Edelweiss
7
Edelweiss

Album de Fixpen Sill (2016)

Fleur des princes, essence royale

Ils nous avaient déjà taquinés avec leur EP On Verra Plus Tard. Avec Edelweiss, le duo Fixpen Sill revient enfin aux affaires, seul ou presque. 5 ans après Le Sens de la Formule, chronique d’un retour inespéré.


Sur la pochette, les forces se déchaînent. L’eau, les vents, la terre, la foudre : tous les éléments concordent à une fin du monde teintée de rouge et tâchée de sang. Pourtant, au milieu de Ragnarok et du chaos qui s’en suit, Kéroué et Vidji ont choisi de nommer leur album du plus petit des derniers représentants de ce monde en sursis. Celui qui, paradoxalement, sera le seul à lui survivre. Le dernier Fixpen Sill s’intitule Edelweiss. Rarement un titre aura été choisi avec tant de précision. Ses valeurs seront transversales au disque entier.


Le secret de la fleur ne se révèle pas tout de suite à l’auditeur. Pas explicitement, en tout cas. Si le premier track est le morceau-titre, il conserve l’écriture dense, soignée mais jamais facile du duo. Non, « Edelweiss » et tous les titres qui le suivent ne sont pas faits pour s’écouter d’une oreille. Il faut fermer les yeux, visser le casque, boucler les couplets pour en souligner toutes les nuances. Un initiative tristement culottée dans le contexte d’un rap français bien souvent soumis aux commandes d’identités et aux messages stéréotypés. Dans un faux calme qui annonce la tempête à venir, « Edelweiss » pose quelques marques. La douceur du synthétiseur cache des fréquences terrifiantes par vagues d’automation. Les premières gouttes frappent nos visages. Bientôt, le rideau tombe.


Malgré leur longue absence, Fixpen Sill est fermement ancré dans la mouvance Hip Hop. Une aubaine, puisque Vidji a pu se débarrasser du carcan boom bap pour partir vers des inspirations plus exotiques. Plus personnelles aussi. C’est ainsi avec plaisir qu’on « Laisse Tourner » ses prods. Un instrumental résolument dans les temps, dans tous les sens du terme, et un petit régal aux frontières du 8-bit pour ce titre. Il faudra attendre la fin du morceau pour que, sorti de la brume, l’ermite vienne nous éclairer de la vraie signification de l’Edelweiss. L’humilité de « la fleur des princes et des conquérants », donc. Surtout, nous voilà rappelés de la valeur de la rareté, de la richesse de l’exception.


Première constatation : contrairement à leurs premiers sons, le groupe a su dégraisser son écriture, éclaircir les lignes directrices. Le rythme est toujours aussi dense, mais le propos est plus distinct, si l’envie de comprendre se fait ressentir. Surtout, l’ego-trip primaire laisse place nette à une élévation des thèmes abordés. Certes, « Prime De Risque », en compagnie de Heskis et Hunam, leurs compères du 5 Majeur, embrasse l’exercice de style. Toutefois, plus sociétaux, des « Objecteurs », « Focus » ou « Casse Tête » orientent les réflexions, traitent de sujets transversaux sans en oublier de prendre comme point d’ancrage les expériences des deux MC. L’ambition, la société de consommation, le temps qui passe et les pressions sociales : tout y passe, dans le plus pur style Fixpen. Sans jamais oublier de décompresser lorsqu’il le faut grâce à quelques chutes de studio bien placées.


Timing & contre-pied


Un des talents de Fixpen Sill, c’est celui du contre-pied. Le duo n’est pas vraiment un groupe du genre à se fixer sur une catégorisation. Certes, ils sont nombreux, les artistes dans ce cas. Sauf qu’avec Vidji et Kéroué, lorsqu’il faut renverser la tendance, ça se fait au frein à main et à 130 à l’heure. Même si le duo promet de rester « Tel Quel » malgré les flux paradoxaux, cela ne les empêche pas de se caler des petits plaisirs expiatoires.


