Deux frères
6.9
Deux frères

Album de PNL (2019)

“Le temps passe sur ton visage, le chrono’ m'fait mal au bide”

Il est minuit et des poussières à l'heure où j'écris ces lignes. Cette critique risque de paraître un peu confuse/désordonnée/c'que tu veux, en plus d'être parfaitement subjective


Ça fait 7 mois que l'album de l'année est sorti. 7 mois que j'essaie de faire une critique de ce projet qui m'a envoyé tellement loin par sa qualité indécente.


Et pourtant, encore un an plus tôt, PNL, ça me disait rien. Parce que l'autotune. Parce que c'était vulgaire et que j'étais une vraie sainte-nitouche à l'époque. Parce que “ça veut rien dire”...


C'est donc début février 2019 (soit deux mois seulement avant Deux Frères) que je retente d'écouter leur album Dans la légende. La persévérance m'a au final convaincu d'une chose : quand on met de côté nos préjugés sur les textes des rappeurs actuels et sur l'autotune, PNL c'est vraiment vraiment bien.


Bien évidemment, les premiers projets du duo ne sont pas non plus exempts de défauts : en dépit de l'excellente qualité des compositions, de l'utilisation remarquable de l'autotune et des textes loin d'être aussi vides qu'on pourrait le croire, il y a quelques morceaux assez oubliables (par exemple sur DLL on pourrait évoquer Béné, tentative pas vraiment convaincante d'explorer un terrain plus “zouk”, Kratos, qui débute par un couplet très bon de la part de N.O.S mais sur lequel Ademo ne brille pas vraiment selon moi (dommage étant donné la qualité de la prod), le morceau éponyme), et ces projets s'avèrent un chouïa répétitif, malgré les prises de risque par-ci par-là (notamment Luz de Luna, sur lequel Ademo et N.O.S livrent de superbes couplets, ou Porte de Mesrines, dont l'instru très jazzy tranche avec la violence du morceau) et les chefs d'oeuvre qui les parsèment (dont, bien évidemment, l'inévitable Jusqu'au dernier et le couplet renversant de N.O.S).


Mais bon, tout ça pour dire qu'après ça, je me suis à attendre patiemment leur prochain album : les deux premiers extraits (À l'ammoniaque, morceau quasi-acoustique très surprenant de leur part, et le funky 91’s, sorti pour l'été) avaient déjà mis la barre plutôt haute.


Et puis y a eu Au DD.


Clip tourné au sommet de la tour Eiffel, instru sensationnelle (comme d'hab’ avec eux, tu m'diras), prestations excellentes, 12 millions de vues en 24 heures, arrivée dans le top 30 mondial sur Spotify, record du clip francophone le plus vu sur une semaine, les médias généralistes qui s'emparent de l'affaire, enfin bref, un come-back qui déchire sa race.


Le jour de la sortie du clip fut annoncée le nom et la date de sortie de leur troisième album studio : Deux Frères allait atterrir le 5 avril 2019, avec deux éditions différentes proposées en physique, possédant, chacun, un son bonus, un peu comme DLL en fait.


Du coup, la hype atteignit son paroxysme pour moi. L'attente fût franchement insoutenable.


5 avril 2019. L'album débarque enfin. Je lance l'écoute, nerveux : avaient-ils réussi pour de bon leur retour ? Ou allais-je finir sur une déception, à force de m'être hypé de manière indécente ?


Après Au DD, suit Autre monde.


Un classique.


Vient ensuite Chang. Un classique aussi.


Puis Blanka. Le morceau éponyme. Cœurs. Shenmue. Kuta Ubud. Menace. Zoulou Tchaing. Déconnecté PUTAIN DE BORDEL DÉCONNECTÉ. La misère est si belle. Capuche. Frontières.


Non seulement Nabil et Tarik avaient comblées mes espérances : ils les avaient transcendées.


Musicalement, l'album est d'une richesse effarante. On passe avec une aisance déstabilisante de la variété au zouk, du rock au tango, du cloud au funk, du jazzy à l'électro… Toutes les instrus sont ultra soignées, c'est un vrai voyage musical. La répétitivité ? Disparue. Chaque morceau a le truc qui le rend marquant. L'instru rock de Déconnecté, la guitare de Au DD, À l'ammoniaque et La misère et si belle, l'ambiance très jazz de Kuta Ubud couplée à un beat qui claque, mais aussi à des couplets et un refrain beaucoup trop vénères, les envolées vocales indescriptibles d'Ademo et N.O.S (surtout N.O.S en vrai mdr) sur le délirant Menace, les ad-libs d'Ademo sur Shenmue, l'introspection ultra-touchante des deux frères sur Autre monde, Chang (le couplet de N.O.S, quoi…), Deux Frères, Cœurs, Zoulou Tchaing… Même les morceaux qui paraissent plutôt classiques dans le lot (Celsius pour ne citer que lui) sont ultra efficaces.


