Fantaisie Militaire est un disque de rupture où les vieux démons refont surface. Sur la pochette, Bashung semble mal à l’aise, près à couler dans une marre de vase (à moins qu’il ne s’apprête à en sortir ?) C’est un disque composé dans la solitude de l’appartement qu’il a loué dans le quartier de Belleville, rue Piat, à l’époque considéré comme l’un des coupe-gorges de l’est parisien. Bashung avouera même en avoir fait les frais. Mais de toute façon, il sort peu, et si les gens viennent à lui, c’est pour travailler sur l’album, pas pour lui remonter le moral. Bashung est plus taciturne que jamais, il a recommencé à boire et évite d’aborder les sujets sensibles. En 1996, il vient de passer deux mois dans une clinique psychiatrique, épuisé par la tournée Confessions Publiques et par l’anéantissement de sa cellule familiale. Après quinze ans d’union houleuse, sa femme Chantal Monterastelli s’est barrée avec leur fils Arthur, né en 1982. Toutes ces années, Chantal s’est vainement acharnée à apporter un semblant de sérénité dans l’existence de son mari. Elle aurait voulu qu’il quitte ce champs de bataille imaginaire, qu’il fasse la paix avec son enfance morne, son père déserteur, sa famille de taiseux.


C’est trop tard pour Bashung, comme il le martèle dans le titre Au Pavillon Des Lauriers, il veut rester fou. Dans sa musique comme dans sa vie, le chanteur a toujours fuit la simplicité, et le bonheur n’a jamais été une évidence. Sur Fantaisie Militaire, l’amour est une guerre qu’il a menée et perdue. Bashung est un survivant blessé qui ne sait plus pourquoi il s’est battu. Il se complait dans ses prisons, on l’entend s’abandonner à la misanthropie sur Samuel Hall, comme victime d’une sécheresse héréditaire qui l’empêche d’aimer sans souffrir. Le dernier morceau de Fantaisie Militaire, Angora, est une déclaration d’amour qui refuse de montrer son visage, un bouleversant aveu de faiblesse qu’il dédie à son fils asthmatique.


Fantaisie Militaire, malgré sa tristesse pas vraiment radiophonique, est un disque fédérateur, une œuvre qui a une place toute particulière dans le patrimoine français. Il y a un tel équilibre entre dénuement intime et pudeur maladive que tout le monde a l’air de se retrouver dans cette œuvre déchirante, récit d’un divorce destructeur qui laisse un air de déjà-vu troublant à l’auditeur.


Extrait du podcast Graine de Violence, la version complète dispo ici : http://www.chicane-magazine.com/2017/07/13/podcast-graine-de-violence-alain-bashung/

GrainedeViolence
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le 16 déc. 2017

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