Ce que l’on appelle communément « psychédélisme » peut être subdivisé en une foultitude de sous-genres : citons pêle-mêle l’apocalyptique façon « The End » des Doors, l’orchestral façon Puzzle de Mandrake Memorial, l’expérimental façon The Piper At The Gates Of Dawn de Pink Floyd, le festif façon Anthem Of The Sun de Grateful Dead et le space rock planant façon Hall Of The Mountain Grill d’Hawkwind. Il n’est pas erroné d’affirmer qu’HP Lovecraft n’incombe réellement à aucune de ces affiliations ; il est encore plus juste de considérer qu’il appartient à toutes à la fois. Le groupe invente par ce biais un sous-genre très personnel, que le mélomane réfléchi conviendra à nommer « psychédélisme raffiné ».


En entrant en studio en juin 1968, un an après un premier essai d’une excellence honteusement ignorée par le succès commercial, George Edwards et Dave Michaels, les deux maîtres d’oeuvre respectivement guitariste et claviériste, manquent de matière pour ce deuxième effort studio. Le groupe sort d’une longue tournée aux côtés d’autres pointures du psychédélisme américain, Jefferson Airplane et Grateful Dead en tête, mais également d’influents musiciens de Grande-Bretagne commePink Floyd, The Who ou encore Traffic. De cet harassant tour de la West Coast, HP Lovecraft ne retire presque rien de concret pour son album à venir. Ainsi, le groupe va reprendre à leur manière quelques-unes de leurs chansons fétiches, écrites parTerry Callier (un vieil ami d’Edwards), Brewer & Shipley et Billy Ed Wheeler. Le reste est improvisé en studio par le quintet, renforcé par l’aide substancielle de l’ingénieur du son Chris Huston. Alerté par la détresse créative du groupe éreinté, ce dernier met au point des éléments sonores jusqu’alors inexistants qui relancent l’appétit inventif d’Edwards et Michaels. La plupart des ambiances psychédéliques inquiétantes d’ « At The Mountain Of Madness » ou « Electrallentado » sont l’oeuvre d’Huston, dontEdwards reconnaît par la suite l’importance : « Chris came up with a lot of very innovative techniques that prior to that record had not really been used. He was way ahead of his time. We had no material, the band was totally fried and Chris helped us make a record. That record would never have happened without Chris. ».


Si l’ingénieur du son joue un rôle primordial dans la conception de l’album en y intégrant des ingrédients psychédéliques inédits pour l’époque, il permet également aux musiciens de renouer avec leur inventivité. Aussi, les deux chanteurs que sont également Edwards et Michaels fournissent quelques-unes des plus belles harmonies vocales de la décennie, entremêlant leurs voix complémentaires sur des atmosphères fantastico-folk d’une beauté inouïe. Le travail sur clavier de Dave Michaels est aussi atypique que cohérent : les myriades de notes spatiales qu’il martèle délicatement n’ont rien à envier aux futures productions d’Hawkwind ou Ozric Tentacles. Les paroles incroyables, inspirées pour certaines des histoires de l’écrivain dont ils empruntent le nom, permet à HP Lovecraft d’inventer une des plus profondes productions de la fin de décennie, tant sur le plan musical que parolier. Il est fortement conseillé d’écouter ces neufs contes magistraux en lisant simultanément les textes pour un surplus d’émotion. Car le psychédélisme des natifs de Chicago n’est pas tapageur. Les guitares fuzz et wah-wah sacralisées par Cream et Jimi Hendrix un an auparavant ne sont pas à l’honneur et laissent place à un folk dénué de distorsion. Cette absence de puissance brut est à saluer et sied à merveille au genre, qui n’a jamais été et ne sera jamais aussi subtil.


Adeptes de frissons jubilatoires, ce II s’adresse à vous. Vous, disciples de la beauté énigmatique, celle qui frappe mystérieusement l’esprit, indomptable, impitoyable. Vous, prosélytes de l’expérience musicale inoubliable. HP Lovecraft vous ouvre les portes d’une secte à laquelle vous serez fiers d’appartenir, quelles que soient vos précédentes préoccupations musicales. Oubliez tout, prenez trente minutes de votre temps et abandonnez-vous corps et âme dans ce deuxième album d’un groupe scandaleusement ignoré.

BenoitBayl
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le 25 avr. 2017

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