Memphis, mon pote ! Ça te parle ?


Si quand t'entends ça, tu penses à un rockeur français grisonnant, tu te goures, quoi qu'ait dit Mitchell.
Si par contre tu penses Elvis, B.B. King ou Aretha Franklin, t'es dans le vrai. Memphis, c'est le berceau du blues, du rock, du gospel. C'est la patrie de Johnny Cash, Howlin' Wolf, John Lee Hooker, Jerry Lee Lewis.
Seulement c'est pas tout. Si t'es bloqué à ça, il te manque le principal. L'essentiel. La substantifique moelle.


Pour le comprendre, faut remonter en 1957. Jim Stewart et sa soeur Estelle Axton, deux pâlichons du Tennessee fondent un label du nom de Satellite Records. Quelque part dans un garage de Memphis, ils se font la main à produire de la country et du rockabilly.
En 1959, Jim Stewart découvre le rhythm and blues. Comme un aveugle qui voit pour la première fois. La révélation, le coup de massue en travers de la tronche. Stewart comprend que c'est ça qu'il faut faire.


Les deux compères laissent tomber leur garage et leur studio de Brunswick pour s'installer définitivement à Memphis. Une ville au sommet du delta du Mississippi, perdue au milieu de trois états, coincée entre le Sud marécageux et les bayous de La Nouvelle-Orléans et le Nord industrialisé de Chicago et Détroit.
Stewart et sa soeur posent leurs bagages au coeur du ghetto noir, dans le sud de Memphis, dans un vieux cinéma désert. Fini Satellite Records, le label s'appellera désormais Stax Records, du nom de ses deux fondateurs.


Dans les entrailles du ghetto, Stax développe un son unique, la southern soul, ou deep soul. Le son Stax (le Memphis Sound) pioche ses influences dans le blues, la country et le gospel. C'est la musique d'une certaine idée de la liberté, d'une symbiose entre les musiciens et le chanteur. C'est le feu des cuivres qu'on libère derrière un pantin habité.
Ces pantins, Stax va en trouver plusieurs. Le plus connu, le plus grand, Otis Redding, sera la figure de proue du label, mais Stax découvrira aussi Wilson Pickett, Isaac Hayes ou encore Albert King.


Et puis quelque part au milieu des années 60, un duo biberonné au gospel formé à Miami débarque à Memphis sous les conseils d'Atlantic Records. Sam Moore et Dave Prater deviennent sous l'influence de Stax une machine à tubes. Que ce soit avec Hold on, I'm Comin' ou plus tard Soul Man, Sam & Dave inondent les ondes de leurs voix soul, de l'incandescence de leurs singles.
Loins d'avoir la constance d'un Otis Redding ou d'un Albert King, Sam & Dave compensent le manque de substance de leurs albums par des lives fumants, d'une énergie folle leur attribuant le surnom de Double Dynamite. Il y a quelque chose de mystique dans toute cette sueur crachée sur la scène, une force supérieure. A tel point que même Otis Redding refuse de passer après eux.


Il suffit de prêter l'oreille quelques minutes à l'appel soul de Sam & Dave, de se frotter un peu aux cuivres d'Hold On, I'm Comin' pour se rêver au volant de sa bagnole, lunettes fumées et vitres baissées, faisant hurler les pneus en plein désert, pour se voir dans le ghetto noir de Memphis en 1960, pour laisser vivre son côté soul.


Après 21 ans d'une collaboration volcanique, les deux amis se sépareront et tenteront, sans succès, d'exister sans leur moitié. Sans doute pétris de regrets et de nostalgie pour leur gloire passée, ils ont dû penser plus d'une fois à reformer leur duo.
Après tout, Dave irait bien refaire un tour du côté de chez Sam.

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le 6 mars 2016

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