Et j'ai pas encore parlé du mixage et de l'utilisation faite de l'autotune. PUTAIN, c'est complètement dingue. Sérieusement, c'est pas souvent qu'on voit une utilisation aussi remarquable de l'autotune. Et c'est pas souvent non plus que le mixage atteint un tel niveau de perfection. C'est impossible à décrire, sérieux, allez juste écouter.


Et puis les lyrics. Deux frères excelle dans l'introspection : N.O.S et Ademo se confient plus en détail sur leur attachement à leur père et à leurs proches, leurs ambitions, leur haine, leur parcours dans le zoo de Corbeil-Essonnes, les regrets qu'ils éprouvent par rapport à leurs péripéties tumultueuses, leur foi, leur relation de frères… Tout ça par des lyrics qui ne cherchent pas les rimes multisyllabiques ou la technique, et qui se contentent d'aller à l'essentiel sur le message. Et c'est beau, quoi.


”J'ai grandi dans le zoo, j'suivais les cris dans la jungle, les pas de grand frère


Papa nous a cogné tête contre tête, nous a dit : «j’veux un amour en fer


J'veux personne entre vous, même pas moi, même pas les anges de l'Enfer»


Donc j'ai aimé mon frère plus que ma vie, comme me l'a appris mon père


Chaque rêve, chaque cauchemar, chaque ennemi, chaque euro : partagés


Et à part le nombre de cicatrices, rien ne va changer


Dans le même, dans le même miroir, on s'est regardés


Dans les mêmes, dans les mêmes trous noirs, on s'est égarés”


__


“Putain ton cœur est fort, tu t'rappelles, on était tit-pe


Toi, t'avais l'tard-pé, tu nous disais "papa reviens d'ici peu"


J't'aime, j't'aime, j't'aime, j'rêve d'effacer tes cicatrices


Et pour sauver le monde entier, j'donnerai pas un grain d'ta vie”


__


“Mettre à genoux, qui ? Moi ? Essaye pour voir si c’est possible


Et t’as une toute p'tite voix quand ça parle de schlass ou d'uzi


La souffrance, on la connaît, tu la connais pas comme nous


La misère, tu la regardes, on la caresse pas comme vous


Tu t'amuses, nous, on a des ambitions herculéennes”


__


“La miff est à l'abri, j'ai pas soigné mon cœur 3ami, les sucer, jamais, j'arme et j'me 'fonce, j'ressens plus le vide


J'marche de travers, la lumière j'évite


J'me déconnecte de ce monde, j'revis, le sourire des miens me suffit


Peur d'mes sentiments, mon cœur se lasse vite, la lumière m'a appris que l'obscurité reste


Douleur terrestre, sentiments d'tess, faut que j'm'engraisse, faut que j'm'engraisse


Le torse gainé sous le ciel, le poids d'mon nom sur les ailes


J'sais pas si j'ai l'bonheur que tu mérites, j'ferai d'mon mieux ma belle


Nous, c'est toujours fier, j'rentre à la maison, j'les laisse à la porte


Si t'es pas d'mon sang, pas sûr que j'pourrai t'aimer jusqu'à la mort”


__


”J'ai traversé les frontières


Croyant que mon cœur saignerait moins là-bas


J'vais finir par m'y faire


J'serai jamais heureux comme Papa


'Que ta mère d'ici, on cherche pas d'amis


Le rêve nous sépare, j'ressens le vide


Pourquoi tu tournes autour des mots ?


J'suis seul, la Lune me tourne le dos”


Nan mais sérieux, c'est beau, quoi.


Tout ça porté bien évidemment par deux frangins au mieux de leur forme, variant les flows et mélodies sous autotune sans jamais faiblir, capables de pondre aussi bien des chefs d'oeuvre de mélancolie que des bangers endiablés ou bien des morceaux à l'atmosphère pesante.


Et comme si ça ne suffisait pas, les deux morceaux bonus proposés sur chacune des versions physiques sont tous deux superbes, et quatre inédits nous ont été offerts fin juin, quatre inédits tout aussi bons (surtout Comme pas deux, parce que ce refrain, quoi).


Enfin bon. Je sais pas comment conclure cette critique. Du coup, je me contenterai de vous suggérer de jeter au moins une oreille à ce petit bijou. Si vous en avez, jetez à la poubelle vos préjugés sur l'autotune, sur les lyrics crues, et plus généralement sur le rap actuel, et laissez-vous juste porter.


Si vous n'aimez pas, c'est pas grave, vous avez au moins fait l'effort de leur donner une chance, et c'est déjà un sacré effort. À vrai dire j'étais dans le même cas autrefois… Mais soyez sympas et ne cédez pas au bashing gratuit de l'album, du groupe et de sa fanbase.
Si vous aimez, c'est chouette, genre vraiment. La bise si vous aimez. Mais comme pour ceux qui n'aiment pas, ne cédez pas au bashing gratuit du groupe en face. siouplait. peace'n'love toussa toussa.

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le 12 nov. 2019

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Lupra

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