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Au milieu des années 90, la Britpop régnait sur les ondes. Entre l’arrogance d’Oasis et la sophistication de Blur, difficile pour un groupe discret de trouver sa place. C’est pourtant dans cette effervescence qu’Out of My Hair sort Drop the Roof en 1995, un album passé presque inaperçu à sa sortie mais qui mérite aujourd’hui une réévaluation attentive.

Emmené par Simon Eugene, Out of My Hair propose une pop aérienne, douce et légèrement psychédélique, à des années-lumière de la frime mancunienne. Les guitares y sont claires et les refrains feutrés. On pense parfois à The La’s pour la mélancolie ou à The Lightning Seeds pour le sens mélodique.

C’est un album qui installe une atmosphère propice à la dérive des pensées.

La première écoute de In the Groove Again a transformé ma cuisine en dancefloor improvisé. Je dansais maladroitement, une tasse de café à la main. Les premières notes m’ont donné l’impression d’un matin baigné de soleil même si dehors le ciel était gris. C’est un morceau simple mais incroyablement efficace pour s’extirper de la morosité du quotidien.

J’ai lancé la lecture aléatoire et je suis sorti. Montmartre dormait encore. Les pavés étaient mouillés, brillants et chaque coup de talon sonnait comme une note.

J’ai marché rue Lepic avec Mr Jones dans les oreilles. J’imaginais ce personnage maladroit mais charmant qui trébuche dans la vie avec une grâce naïve. J’ai souri à un inconnu. Un sourire volé qui n’aurait pas eu lieu sans cette mélodie.

J’ai traversé un square vide, Why doesn’t snow a commencé doucement, comme un souffle froid. J’ai scruté le ciel et imaginé des flocons invisibles tomber.

Je me suis assis sur un banc. J’ai regardé les arbres se balancer au rythme de la guitare de Safe Boy. La cadence douce du morceau a créé une sensation de flottement. Je me suis laissé porter par le vent. J’ai fermé les yeux et imaginé un petit garçon tranquille, en sécurité, dans un jardin secret.

Plongé dans mes pensées, l’alternance des passages calmes et des refrains plus marqués de Wide together m’a transporté au bord d’une rivière imaginaire. Je marchais quand la musique était douce puis courais. Mes pas étaient synchronisés avec le flux et reflux de la mélodie. Chaque mouvement semblait en parfaite harmonie avec le rythme comme si la chanson dictait mes gestes.

Un claquement de volet a résonné soudain, d’une chambre de bonne, une voix est tombée : « Drop the Roof ». Elle m’a soufflé de laisser entrer la lumière de ne pas craindre que les toits s’ouvrent. J’ai levé la tête et regardé les zincs gris prêts à se soulever comme un rideau. Montmartre s’est révélé alors comme une scène.

J’ai repris ma balade matinale au rythme d’I’d rather be, chaque battement de batterie était un pas, chaque accent de guitare une respiration. Je marchais seul mais le rythme me donnait l’impression d’avoir un compagnon invisible.

Derrière une colonne Morris se cachaient les Thieves in the Fan Club. Silhouettes furtives, ils récoltaient les murmures du matin, dérobant les chuchotements et les soupirs encore endormis.

Sur une terrasse encore close de la place du Tertre, j’ai imaginé Mary griffonnant un carnet sur ses genoux avant que les artistes n’installent leur chevalet. Ses phrases suivaient le balancement de ses pieds comme si ses mots naissaient de la cadence de sa marche intérieure. Elle ne m’a pas regardé.

Au détour d’une ruelle, les reflets dorés du soleil transformaient les pavés en fleuve précieux (River of Gold). L’eau scintillait et j’avais l’impression de marcher au bord de ce fleuve.

Le jour s’accrochait à peine aux dômes du Sacré-Cœur quand j’ai cru croiser Wendy montant les escaliers. Son rythme n’était pas pressé : un mid-tempo tendre fait pour respirer, pour laisser le cœur suivre sans se fatiguer. La ville derrière elle s’effaçait. Elle a levé les yeux vers la basilique. La lumière du matin l’a enveloppée jusqu’à ce qu’elle disparaisse comme emportée par le jour qui se lève.

De retour dans mon appart, That’s all démarrait avec son rythme apaisant et progressif. Je me suis allongé laissant chaque arpège m’envelopper. La musique a ralenti mes pensées. J’ai senti que tout ce que j’avais imaginé pendant l’écoute s’éloignait. J’étais prêt à revenir au monde réel avec légèreté…

Drop the Roof n’est pas seulement un album de Britpop psyché et de mélodies accrocheuses, c’est une petite collection de moments suspendus et de souvenirs inventés.

Cet album fait partie des secrets musicaux qu’on aimerait garder pour soi, jalousement, comme un trésor trop précieux pour être partagé.


Kodack1
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le 6 nov. 2025

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Kodack1

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