Fidèle à ma réputation de troll rageur mais sympathique, j'aurais voulu consacrer ma première critique sur un album détesté par tous et que j'aurais été le seul à défendre. Mais étant moins à l'aise avec l'exercice, j'ai préféré en faire une sur mon album préféré que tout le monde semble adoré, à savoir : Histoire de Melody Nelson, comme ça si je me vautre, j'aurais moins de chances de me faire lyncher.

Donc commençons par resituer la scène, nous sommes en 1971, à cette époque maître Gainsbourg est alors en pleine gloire. Il cartonne depuis des années en tant que Compositeur/parolier mais s'est aussi fait depuis peu un nom en tant qu'interprète grâce à ses tubes interprétées en compagnie de ses muses Bardo et Birkin. Résultat il a désormais le pognon et les capacités nécessaires pour tenter des œuvres artistiquement beaucoup plus ambitieuses. Ça tombe bien, un vent de nouveauté est entrain de souffler, tout le monde outre-atlantique expérimente de nouveaux sons et de nouvelles mélodies. Le rock progressif en est à son apogée. Et Serge va alors décider d'y apportait sa contribution en fabricant un album concept racontant une histoire d'amour sombre et poétique.

Étant fan du bonhomme depuis un petit moment, je n'avais cependant jamais entendu parler de cet album jusqu'à ce que je ne le découvre en septembre dernier grâce à SC, et là... grande claque ! J'aimerais vous décrire avec précision ce que j'ai ressenti et ce que je continue à ressentir à chaque écoute de ce petit bijou, mais je me rends compte que ce n'est pas si facile. Parler d'un film et parler d'un album sont deux choses complètement différentes. Alors que j'arrive à savoir pourquoi j'aime ou je déteste un long métrage, je suis quasiment incapable d'expliquer pourquoi j'aime ou je n'aime pas tel ou tel musique. Durant ma critique, j'essayerais de vous vanter les innombrables qualités de Melody Nelson, mais je ne vous dirais ce qui arrive à me toucher plus particulièrement, ce qui me fait vibrer lorsque j'entends ces sons, ce qui me pousse à le réécouter encore, et encore. Tout simplement parce que je n'ai pas la réponse. C'est plus fort que moi.
Je vais donc parler de chacune des 7 chansons et revenir sur ce qui fait leurs charmes, leurs spécificités ; ce qui fait le travail musical. Une grande partie de ce que je vais dire au niveau des sens cachés de ces chansons reste de l'interprétation personnelle, je ne fais que supposer ces choses et n'insinue rien. D'ailleurs si vous avez d'autres pensées concernant ces morceaux, faîtes-le moi savoir, qu'on en discute après. Enfin je ne ne me réfèrerais aucun à aucuns paroles, non pas que je n'y vois pas de connotations intéressantes, mais je ne suis pas de taille à les comprendre et puis de toute façon ce qui me plaît dans ici, c'est la musique !

L'album débute fort avec une chanson de 10 minutes. Elle sert d'introduction à l'histoire et aux personnages. Elle décrit comment un homme au volant de sa voiture percute une anglaise dont il va tomber amoureuse. Le morceaux débute avec le thème principal de cet homme, on y remarque qu'il n'est composé que d'instruments à la tonalité assez basse et grave. Guitare, batterie et basse créent ainsi une atmosphère sombre, accompagné par une guitare en quasi impro qui joue de manière brutale. Ce thème montre ainsi toute la personnalité grave, sombre et brutale de notre personnage principal. Quelques minutes plus tard, apparaissent quelques touches de sonorités plus légères et plus aigües, elles symbolisent le personnage de Melody Nelson que l'homme ne fait qu'entrevoir de loin. La chanson s'attarde ensuite plus en détaille sur le thème de Melody, on y distingue du violon qui sera le thème du perso pendant toute l'histoire. Ce thème plus léger et enjoué est bien sûr en parfaite opposition avec celui décrit précédemment. Les deux thèmes se jouent alors simultanément pour signifier que tous deux poursuivent leurs routes et qu'ils se rapprochent l'un de l'autre. Puis d'un seul coup, on entend un violent coup de violon, représentant la collision entre Melody et le narrateur. Puis le rythme effréné qui s'était accéléré pendant toute la chanson se calme. Les personnages entament une discussion pendant que leurs thèmes semblent eux aussi semblent se parler simultanément puis, pour finir, les deux se mélangent ; c'est parti pour une putain de suite musicale magnifique, symbolisant le départ de ces deux personnes qui repartent désormais ensemble main dans la main.

La chanson suivante décrypte les sentiments du narrateur envers Melody. La chanson est très courte, environ 2 minute, les thèmes se mélangent et s'entrecroisent, symbole d'un amour naissant entre ces deux tourtereaux qui se complètent et s’assemblent. La mélodie est magnifique à la fois douce, entêtante et envoutante. Simple, courte, classique mais efficace.

Et puis vient la chanson préférée de bons nombre de personnes. Elle conte visiblement une valse entre les deux amoureux, mais elle est surtout un moyen de mettre en valeur le personnage de Melody. Cette chanson a de quoi surprendre, car jusqu'à présent c'était surtout les sonorités du narrateur qu'on entendait, le thème de Melody bien que présent restait toujours un peu en retrait. Mais ici, il est exploité au maximum de ses capacités. On retrouve bien évidemment un concert de violon qui offre une mélodie d'une grande intensité et d'une beauté sans égal. Accompagné d'un subtil jeu de guitare, il symbolise toujours notre ami narrateur, il est toujours présent mais ne fait qu'accompagner sa demoiselle, car là c'est elle qui mène la danse et pas lui.

