Honeymoon
6.8
Honeymoon

Album de Lana Del Rey (2015)

Le capot poussiéreux d’une Buick Skylark stoppe sa course sous l’enseigne grésillante d’un motel à l’aspect miteux, quelque part sur la route 66. Une fois le moteur coupé, l’engin reste silencieux plusieurs minutes ; la pénombre empêche l’œil de distinguer l’intérieur du véhicule, malgré le néon bleu qui crépite - BED / DINNER - , pour une poignée de dollars , en lettres abimées, sous le menton des étoiles. C’est une nuit de Juin brulante, l’atmosphère moite colle aux ailes des nombreux insectes présents. Leurs minuscules corps, rompus d’inlassablement se cogner au plastique des lumières, forment un étrange nuage vrombissant de solitude, indifférent au monde d’en bas…


La portière s’ouvre doucement ; une jambe svelte, couverte au-dessus du genou par une jupe de couleur crème se risque à se poser sur le gravier. Le cercle incandescent d’une cigarette accompagne la silhouette qui sort sans se presser de l’habitacle et se dirige vers le restaurant, sans un bruit. Des croutes de tapisseries manquent aux murs – une forte odeur de friture mâtinée d’alcool flotte dans l’air ; on pourrait presque en toucher les effluves du bout des doigts. La jeune femme s’assied sur une banquette et commande un whisky sans glaçon, ainsi qu’un cheeseburger. Poussé contre le mur du fond, un jukebox lui fait méchamment de l’œil. Elle ne résiste pas longtemps avant d’aller y insérer une pièce en argent. "Vous avez bon goût" lui lance un type vêtu d’un blouson en cuir déchiré, lorsque les notes de Love Me Tender du King emplissent le fast food.


Nostalgique d’une époque qu’au mieux, elle pourra effleurer d’une caresse, du bout de ses cordes vocales tendues, Lana Del Rey s’escrime à recréer cet univers qu’elle chérit tant : glace vanille langoureusement léchée à deux, le dos posé contre l’ossature d’une décapotable rutilante, sous un soleil de plomb, deux yeux fixés sur le dos musclé d’un jeune homme à l’allure hollywoodienne, l’Amour comme guide spirituel, l’Amérique comme champs de bataille, oui, on est bien en terrain connu. Mais la chanteuse n’en fait-elle pas trop ?


Honeymoon avec son titre au gout sucré et la banalité affligeante de sa pochette, ravira les habitués de la jeune femme, toujours reine dans l’art de la langueur : sa voix diaphane qui se traine lors des couplets, s’envole à nouveau dans les refrains pour atteindre ce que certains pourront voir comme une sorte de paradis perdu , lieu de culte silencieux où les âmes de ces grandes figures des 60’s trimballent leurs carcasses de souvenir en souvenir, amusés d’entendre cette femme aux lèvres de feu scander leurs noms comme pour les faire revenir d’entre les Morts. Certaines mélodies sont plaisantes (Honeymoon , Music To Watch Boys To , par exemple, et surtout Religion , probablement le meilleur morceau de l’album) mais les instrus (une fois encore !!) sont à la traine. À croire que seule la voix se doit d’être entendue, le reste n’étant que chimère. Difficile de ne pas s’ennuyer, de ne pas y entendre les vains échos d’une diva dont l’égo blessé tente d’exister à grands coups de name dropping et de clichés périmés, rendant son univers inaccessible pour peu que l’on n’adhère pas au personnage. Comment faire l’impasse sur sa silhouette carnivore, sa libido sirupeuse et sa moue si particulière ?


Et l’on est là, tel l’hélico fou, d’ High By The Beach , à remuer nos ailes vainement, agacés par la platitude de l’album, furieux de ne pas retrouver les maladresses attachantes de Born To Die , le nez dans notre verre de Whisky vide. Un autre ?

KiidCathedrale
6
Écrit par

Créée

le 14 août 2017

Critique lue 134 fois

1 j'aime

KiidCathedrale

Écrit par

Critique lue 134 fois

1

D'autres avis sur Honeymoon

Honeymoon
RustinPeace
9

Dark Paradise.

Après plusieurs albums et EP aux fortunes diverses, dans lesquels elle développait un univers hybride, à la fois pop, R'N'B, et symphonique, "Honeymoon" semble marquer la maturité de Lana Del Rey...

le 18 sept. 2015

21 j'aime

Honeymoon
EricDebarnot
8

J'ai côtoyé la Beauté

Lana telle qu'on l'attendait, débarrassée autant des tics RnB de "Born to Die" que de l'horrible production "lynchiano-rock" concoctée par Dan Auerbach pour son "Ultraviolence" largement raté : sa...

le 25 sept. 2015

10 j'aime

3

Honeymoon
Caroline4
9

Moonrise Kingdom

Lana. Ô Lana. Toi et moi, c'est une grande histoire musicalement profonde, qui dure, et que rien ne semble pouvoir briser. Je t'ai découvert il y a quelques années, un peu par hasard, avec Blue...

le 27 sept. 2015

9 j'aime

3

Du même critique

Enfants terribles
KiidCathedrale
8

Remords d'une ombre

Les bras croisés sur son torse nappé de miel, un jeune garçon songe à la mort. Encerclé par des dizaines de mains cramponnées à des stylos, grattant lignes sur lignes avec fureur, il se sent comme un...

le 11 mai 2017

21 j'aime

1

Disco Elysium
KiidCathedrale
9

La solitude du buveur de plomb

Déjà, la ville prenait les tonalités rose-et-bleu du crépuscule - la nuit l'épiait, prête à lui sauter dessus, de toute sa force lunaire. Son pied heurta une bouteille vide, symbole d'une existence...

le 19 nov. 2019

12 j'aime

3

Snowpiercer - Le Transperceneige
KiidCathedrale
1

Train en plastoque

L'arche métallique dévore des kilomètres de rails aussi frénétiquement que les crasseux du dernier wagon leurs protéines gluantes. Sous la dent malicieuse d'un gamin joueur, une balle, évident...

le 4 janv. 2014

10 j'aime

4