"C'est une excellente musique à écouter en courant. Je l'ai d'ailleurs fait moi-même."

Dixit Daniel Pemberton à propos de la piste "Growing Up Londinium", émaillée de râles, de cris et de bruits de respiration (ceux du compositeur). Cette excentricité suggérée par le monteur du film de Guy Ritchie caractérise bien la bande originale, sorte de trip rythmique accompagnant le remixage d'une légende arthurienne plus tout à fait conventionnelle.


Car c'est bien l'approche rythmique, voulue par un réalisateur défavorable à un traitement plus mélodique, qui définit l'essence de la musique composée pour King Arthur: Legend of the Sword. Elle aurait pu susciter la crainte d'un énième ersatz de musique RCPienne, nourrissant d'un bout à l'autre l'oeuvre de percussions massives et de sempiternels "BRAAAAaaams" (a.k.a. Horns of Doom). Le dernier rejeton musical dont a accouché le père Pemberton est à mon sens bien plus que cela: on pourra l'accuser d'avoir conféré à ses compositions un caractère puissant et frénétique, peut-être, mais pas de les avoir rendues lourdes et pompeuses (comprenez passablement banales et ennuyeuses). Cela étant dit, en vertu de la tolérance et des sensibilités de chacun face à ces éléments, le score est indéniablement de ceux qui divisent profondément l'auditoire béophile.


La force du travail de Pemberton repose, de mon point de vue, sur le choix de l'instrumentation effectué par un compositeur qui a fait ses recherches avant même de se mettre à l'écriture. Au devant de l'orchestre, la part belle est en effet donnée aux instruments médiévaux ou de la Renaissance, parmi lesquels la vièle, la vielle à roue, la trompette marine, le cor, le violon Hardanger, le nyckelharpa, ou encore la guitare médiévale. Certains sont détraqués, martyrisés, désaccordés pour produire un son atypique et saisissant, guttural, rugueux. Ajoutez des éléments tels que des pierres, des baguettes (oui, on parle bien des couverts asiatiques), des objets... hybrides, un poil de manipulation électronique (pas omniprésente pour autant, loin s'en faut), un orchestre qui joue délibérément faux, et ça devient même sale (et c'est du reste le résultat recherché). J'adore ce son que Pemberton qualifie de "viscéral": ça vibre, ça grince, ça craque, ça claque, et c'est physique, organique. Une esthétique qui n'est pas sans rappeler celle qu'avait appliquée Bear McCreary à la série Black Sails et qui, comme lui, sonne néanmoins très moderne. De la même manière donc, le compositeur britannique amplifie la dimension rustre des lieux et personnages que nous donne à voir le film. Et il le fait intelligemment. J'écoute la piste "Seasoned Oak", et me parviennent instantanément des effluves de vieux bois, de transpiration et d'haleine fétide. Peut-être celles qui ont flotté dans le studio du gars pendant son labeur acharné.


Si le score de King Arthur: Legend of the Sword est aussi sale que les rues mal famées de Londinium, on y trouve néanmoins de la beauté, malgré les strictes directives de Ritchie. Quelques thèmes et motifs fort sympathiques ont réussi à se glisser même si, de l'aveu du compositeur, nombre de ceux qu'il avait écrits originellement ont fini à la poubelle... Ce sont d'ailleurs le plus souvent ces motifs qui exposent une belle influence celtique. Je retiens en particulier le thème relativement simple, mais exquis, associé à l'épée légendaire et à la destinée royale d'Arthur, par exemple dans "The Born King", avec des variations intéressantes dans une poignée d'autres pistes. Il amplifie de manière sublime l'émotion qui s'exprime lors de quelques scènes clés du film: ici doucement initié par les mouvements légers d'un quatuor de violons, rejoints par une magnifique ligne mélodique de violon Hardanger en solo, le tout monte progressivement en puissance avant l'arrivée de l'orchestre pour la culminance de l'ensemble, dans toute sa gloire retenue et sa magnificence. J'ai frémi de bonheur. Et je maudis Ritchie d'avoir bridé l'aspiration thématique de Pemberton pour ce film, qui en avait apparemment beaucoup sous le coude...



Verdict



Amateurs de musique épique traditionnellement associée aux épopées fantastiques, prenez garde, car ce nouveau Pemberton est une toute autre bête, aussi singulière que son pendant visuel. Pour ma part, j'ai trouvé dans la b.o. de King Arthur: Legend of the Sword l'incarnation même du plaisir coupable, vectrice efficace d'émotions primaires (je l'avoue, il me prend de me lancer dans ce qui pourrait s'apparenter à des danses tribales au son de cette musique). L'oeuvre de Daniel Pemberton sied comme un gant au film qu'elle sert, en incarnant tout à la fois l'âpreté, la frénésie et la noblesse qui s'en dégage, et la quête de paix dont il rend compte. Cependant, ce qui me reste d'objectivité me fait dire que l'écoute isolée, bien que préparée avec soin par un compositeur sensible au plaisir de ses auditeurs, n'apparaîtra pas nécessairement évidente d'accès (ainsi que ce fut de prime abord le cas concernant votre serviteur). En conséquence, cet album ne sera probablement pas pour tout le monde... Peu importe, il est pour moi !


Ici, pour davantage d'infos, le compositeur évoque son travail et commente 5 des pistes de l'album (in english).
Et là, un bref "making of" du score (in english too). Le coup d'oeil en vaut la peine, ne serait-ce que pour admirer tous ces instruments ahurissants.



Courir en s'écoutant respirer est un peu bizarre, mais en fait c'est bien, je le recommande vivement.
Daniel Pemberton



A méditer et expérimenter.

Fab_the_law
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le 3 août 2017

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