Ghost Tropic
7.7
Ghost Tropic

Album de Songs: Ohia (2000)


En alternance avec le dernier coffret de Low, grosse fixette sur cet album parfait.



Pascal Bouaziz.


Île déserte. Ici-bas, tout se dépeuple. Île déserte, déserté de l’espoir ? De la lumière ? De la précision ?


Déserté de tous. De l’Amour en tout cas. On a fini de le pleurer, on l’a fait trop longtemps par le passé. Mais il y a toujours ce pincement qui subsiste. Alors, on veut chanter malgré tout - mais on n’a plus de mots, on préfère ne rien dire. Non, il n’y a décidément plus rien à en dire.


On s’égare dans des pensées trop ressassées pour s’apercevoir qu’on détrempe dans le sable imprégné de cette marée saumâtre, et quand on le remarque on y fait à peine attention. On ne fait plus attention à rien. On ne fait plus semblant de rien, on fait le minimum. Le strict minimum ; des gestes au ralenti, des notes qui tombent parcimonieusement, rien de forcé, tout est simple. La beauté, c’est là qu’on l’avait trouvé avant, sans ce goût amer qui traîne - que l’on traîne. Goût pirate qu’on voudrait vomir, mais comme les larmes, la bile ne sort plus.


Non, alors on continue de parcourir cet archipel vide de tout sauf d’absence. Des oiseaux aux couleurs étranges, aux voix diaphanes dont on cherche sans trouver l’origine, veillent pourtant sur toute notre traversée, nos balades sauvages d’un bout à l’autre de ces étendues.


Des voix près de la cassure, qui accompagnent Jason Molina, cet homme ici près de la cassure.



Insoutenablement humain



Ghost Tropic est ce disque d’une ancienne tension disparue mais inapaisée, dont on craint le retour. Et qu’on ne peut pas prévenir.


C’est une espèce de marasme - de refus de fougue, de lendemain de tempête - qui laisse découvrir des longues pistes désolées, mâchonnées et désespérantes. Sincèrement tristes, d’un souffle d’une vie qui n’y croit plus que parfois.


On plonge alors dans un delta fangeux, ténébreux de ténèbres rancunières, qui saisissent et enrobent tout. Les mots se trouvent impuissants : l’autrefois profus Molina limite à quelques phrases les différentes plages ; exprime souvent la faiblesse : « It’s too hard to tell » sur Lightining Risked It All, « I once had all the words, I forgot all the words » ensuite.


Tout passe alors, non plus dans la diversité des mots, mais ces boucles, ces mots répétés qui dépeignent un écroulement quasi-religieux, une soumission à toutes les écorchures, tandis que la voix se casse et rompt toujours plus bas, plus bas…


Tout se passe sur une phrase, répétée, répétée. Le corps brûle. Quatre fois. Je ne dirai rien. Huit fois. Le cœur du fantôme. Quatre fois. L’étoile absente répandue dans la nuit. A l’infini.


Autour, une espèce de squelette rachitique couvert de bien peu de chair ; des percussions qu’on étrangle au fond, la limpidité de la sécheresse de la guitare - plutôt que la variété des accords. Le piano plaqué et sombre.


Des nappes spectrales délicates, habitées, qui gonflent et gonflent pendant des minutes et des minutes.


Et toujours, comme en témoin anonyme de cet assoupissement autour de ce « faussaire magnifique » de Molina, les oiseaux.


Ils piaillent, prient un peu, apportent un autre souffle au souffle sinon trop esseulé de Molina. Eux seuls, on ne sait les prévoir, dans cette matière lente où l’on pense pouvoir tout prévoir à l’avance.



Une nuit à se morfondre



A force d’être aussi seul, on suffoque dans cette solitude comme dans des draps trop chauds. Le dépouillement quasi-mystique fini par étouffer, comme l’on cherche, écœuré, des respirations au milieu d’un sursaut, la nuit.


C’est une sorte de faucheuse qui flotte au-dessus de nous, qui nous surveille, nous attend. Insoutenable. Là où on pense que plus jamais on ne verra un lever de Soleil. Du moins, plus avec la même vigueur, la même vitalité.


Plus du même œil.


Ou on se morfond, et on s’enfonce, dans un sur-place froid, dans ces pistes-mouvantes sans rebord.


Ou l’on profite de l’éclat de la Lune, l’incessant éclat de la Lune qui bat ; malgré l’absence de l’étoile, malgré la mort des vieilles choses, malgré l’anathème outragé, en dépit des remugles, on se surprend à apprécier les restes minuscules de la beauté dans toutes choses, dans le silence sur son piédestal, dans la langueur. Dans l’acceptation de son destin. Dans les petits pas qui nous conduisent sur d’autres terrains. On marche de long en large.


Sous ces tropiques fantômes.

Créée

le 2 juin 2017

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Rainure

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