In the Rain
7.5
In the Rain

Album de Sol Invictus (1995)

Parmi les initiés au style singulier de Sol Invictus, In The Rain figure parmi les productions les plus adulées. Et pour cause : dans l’œuvre générale de Tony Wakeford, ce huitième album marque un pic nouveau de créativité. Pour la première fois, la petite formation folk mélancolique, quasi limitée à un guitare/voix depuis quelques albums, se mue en un mastodonte orchestral dépressif. Au cours de l’année 1994, à la suite des sorties consécutives de The Death Of The West et Black Europe, le compositeur s’entoure de Sarah Bradshaw au violoncelle, de David Mellor au piano et aux claviers, de Karl Blake à la guitare électrique et la basse, de Nathalie Van Keymeulen et Céline Marleix-Bardeau aux violons, d’Eric Rogers à la trompette et enfin de Nick Hall à la batterie et aux percussions. Les nouvelles recrues, approchées pour subvenir aux ambitions grandissantes de Wakeford, reçoivent assez rapidement des directives précises quant à l’évolution du son de Sol Invictus. En tyran déterminé, il ne laisse rien au hasard et affirme ses positions en certitudes absolues ; In The Rain vadrouille dans ses pensées depuis un bon moment déjà, et lorsqu’il s’agit d’enregistrer le fruit de ces réflexions sur bande, tout est déjà prévu, pensé et réfléchi des dizaines de fois.

La seule résonnance de la production sur-léchée permet de considérer l’importance vouée par Tony Wakeford à ce nouvel ouvrage. Destitué de la simplicité du duo guitare/voix, le voilà maître de son entreprise la plus ambitieuse en date et, bien conscient des possibilités musicales lui étant nouvellement offertes, il commence par amplifier l’approche émotionnelle de son travail textuel. En impitoyable lyriciste, il s’adonne au cours des 11 titres d’In The Rain à une introspection poétique dénuée quelconque espoir. L’amour, la jeunesse, la mort y sont les principaux thèmes traités, avec fatalisme : sans vie, pas de mort ; sans jeunesse, pas de vieillesse ; sans amour, pas de chagrin amoureux. D’ailleurs, cet amour perdu demeure un sujet sensible pour Wakeford, comme le témoigne le refrain de « Believe Me » : « And without love we are lost, without love we are dust, believe me we are dust, without love we lose our souls, and mine it left long ago, the gods above and gods below, believe me, believe me… ». Dans « In The Rain », le narrateur dénonce l’amour naissant, illusion ensoleillée d’un quelconque bonheur, illusion inévitablement trompée par l’impitoyable réalité : tôt ou tard, l’amour est bouleversé par la vie, la mort. Alors, autant y mettre un terme de soi-même (« Oh What Fun »).

Ces considérations textuelles réjouissantes nécessitent bien entendu un accompagnement musical des plus solennels. L’habituelle guitare folk, appuyée par une acoustique plus vraie que nature, donne l’impression d’être jouée à quelques mètres de soi : cette proximité tant formelle qu’émotionnelle ouvre à l’ouvrage les portes du traumatisme. Omniprésent, le mini-orchestre dégoté par Wakeford prend le rôle de balance des émotions. En jouant avec les rythmiques, les textures, et surtout les dynamiques, les violons apportent gravité et pouvoir au propos du saltimbanque dépressif. Pour qui suit les pérégrinations discographiques de Tony Wakeford depuis les années 80, le talent de compositeur de ce dernier n’est pas nouveau. Il atteint pourtant ici un nouveau pic : si les mélodies sont finalement simples et parfois même grossières (« Oh What Fun »), elles sont relevées par l’aplomb nouveau des cordes (violoncelle, violons) et la renaissance stylistique du synthé dans l’art de Sol Invictus, alors même qu’il s’agissait là d’un des principaux défauts des précédents essais. Parfait exemple de cette perfection nouvelle : « An English Garden ». Les refrains, épiques et fatalistes, jouent en contraste direct avec les couplets, intimistes et lumineux. Clavecin, synthé, violons synthétiques, ligne de chant habitée, le titre est si réussi qu’il est de ceux que l’on a l’impression d’avoir toujours connu, même lorsque l’on y pose l’oreille pour la première fois. A l’image d’In The Rain, ce bijou intimiste, fataliste et mélancolique, beau par le son, beau par le texte.
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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