Gladiator est largement reconnu pour être l’une des meilleures fresques historique décrivant l’Empire Romain et les mœurs qui la composaient. Il s’agit d’une histoire fictive racontant le destin d’un général romain déchu par l’ambition d’un empereur avide de pouvoir, avec Russel Crowe et Joaquim Phoenix en tête d’affiche. Soit une belle opportunité pour créer une Bo historique aux multiples facettes, ce qu’Hans Zimmer fit de la plus belle des manières en composant l’une des plus grandes œuvres de sa carrière.

Déjà, ce qui est impressionnant dans Gladiator, c’est la richesse. Bon, vous me direz la richesse de quoi ; ben de tout. Absolument tout. Que ce soit au niveau harmonique, mélodique, instrumental, émotionnel, cette Bo frise la perfection tous domaines confondus. Commençons par l’orchestration : on retrouve un orchestre classique, assez polyvalent pour ce qui est des familles. En effet, les cuivres sont présents, mais ne seront quasiment jamais proéminents par rapport au soutien harmonique qui les accompagne ; les cordes sont ici extrêmement étudiées, à l’image de « Patricide » qui est 100% cordes (en préservant une grande richesse sonore, c'est dire si l’exploitation des violons, altos, violoncelles, contrebasses fait son effet) ; les bois effectuent ici un grand travail, en particulier pour toutes les scènes douces laissant Maximus se dévoiler. Enfin, de bonnes percussions (Zimmer oblige) qui apportent l’élan épique et le dynamisme nécessaire au bon déroulement d’une scène d’action.

Rien que ça, c’est déjà beaucoup, mais là, on va aborder le génie : les instruments complémentaires. En effet, cordes frottées et pincées (du oud, notamment) apportent beaucoup d’intimisme d’une part dans les scènes où les sentiments de Maximus ressortent, mais aussi les moments plus délicats, laissant se dessiner un destin plus tragique. A relever le grand travail fait sur les instruments orientaux, notamment les percussions et surtout le magnifique duduk, instrument arménien joué par Djivan Gasparyan, véritable dieu dans son pays, appelé pour l’occasion par Hans Zimmer pour coller à une ambiance plus folklorique, plus proche du cadre oriental de Zucchabar (en actuelle Algérie), mais aussi pour donner un son si particulier (doux, fluide) traduisant une certaine profondeur et mélancolie en rapport à la nouvelle situation de Maximus, obligé de partir du statut d’esclave oublié de tous (on le trouve dans « To Zucchabar »). Cette douceur est également relayée par les voix, où plutôt une voix : celle de Lisa Gerrard. En effet, sans aucune parole (vous pouvez chercher, la langue de « Now We Are Free » n’existe pas), elle transcende toutes les scènes où le destin de Maximus se précise : l’amorce de la bataille d’ouverture (« The Wheat »), la mort de sa femme et de son fils (« Sorrow »), son entrée dans l’Elysium (« Elysium »), … Cette voix lente et posée est extrêmement marquante de par son timbre plutôt grave mais doux, qui semble totalement se fondre avec les instruments qui l’entoure, tel une véritable symbiose (dans « Elysium », c’est époustouflant) ; comme si elle représentait Maximus lui-même au milieu de l’orchestre, donc de l’Empire Romain. Souvent, lorsqu’elle est accompagnée par des cordes pincées, elle est valorisée par de l’écho, à l’image de « The Emperor Is Dead ».

Et même au delà des instruments et de leur exploitation virtuose (le duduk est une tuerie), il y a tout le travail d’Hans Zimmer au niveau de l’étude des sonorités, chaque son est poli, pour une parfaite optimisation (profondeur du son, variation de rythme, instruments à cordes frottées utilisés par touches en soutien (notamment pour le thème de la Terre), …).

Ici, la musique se révèle être un soutien indispensable dans le film, en accompagnant l’intégralité des scènes, ce qui, compte tenu de l’histoire, brasse un grand nombre de registres : la musique transcende absolument toutes les scènes, c’est pourquoi on ne pourra pas tout développer ^^ Tout d’abord, les séquences d’actions guerrières magnifiées par la puissance orchestrale évoquée ci-dessus. Les percussions amorcées dans « The Wheat », se poursuivent dans « The Battle » pour déclencher une réelle rythmique martiale, où cuivres et cordes se lancent dans une valse chromatique. Oui, la musique bourrin que vous entendez quand Maximus pète la gueule des germaniques par paquet de dix à coup d’épée dans la gueule est une valse. C’est là l’idée de génie de Zimmer d’avoir combiné deux aspects quasi-opposés. La perfection au niveau de la structure (la valse est une musique « parfaite », à l’image de l’Empire Romain au travers de toutes les richesses et de l’avancée technologique qu’elle représente (art, architecture, …)), mais une façade extrêmement bourrine (l’Empire Romain s’est construit autour de la guerre, s’est basé sur le sang humain, d’où l’orchestration très martiale, cuivrée et riche en percussions/cymbales agressives, avec un aspect mélodique chromatique). Énormément de motifs liés au combat ont été créés, et sont d’ailleurs restitués deux nouvelles fois dans le combat de l’arène avec les chars, mais aussi durant l’assaut romain de la villa de Proximo, pour un élan épique magistral, qui rentrerait facilement au panthéon des partitions les plus épiques jamais composées.

