Pour comprendre HIStory (mon 1er album de Michael Jackson reçu le jour de mon anniversaire), on pourrait s'attarder de manière prosaïque sur la jaquette de l'album. Cette dernière aura fait couler beaucoup d'encre: à la base, l'artiste était parti sur le thème de la civilisation grecque et son esthétique. Au final, il ne subsistera de cette inspiration, qu'un emprunt à une des "marques de fabrique" de cette ère, les statuts en l'occurrence. Sur la jaquette finale trône donc la statut de Michael Jackson et en arrière-fond ce crépuscule obscur et assez angoissant. Quand on sait que l'album est sorti en 1995, il demeure curieux de voir que la représentation faite de MJ sur la jaquette date de...1992 et du Dangerous Tour. Un peu comme si, rien ne s'était passé entre 1992 et 1995. Déni de l'artiste? Oubli volontaire? Rien de tout ça? Sûrement un peu de tout ça. Cependant, avec une fin de tournée en eau de boudin (entre annulations plus ou moins justifiées) et une affaire de mœurs réglées grâce à des billets verts, c'est un Michael Jackson blessé et orgueilleux qui inonde les bacs en 1995. Dès lors, cette jaquette apparaît comme un "message" de l'artiste, comme un rappel disant à ses fans "bon, on en était donc à Dangerous, je vous présente mon nouvel opus, tadaaaa". Inutile de dire que c'est presque tout le contraire qui s'est produit.

Pourtant l'idée de départ d'un double-CD est tout sauf saugrenue. A l'époque déjà de "Bad", John Branca (son avocat et futur "gardien" de l'Estate) lui avait suggéré l'idée d'un album de reprise ou d'un best-of de reprise/titres déjà sorties plutôt qu'un nouvel opus. Puis encore à cette époque encore, l'idée d'un double-CD allait emporter les suffrages (judicieux quand on sait le nombre de "pépites" enregistrées durant ces sessions). Finalement, il faudra attendre le succès "normal" de "Dangerous" pour que s'impose l'idée d'un CD réunissant le meilleur de Michael Jackson depuis 1979 et un autre CD (15 pistes, presque un record!) composé d'inédits.

Ce deuxième CD d'ailleurs reprend la "recette" très Jacksonnienne dans l'élaboration d'un CD. Ainsi, la majeur partie des tracks sont la résultante d’un long travail d’affinage, de réenregistrement et de remixage : "Earth Song" date des sessions "Dangerous", "Come Together" (reprise plus rock/péchue du titre des "Beatles") a été enregistrée lors des sessions "Bad". Cette continuité s'applique aussi dans les crédits de l'album avec une concentration de ce qui se faisaient de mieux au niveau équipe de production (avec des newbies comme R. Kelly notamment mais aussi Bill Bottrell ou Teddy Riley). Et c'est là un des principal reproche que je fais à "HIStory", au final. Loin de marquer une véritable rupture musicale, "HIStory" creuse le sillon ouvert depuis "Dangerous" : New Jack Swing en veux tu en voilà, rythmique plus que saccadée/électrique, ce que l’artiste désignera comme un processus consistant à prendre un son, « l’étudier et le manipuler sous un microscope » et à bâtir autour une mélodie certes minimaliste mais catchy. Cette impression de « déjà-vu » s'accentue avec Jimmy Jam et Terry Lewis tout droit débauchés de chez la petite sœur, Janet.

C’est avec cette dernière que débutera le lancement de l’album et le single « Scream ». Outre le titre honorifique de « clip le plus cher de tous les temps » (7 000 000 $ et ses doublons avec les chorégraphes personnels des deux chanteurs par exemple), on retiendra surtout le processus d’enregistrement du titre : les prises des deux artistes furent enregistrées séparément et dans deux studios différents (le fameux « Hit Factory » à New-York pour MJ et à Minnesota au « Flyte Tyme Studios » pour Janet), la fameuse «émulation» propre à la famille Jackson transformant ce titre en une joute vocale sans précédent (pour l’anecdote, Michael Jackson ne cessait de multiplier les prises vocales tant il trouvait celle de sa sœur bonnes).

Mais en creusant un peu plus, "HIStory" se distingue assez facilement de la discographie de l’artiste sur le fond. Vocalement parlant tout d'abord, avec cet abandon du fameux falsetto. "HIStory" marque un peu la "mue" vocale de l'artiste (son apogée étant certainement "Invincible") avec une palette plus rauque, plus rocailleuse. Musicalement parlant aussi, avec ce soin de coller au plus près à l'univers urbain sans pour autant être clivant (l'album contiendra des teintes rock, funk et tendra même vers la musique classique). Le solo de Notorious BIG sur le titre "This Time Around" (voire celui de Shaquille O'Neal sur "2 Bad" LOL) ou de Slash sur "D.S." attestent de cette volonté de l'artiste. Ensuite, et comme évoqué en préambule, "HIStory" sort dans un contexte particulier voire troublé pour l'artiste. Du coup, "l'âme" du CD en sera impactée. Ce sentiment de revanche, de désillusion & d’amertume envers ses semblables sera particulièrement prégnant dans des titres comme « Money », « Stranger In Moscow » (sur la thématique de la solitude de l’artiste suite à l'affaire Jordan Chandler et son exil notamment), « They Don’t Really Care About Us » ou « D.S. » (initiale de Dom Sheldon et critique à peine voilée envers Tom Sneddon, District Attorney de Californie principal investigateur dans l’affaire Jordan Chandler). Enfin comment ne pas évoquer cet opus et ce sentiment que Michael Jackson sort la sulfateuse au moment d'aborder la presse people ("Tabloid Junkie"): en véritable croisade contre cette presse, il ne cessera d'en dénoncer les travers durant la dernière partie de sa vie (cf son motto "Burn Them All!").

