Graceland, l'État de grâce

Vous enfoncez l'album dans votre lecteur CD, vous attendez un moment, puis vous appuyez sur Play. Les trois premières secondes sont silencieuses, et l'accordéon lance les premières notes. Quelques secondes plus tard, la batterie vient donner le tempo : il sera rapide et enjoué. Puis c'est au tour de la basse de s'inviter, elle précède de peu les premières paroles lancées par Paul Simon : "It was a slow day..." Félicitations : Graceland vient d'entrer dans votre vie.

L'histoire commence en 1984 : Paul Simon écoute depuis trois semaines une cassette audio prêtée par une connaissance : c'est un son des Boyoyo Boys, un groupe de mbaqanga sud-africain. Simon en devient littéralement obsédé, il n'écoute plus que ça. Sur un coup de tête, il se rend en Afrique du Sud où il rencontre des artistes locaux, et commence avec eux l'écriture de quelques pistes. Sur les mélodies sud-africaines, Paul Simon essaie de faire coller ses paroles ancrées dans le folk new-yorkais. Après deux semaines d'enregistrement, Simon décide de quitter l'Afrique du Sud, où il se sent oppressé, le pays étant en pleine crise de l'Apartheid.

Mais Simon est désormais convaincu : son prochain album mélangera le son et le rythme de la mbaqanga avec ses paroles folk anglaises. Il invite des musiciens sud-africains, ainsi que le groupe de chant Ladysmith Black Mambazo, pour finir l'enregistrement de l'album à New-York. Et le monde de découvrir, le 10 mai 1986, alors que Graceland n'est pas encore achevé, le premier échantillon de ce que l'album sera : Simon se produit avec son groupe sud-africain et ses chanteurs zoulous dans le célèbre Saturday Night Live. L'enthousiasme est immédiat.

Le tour de force de Simon réside là, dans cet improbable syncrétisme d'instruments, de rythmes et d'influences sud-africains et pop-rock. C'est sans doute dans ce formidable dialogue entre les langues anglaise et zoulou que l'on trouve la réponse la plus sincère à toutes les polémiques qu'a essuyées l'album lors de sa sortie ; Paul Simon ayant été accusé de ne pas avoir respecté le boycott culturel de l'Afrique du Sud déclaré par l'ONU pour dénoncer le régime de l'Apartheid.

A ce sujet, le documentaire Under African Skies revient sur la genèse de Graceland et sur les polémiques qu'il a suscitées lors de sa sortie. Que Paul Simon ait été légitime ou non pour jouer, enregistrer et partir en tournée avec des musiciens sud-africains est une question qu'on peut naturellement se poser ; toujours est-il que Graceland constitue incontestablement un des plus grands albums jamais produits.