D’autre part, les scènes où le ressort tragique se tend sont juste magnifiées par des cordes puissantes (« Patricide »), et surtout le thème de Commode. Il colle parfaitement au personnage de part plusieurs aspects : une scène du film suffit à le montrer, celle de l’allégorie du serpent de mer. C’est la description idéale, tant ce personnage reste cohérent tout au long du film. C’est pourquoi son motif, exposé dès l’apparition du logo (en tant qu’enjeu principal du film), n’apparaît jamais lors des scènes d’action, mais toujours dans l’ombre, avec une orchestration minimaliste : c’est un sifflement long, très long, résonnant comme s’il était lointain, aux intervalles assez spécifiques qui tendent vers le chromatique tant son irrégularité augmente sur la fin. Sa dernière interprétation est néanmoins réalisée aux cordes, couplées avec un sifflement, au moment où il assène un coup fatal à Maximus avant l’ultime combat. Ce qui nous mène à « Am I Not Merciful ? », jouissif de par ses cordes tragiques, mais surtout ses chœurs et ses cloches dans l’ascension vers l’arène du Colisée, qui sonnent comme l’ultime combat où tout s’achève, dont aucun ne sortira vivant, mais dont l’issue déterminera le destin de l’Empire.

Puis vient le final avec le motif de Maximus (il apparaît moult fois avant, mais j’en profite). Ce motif est sublime, car il est chronologique, en un sens. En effet, il est divisible en quatre parties : la première est la même que la troisième, la deuxième suit la même mélodie mais à une hauteur plus basse, et la dernière est la conclusion du motif. Et bien, en réalité, il décrit l’histoire de Maximus : lorsqu’il est général (noble, attendant un repos mérité), puis lorsqu’il devient esclave (il est au plus bas mais ne se laisse pas abattre d’où la reprise de la même ligne mélodique), gladiateur (il retrouve sa noblesse, et parvient à accomplir son « devoir pour Rome », le service demandé par Marc Aurèle), et enfin atteint l’Elysium (douce conclusion). Ce thème est absolument transcendé dans « Honour Him », mais aussi dans « Now We Are Free », puisque la chanson de Lisa Gerrard reprend le motif en refrain.

Beaucoup de thèmes sont à relever, comme celui de Proximo dans « Strengh and Honour », la définition même de l’épique sans les combats (c’est de l’épique post-bataille, d’où le côté survivant et vétéran du personnage (grande lenteur), valorisé par un motif simple, et chaleureux où l’orchestration fait quasiment tout le travail (notes aiguës continues aux violons, cors, …). Celui de Lucilla, aussi, interprété au cor dans « Earth », traduit bien la solidité de son mental (on lui dit souvent « quel césar tu aurais fait si tu avais été un homme ! »), mais je sens que vos rétines sont déjà en feu à la fin de cette article, alors il vaudrait mieux que j’abrège ^^

Il serait quasiment inutile de préciser que cette Bo est bourrée de références en tous genres au monde de la musique, que ce soit l’hommage à Zulu (l’un des films préférés de Ridley Scott), avec ce chant germanique d’ouverture, puis L’Anneau Du Nibelungen de Wagner pour le retour à Rome de Commode, mais aussi à « Mars, The Bringer of War » de Gustav Holst, qui lui a valu une poursuite en justice pour « droits d’auteur » par la fondation Holst (ils avaient peut être besoin de pognon en 2006, je sais pas, ce qui expliquerait le fait qu’ils aient attendus 6 ans avant de lancer l’affaire alors que Gladiator était propulsé en tête des meilleurs ventes d’albums dès 2000 …). S’il avait pris la peine de comparer objectivement, ils verraient d’une part qu’il n’y a pas plus d’éléments empruntés de Holst dans Gladiator que dans Star Wars IV, et d’autre part, que les deux œuvres que je viens de citer transcendent largement leur prédécesseur Holst, quel que soit le point de vue. Donc, même dans le cas où ils auraient copié les procédés orchestraux, peut-on accuser de faire la même chose en mieux ?

En tout cas, la Bo de Gladiator transcende clairement son film, en lui apportant toujours le soutien nécessaire, en se montrant extrêmement versatile (on passe des violentes musiques d’action à des partitions beaucoup plus orientales et mélancoliques, à un véritable élan tragique) et complémentaire (contrairement à ce que l’on croit, Zimmer utilise beaucoup d’instruments doux qui viennent agir dans l’inconscient pour créer toute une ambiance (qui par définition ne ressortent pas au visionnage comme « Raider’s March » pourrait ressortir, le but n'est pas le même)). En symbiose avec son sujet, cette création fait preuve d’une richesse et d’une créativité sans limite, qui l’ancre définitivement dans le patrimoine de la musique de film. Un immense chef d’œuvre !
Soundtrax
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le 20 août 2014

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