien. Bref, si certaines chansons sont plus intéressantes que d'autres, l'album ne m'a pas laissé l'impression de traverser deux ou trois déserts avec un oasis de temps en temps. C'est plutôt une jungle, avec ses dangers, mais toujours de quoi s'émerveiller quelque part.


Le choix du DJ Feder comme... (lol !) fédérateur de l'album me gêne uniquement parce que ses riffs, ses intrus manquent légèrement de subtilité. La plupart des chansons de l'album me criaient : "ÉCOUTE, HÉ OUI, C'EST ENCORE FEDER, TU RECONNAIS CET INSTRUMENT, C'EST SA MARQUE". Alors certes, Mylène est une grande qui fait ses choix, et il y avait là une prise de risque, mais les compositeurs invités ont cette tendance à marquer un peu trop leur patte jusqu'à ce que ça soit redondant. Rien d'alarmant cela dit : l'album est suffisamment réussi, rond et généreux pour que la pilule passe. L'omniprésence de Feder, si l'on prend le bon côté des choses et ce retour 2018 le mérite, apporte au moins une certaine cohérence à l'album, là où d'autres tombaient dans un pop-corn pétant parfois indigeste.


"Désobéissance" m'apparait comme une réussite. La presse fait un peu de la lèche à Mylène, et l'a parfois encensée aux plus mauvais moments (certains, me semble-t-il, donnent un avis négatif une fois le coup de promo passé… hum…) ; elle est bien partie pour donner à nouveau dans le plébiscite, à raison cette fois. Mylène mérite un ou deux tubes, une belle tournée et la confirmation de cette fidélité mystique qui l'accompagne depuis presque toujours. Entre la sagesse des soixante ans qui approchent et l'envie intemporelle de faire la nique aux trop bien cultivés, la chanteuse signe une belle prouesse.

Botwin
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le 28 sept. 2018

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