Si vous ne connaissez pas Girls in Hawaii, ce nom vous évoque peut-être l’image d’une musique américaine sirupeuse. Cette représentation est ô combien éloignée de la réalité. Il s'agit d'un groupe de rock indépendant composé de six garçons d’une vingtaine année, originaires de Wallonie, qui n’aiment pas être interrogés sur l’origine de leur nom. Un léger vent de « Girlsmania » a soufflé en Europe cette fameuse année 2004, tout juste après la sortie de ce premier album From Here to There. Même la Flandre les a accueillis chaleureusement. Mais bien que la seule faute de Lionel, Antoine et leurs amis soit d'avoir choisi sur le coup d'une private joke l'un des noms les plus stupides qu'ils pouvaient imaginer, ils ont aussi été haïs. D’aucuns les ont accusé de manque d’élégance et de charisme, d’autres les ont réduit à des succédanés de leurs compatriotes dEUS ou à des disciples sans originalité de Grandaddy, leur modèle avoué. Auditeur, oublie tes préjugés et ouvre grand tes oreilles, car les élèves dépassent le maître dès la première tentative et ce From here to There est une véritable petite merveille.


Tout au long de l’album, il est question de soleil, de terre, de quiétude et d’amitié. Les paroles de l’un des morceaux les plus connus du groupe, « Organeum », peuvent symboliser l’état idéal que les « filles à Hawaii » recherchent : « Now joking in a landscape’s field/Just sleeping quietly below trees ». Derrière cette quête de pureté quasi-baudelairienne, se cachent les démons du monde qui les entoure : l’égarement, la solitude, le vieillissement, les odeurs nauséabondes de la chimie. Il y a un côté Radiohead dans le souci constant de sortir des boucles faussement tranquilles joliment interprétées à la guitare pour atteindre de nouveaux horizons, sans savoir si ceux-ci seront meilleurs.


Tout commence donc par un chant d’oiseau qui donne d’emblée un ton naturel et faussement naïf à l’album. Et d’ici à là-bas, c’est comme une descente en pirogue vers l’inconnu qui s’effectue. Chacun des douze titres est indispensable. La musique s’envole doucement vers le sublime sans qu’on s’en aperçoive dès « 9.00 Am ». A l’introspection hésitante de « Short song for a short mind » succède la détermination énervée de « Time to Forgive the Winter », excellent morceau de rock qui insuffle l'envie de cramer sous le soleil. Le voyage en pirogue est tranquille sur « Casper » et ses chuchotements intimistes, puis plus délicat sur « Found in the Ground ». Les synthés, très présents sur l’album, y amènent une certaine tension. « The Ship on the Sea », l'un des plus beaux morceaux de que le rock indépendant a enfantés, s'étale comme une pause qui permet de contempler l’effacement d’un voilier à l’horizon. Il peut être qualifié de floydien car il a la puissance cachée d’un « Wish you were here ».


Plus on avance dans l’album, plus les titres sont profonds et complexes. Le lugubre « The Fog » est suivi d’un « Fontanelle » désespéré où l’on peut entendre une radio en arrière-plan. Ce détail illustre que derrière l’aspect quelque peu minimaliste du groupe se cache une grande recherche d’esthétique musicale. L’aliénation semble gagner « Flavor », morceau redoutable, où le riff de basse introductif est répété 28 fois pendant près d’une minute, ce qui est sans doute un record dans l’histoire du rock. Le morceau finit dans une cacophonie noisy dont l’ampleur était imprévisible.


Après cela, le voyageur vit dans un autre monde, dont le passage est matérialisé par les nappes planantes d’ « Organeum ». Dans un élan romantique, il veut encore regarder la mer. C’est empreint de mal-être qu’il reprend la pirogue sur le magnifique « Bees & Butterflies », avant que l’orage n’éclate. L’apaisant « Catwalk » porté des percussions exotiques, un xylophone et des flûtes, peut alors être entendu comme la fin de la descente et l’arrivée au paradis rêvé. Mais hélas, cinq minutes plus tard, des coups sourds intrigants puis une guitare acoustique à la Nick Drake sortent l’auditeur de sa rêverie et le ramènent à la dure réalité. La chanson cachée « Joking About My Life » conclue en effet l’album comme un lendemain de fête.


Ce premier opus est une prouesse de la part d’un groupe qui s’est retrouvé catapulté au rang de stars du showbiz et s’y est accommodé sans se monter la tête. Comme l’illustrent les photos qui entourent l’album, si on devait résumer ce dernier en un mot, ce serait horizon.

Créée

le 11 janv. 2015

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