Une des premières excursions d’Edelweiss sur ce terrain inconnu est « L’Aquarium ». Énergie trap taillée pour la radio, les Fixpen savent qu’ils prennent leur auditoire à rebrousse poil. Quitte à les froisser, autant leur faire passer un petit message. « Les fans auraient voulu trouver un truc censé dans ce texte », nous dit-on. A l’instar de « Hobo », Kéroué et Vidji jouent avec différents degrés d’interprétation, simulent l’abrutissement en plaçant quelques petites piques dissimulées. A moins que ce ne soit l’inverse… Au final, après écoutes répétées, ces titres rebutants au premier abord deviennent attendrissants, un peu malgré eux. Un peu comme si l’acceptation que les Fixpen fassent des morceaux de fastlife comme les autres soit si improbable que leurs délires ne soient perçus que par le prisme de la parodie.


Dans la discographie en même temps qu’au sein des productions de Fixpen Sill, le timing est une valeur sacrée. Cet Edelweiss, ils ont eu le temps de le peaufiner, de s’attarder sur les détails pour mieux en dégager les reliefs généraux. La première partie de l’album fait donc honneur à sa pochette, pensée comme une tempête où l’auditeur est trimballé sur son vaisseau de fortune de sujets en sujets, de verve en verve. Retourné par le fond, le décalé « Ma Fête » et « Hobo » viennent tempérer les ardeurs, huiler une mer qui nous porte peu ou prou. Profitons alors d’un « C’est Pas Compliqué » magnifique, petite pépite de douceur, rayon de soleil nécessaire. L’Edelweiss, s’il puise sa force dans sa résistance, ne doit pas oblitérer la beauté de ses blancs reflets.


C’est que derrière cette simplicité, de sombres heures arrivent. En vérité, la tempête n’est qu’une diversion. Gageons que la terre soit plate, puisque c’est la mode des temps présents. Cela nous arrange : notre navire vogue visiblement vers la fin des terres, la fin du monde. Ne laissez pas les mirages « Comme J’Le Sens » en collaboration avec 20Syl et « Edlwss FM » vous leurrer : c’est devant les portes de l’enfer que l’on trouve les plus beaux jardins. Inspiré par Mobb Deep, leurs samples noyés et leurs beats lofi, « Mauvais Œil » apparaît comme un texte social comme il en existe quasiment plus aujourd’hui. Nekfeu, lui, prêtera sa plume et sa voix au track final, « Après Moi Le Déluge ». Le morceau de conclusion parfait, dur, grondant, ayant assez de poids pour nous laisser cogiter une fois le silence s’installant à la suite de cette dense heure d’écoute.


Au sein de la tempête Edelweiss, les auditeurs s'accrochent à un peu tout et n'importe quoi sur leur radeau. Chacun s’agrippe au style qui lui plaît, au thème qui lui parle, qu'il soit énervé, premier degré ou posé. C'est un risque qu'ont pris Vidji et Kéroué en présentant un album riche mais dont la carte au trésor est à déterrer à la main, écoute après écoute. Il n'empêche qu'un album qui fait réfléchir sans être pédant, c'est aussi rare que Jul qui parle plus de 3 minutes sans dire une connerie. Finalement, à l'instar de la plante, Edelweiss est un album qui ne peut prendre son sens que dans sa cyclicité. Un bonheur patient à l'heure où les maisons de disques nous assaillent de messages pré-formatés à ingurgiter en 30 secondes.


[A LIRE SUR HYPE SOUL]

Hype_Soul
8
Écrit par

Créée

le 4 févr. 2016

Critique lue 882 fois

15 j'aime

6 commentaires

Hype_Soul

Écrit par

Critique lue 882 fois

15
6

Du même critique

La Tour 2 contrôle infernale
Hype_Soul
7

La lourdeur de ces vannes

15 ans. Il aura fallu 15 ans pour que le légendaire, le mythique La Tour Montparnasse Infernale connaisse sa suite sur grand écran. 15, soit deux fois l’âge mental cumulé des personnages créés par...

le 15 janv. 2016

27 j'aime

1

Captain America : Civil War
Hype_Soul
2

Il a quatre (vingts) laquais

Après Batman VS Superman, d'autres héros se foutent sur la gueule : ceux de Marvel. En fine bête vulgaire qu'elle est, la maison de Stan Lee dégomme tout au centuple. Résultat ? Rien. L'univers...

le 14 avr. 2016

25 j'aime

16

The Life of Pablo
Hype_Soul
5

Name one genius that ain’t crazy

Voilà maintenant plusieurs mois que Kanye West nous fait tourner en bourrique avec son dernier album. D’abord So Help Me God, puis Waves, ensuite Swish jusqu’à ce que The Life Of Pablo soit la...

le 15 févr. 2016

23 j'aime

1