Identity
5.2
Identity

Album de Zee (1984)

Vient ce moment dans la vie du jeune fan de Pink Floyd où il a écouté tous les disques de son groupe fétiche, moment terrible s'il en est. Que faire à présent ? Dans sa soif de musique floydienne, il ne tardera pas à se tourner vers les carrières solo des cinq loustics. Gilmour et Waters seront certainement les premiers mis à contribution, mais les grandes envolées conceptuelles du second le laisseront sans doute aussi tiède que les gratouillis de guitare moyennement inspirés du premier. S'il ose Barrett, il sera tour à tour fasciné et terrorisé : plonger ainsi sans bouée de sauvetage dans l'esprit d'un fou n'a rien d'agréable. Resteront Mason-le-batteur-rigolo et Wright-le-claviériste-timide, et là, il faudra qu'il soit vraiment acharné pour se pencher sur leurs cas.


Sa curiosité sera peut-être attisée par cette mention d'un autre groupe formé par le second en plein milieu des années 1980, un duo à l'origine d'un unique LP. D'abord, il y a ce nom, aussi étrange que concis : « Zee ». Il y a ensuite cette pochette, d'un gris métallisé uni où ne se détache que le nom du groupe en rose fuschia. Difficile d'être plus éloigné des visions hyperréalistes du studio Hipgnosis : rien à quoi se raccrocher, ici non plus. Enfin, il y a le partenaire de Rick au sein de ce duo : Dave « Dee » Harris. Même si notre hypothétique fan possédait une solide culture musicale, il faudrait qu'il soit pas mal versé dans les arcanes les plus obscurs du courant néo-romantique du début des années 80 pour connaître Fashion, le premier groupe de Harris (je confesse n'avoir moi-même qu'écouté distraitement une poignée de titres de leur album le plus réputé, Fabrique). Une chose est sûre : l'alliance des deux hommes est l'une des plus improbables que l'on puisse imaginer, digne d'un hypothétique duo entre Samantha Fox et Hawkwind.


Imaginons à présent notre fan commencer l'écoute du disque. Imaginons son choc. Imaginons l'image mentale qu'il s'est construite de Rick Wright autour des nappes de claviers oniriques de Echoes ou Shine On You Crazy Diamond. Imaginons-la détruite, ravagée, anéantie par la déferlante de synthétiseurs et de percussions électroniques qui le frappera de plein fouet dès les premières secondes de Cönfüsiön. S'il parvient à surmonter sa première réaction de dégoût, il retombera peut-être sur ses pieds avec la chanson suivante, Vöices, où le duo s'efforce de construire une atmosphère plus posée et embrumée. Même ainsi, le Fairlight CMI continuera sans doute à lui taper sur les nerfs, avec ses sonorités tellement typées 80s. Il regardera le tracklisting au dos de la pochette et, tout en se demandant les raisons du délire avec les trémas partout, espérera qu'au moins un des six autres titres lui offrira de l'orgue Hammond, du piano, du bouzouki, des bruits de prouts sous les aisselles, n'importe quoi de différent. En vain. Même s'il survit jusqu'aux dernières notes de Seems We Were Dreäming, une écoute lui suffira probablement pour décider qu'il n'aime pas, ranger ce disque dans la catégorie des notes de bas de page embarrassantes et se tourner vers un Broken China ouvertement floydien et donc bien plus plaisant.


Pour autant, cet Identity n'est-il réellement qu'une « expérience ratée », comme l'a décrit Wright lui-même quelques années plus tard ? À mon sens, le principal problème du disque, c'est qu'il ne sait justement pas s'il veut être expérimental ou pas. Un vrai disque d'avant-garde n'aurait probablement pas inclus tous ces rythmes dansants, et n'aurait certainement pas eu des paroles sur chacune de ses pistes. Ce n'est pas pour autant qu'on a vraiment affaire à un disque de synthpop Eighties : les chansons sont trop longues pour cela, et elles refusent obstinément d'adhérer à une formule unique. Le duo tente des tas de trucs, du zolo saccadé de By Töüching au tribalisme de la bien nommée Strange Rhythm, de la pop discoïde complètement assumée de Cönfüsiön (ou bien l'encore plus efficace Eyes of a Gypsy, uniquement sortie en 45 tours) à la douceur tranquille, presque progressive (mais oui !) de Seems We Were Dreäming. Donc, « expérience ratée » ? Oui, mais ce n'est pas parce qu'une expérience est ratée qu'elle est forcément improductive ou indigne de votre intérêt. Même si vous êtes un jeune fan de Pink Floyd.

Tídwald
6
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le 17 juin 2014

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