La quatrième chanson fait figure de transition entre la période d'insouciance et d'amour à une partie s'annonçant plus sombre et dramatique. Melody & le narrateur vivent un amour assez simpliste car la jeune fille est encore jeune et n'a pas encore la mentalité pour imaginer avoir des rapports sexuels. Mais l'homme lui veut plus et lui fait des demande symbolisé par l'apparition du cor. Y'a de la profondeur, c'est super bien travaillée, mais je trouve ça trop court pour s'écouter et s'apprécier comme une vraie chanson.

Le cinquième titre est juste magique. Il décrit comment les deux amoureux vont se réfugier dans un hôtel particulier afin de pouvoir gaiment copuler. Tous les instruments caractéristiques du personnage masculin sont là et dominent la chanson, Melody et ses violons sont une nouvelle fois à l'écart. Gainsboug y fait la description de cet hôtel et de tout ce qui compose le chemin que parcourt le couple pour arriver jusqu'à leur chambre. La musique est d'ailleurs rythmée de telle sorte à ce que l'on puisse penser qu'ils sont justement en train de marcher. Comme je l'ai dit, c'est surtout le thème du narrateur qui domine, mais les violons de Melody sont là, ils apparaissent seulement très rarement et à chaque fois de façon très brutale. Symbole de ses réactions face à ce qu'elle voit, où les sonorités expriment ses peurs et ses doutes face à l'acte qu'elle s'apprête à commettre. Toujours est-il qu'au bout de 2' 15, un air d'orgue ou d'un autre instrument entre en scène, signifiant que les personnages sont en train de s'embrasser ou de se déshabiller et de commencer les préliminaires. C'est du pur génie ! Non seulement c'est super bien trouvé et bien représenté, mais ça donne une putain de partition épique !

Et puis évidemment viens la scène du rapport sexuel. La cinquième chanson l'illustre par une musique très rock, rythmée et répétitive. Elle est exclusivement composée des instruments caractéristiques du narrateur, signifiant que c'est encore lui qui mène la danse et qui des deux, prend le plus de plaisir. A un moment donné, des cris de Melody se font entendre. Au début je pensais qu'elle riait ou qu'elle jouissait de plaisir, mais désormais j'ai tendance à penser que se sont en réalité des cris de souffrance. On entend en fond un air de violon se tordant avec douleur. A la fin le narrateur nous annonce que Melody a pris un avion pour renter chez elle mais que ce dernier s'est crashé et qu'elle est morte.

La toute dernière chanson reprend exactement les mêmes accords que la première, mais en y ajoutant de nouveaux instruments tels que L'orgue et les tambours. La signification philosophique de cette chanson peut varier selon les interprétations, en ce qui me concerne, je pense que ce morceau illustre le suicide du narrateur qui, affaiblit par le chagrin décide de mettre fin à ses jours. Plusieurs indices viennent appuyés mon hypothèse, comme le rajout de ces instruments qui de part leurs sonorités nous rappelle l'église, le pouvoir de dieu, et nous donne l'impression d’assister à un enterrement. Ensuite, vers la moitié de la chanson, des voix mixtes viennent s’ajouter. Ils prennent la forme d'une chorale, renforçant un peu plus la dimension religieuse. Mais de plus ces voix particulières, nous font également penser aux anges et aux esprits qui peuple l'au-delà. Ce qui nous indique que notre héros est entrain de monter progressivement au paradis. La musique se déroule ainsi pendant un long et sublime moment. Puis, se calme et c'est alors que l'on réentend avec plaisir nos deux protagonistes répétant les paroles qu'ils s'étaient déjà dit au début de l'album. Symbole de leurs retrouvailles dans l'autre monde.

Vous l'aurez compris, Histoire de Melody Nelson est un excellent album, bourrés de connotations poétiques et de subtilités musicales absolument géniales. Pour autant, il n'est cependant pas nécessaire de cerner toute la profondeur et les sous-entendus de ces chansons pour pouvoir l'apprécier. Pour preuve, même si je suis époustouflé par tout ce que cet album a réussi à me conter, ce n'est pas juste pour ça que je l'écoute sans cesse. Il contient tellement de bonnes musiques foutrement bien foutues et entêtantes, de paroles poétiques et hypers profondes, de diversifications entre les morceaux, qu'il est presque impossible de s'emmerder à son écoute et de le considérer comme une daube. L'interprétation de Gainsbourg est des plus réjouissante. Il abandonne pour la première fois le chant et adopte une narration linéaire ce qu'il colle parfaitement avec sa jolie voix grave et renforce le récit commun à toutes les chansons. Quand à Birkin même si elle ne fait pas grand chose vocalement, sa seule présence insuffle toute l'énergie et la légèreté nécessaire à cet album très sombre et mélancolique. Saluons également le travail de Jean-Claude Vannier qui s'est occupé de tous les arrangements et qui, grâce à ses subtiles sonorités rend le disque encore plus magique et addictif.

Voilà, je pense vous avoir tout dit sur cette œuvre. Encore une fois tout cela reste une interprétation personnelle, je ne prétends pas avoir la science infuse, et ne me réfère d'ailleurs qu'à la musique en mettant un peu de côté les paroles. J'ai fait cette critique avant tout comme une expérience, pour voir si j'étais capable de critiquer autre chose que des films. A vous de me dire si c'est réussi ou non. En attendant je vous recommande fortement ce petit chef d’œuvre et vous encourage à me raconter votre propre ressentit sur votre écoute. N'hésitez pas me corriger si vous voyez que je m'aventure parfois vers des théories douteuses !

PS: Un grand merci à OVBC, qui m'a gentiment fait part de son ressentit et à corriger toutes les nombreuses fautes que j'avais faite.

Créée

le 24 mars 2014

Modifiée

le 8 avr. 2014

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Alfred Tordu

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