Cependant c’est sur la forme que le bât blesse. Si la tension est palpable, le traumatisme perceptible et le contre-coup quasi-indélébile (poussant l’artiste à affronter en 2003 la famille Arvizo lors d’un procès pour des motifs sensiblement similaires à ceux avancés par la famille Chandler en 1993, la véracité des propos en moins), le résultat est loin d’être celui escompté. Ce sentiment de persécution semble exagéré et une certaine incompréhension s'installe entre le message que veut envoyer l'artiste et la manière dont il est reçu par son/le public. A cela il faut ajouter la multiplication de maladresses (rectificatif et réenregistrement d’une partie de «They Don’t Care About Us » suite à des accusations antisémites), et les nombreuses apparitions de l'artiste avec des enfants laissant une impression d’impunité, de pied de nez envers ses détracteurs et d’insouciance mal placée.

Et le point de non-retour semble quasiment atteint au vu de la promotion, la tournée, le tournage des clips accompagnant la sortie de l'album. Le teaser de présentation sorti au moment de la sortie de l'album, cristallise à lui tout seul tout ce que l’on peut reprocher à l’artiste: réalisé par Ruppert Wayne-Wright et sobrement intitulé "The Eastern Europe Redeemer" ("Le Rédempteur de l'Europe de l'Est"), il reprend des codes de l’ex-URSS, fait de MJ un chef d’armée respecté et craint, sorte de sauveur d’une patrie en danger. Outre le caractère mégalo du mini-clip, l’œuvre vaut vraiment le coup d'oeil, tant par le parti-pris assumé que par le côté jusqu'au boutiste de Michael Jackson qui voue aux gémonies Staline et autres dictateurs, les réduisant à des chefaillons.

La tournée reprendra d’ailleurs l’élément final de ce teaser…une statue monumentale de 12m trônera dans les 58 villes où passera le HIStory Tour. Cette dernière verra l’artiste sillonner le monde entier, en évitant soigneusement les Etats-Unis. Avec une durée d’un peu plus de 2h, un voyage musical de plus de deux décennies, le HIStory Tour remplit, sur le papier, son contrat. D’un autre côté, on ne peut s’empêcher de noter l’usage quasi-systématique du play-back (parfois à bon escient lors de chorégraphies endiablées mais parfois vraiment…bref) et ce côté kitsch voire troublant dans la scénographie. On peut par exemple évoquer le masque sado-maso de Jennifer Batten du plus mauvais goût mais aussi le « rôle » quasi-christique que s’octroie Michael Jackson dans le tableau « Earth Song » (reproche qui lui sera directement adressé lors de ses prestations live de cette même chanson).

Au niveau des clips, si le passage chorégraphié avec sa sœur reste mémorable, le clip « Scream » illustre cet orgueil assez mal placé: on pourrait passer sur les retards imputés au tournage (« Black or White » constituant néanmoins le summum avec le rappel en catastrophe de John Landis pour réaliser le clip pour ne pas exploser le budget), c’est ce déballage assez bling-bling (dépassement de budget) voire « vulgaire » (au sens puritain et américain du terme cf. les postures « osées » de Janet Jackson) qui créera l’incompréhension. Cependant, le clip restera comme l'un des plus remarquables de l'artiste et demeure, encore aujourd'hui, une référence. Idem pour « They Don’t Care About Us ». A priori, ce titre devait être la réunion entre deux icônes de la culture afro-américaine, Spike Lee et MJ. Mais cela débouchera…sur deux clips (l’un dans les fameux favelas brésiliens et une autre version moins connue et censurée tournée dans une prison)…tout deux accueillis assez froidement par l’artiste. Ce sentiment d’éternelle insatisfaction (qui tend au manque de respect envers les réalisateurs) frustre et participe un peu plus à confirmer cette image d'artiste "diva" à qui on ne refuse rien, à qui personne ne se refuse . Enfin, un mot sur « You are not alone »: en plus d’être une chanson plagiée (oups, pardon rachetée par R. Kelly), la chanson sera accompagnée d’un clip…WTF…pour info, le début du clip a été coupé au montage mais représentait un Michael Jackson angélique (avec les ailes toussa toussa) et nu…dans une rivière…

Avec 39 000 000 d’albums vendus, "HIStory" demeure l’un des double-CD les plus vendus de tous les temps. Si « Dangerous » a été un échec relatif, on peut regretter ici le manque de discernement de l’artiste : là où «Thriller » avait été le résultat d’un manque de reconnaissance de « Off The Wall » et donc un formidable catalyseur artistique, « HIStory » tend plus au règlement de compte chanté, à l’exagération et dessert complètement le propos de l’opus. Ce désenchantement, cette mise au ban (par la société, la presse) n’ont fait qu’accroître la paranoïa inhérente à l’artiste, son sentiment d’insécurité et sa déconnexion totale avec le «monde réel »: c’est à partir de ce moment, qu’il est fait état d’un net repli de l’artiste à Neverland. Car ne nous y trompons pas : si "HIStory" continue de nous servir une « soupe » au goût New Jack Swing, les atermoiements et excentricités de l’artiste éclipsent totalement des titres pourtant succulent. Ainsi la réinterprétation du « Pie Jesu » (Maurice Duruflé) dans l’introduction de « Little Susie » est magnifique (comme les paroles, l’histoire de la chanson), tout comme le côté aveu/confession de « Childhood » et la critique douce-amère de « Money » demeurent audacieuses dans leur construction et sont tout sauf accessoires. Dommage cependant que la notoriété de ses titres tend à la confidentialité ! Dommage aussi que l’image restant de cet opus soit ce sentiment de décadence, de tape-à-l’œil et de victimisation mal placée !
RaZom
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le 9 sept. 2014

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RaZom

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