Le testament du roi lézard

Bon, c’est vrai que l’album a pris un coup de vieux, mais c’est le bon vieux, le vieux qui enrichit. Le genre de vieux qui recouvre d’un vernis protecteur à l’ancienne, terrible révélateur de la qualité, ou de non qualité, comme le tanin dans un grand crû. Et force est de constater qu’on est pas là pour rigoler. On a un blues brut de décoffrage. Que se soit Been Down So Long ou Car Hiss By My Window, c’est binaire, sans fioritures, ni notes inutiles, pas de virtuosité tape à l’œil. C’est terrien, et brillant par sa simplicité même. La guitare de Robby Krieger, crache du feu, et martèle ses riffs, pour bien nous montrer qu’il vient du blues, et qu’il n’est pas là par hasard. Ça a la chaleur du live, c’est psyché un peu, juste ce qu’il faut, un psyché light, car le clavier accepte de s’effacer, est plus discret, l’album est d’un esprit beaucoup plus rock qu’attendu. Tiens ! Crawling King Snake, encore un blues, une reprise de John Lee Hooker. The Doors c’est un groupe de blues-rock, américain de surcroit, ça se sent, et ils veulent que ça se sache. Donc retour au blues, aux origines, peu d’effets qui feraient joli, joli on ne fait pas dans la variété ici. C’est vrai que LA Woman est un tube, mais il garde ce son et cette originalité borderline qui fait la force du groupe. Un charisme pas possible, des textes à double sens, acides, poétiques, avec une grande force d’évocation. La voix rauque de baryton bourré de Jim Morrison, qui nous fait décoller du fauteuil. Sans lui plus de Doors, la suite l’a montré. The Wasp (Texas radio and the Big Beat), et là, l’orgue de Manzareck reprend ses droits. Il faut être bon pour se permettre ses changements de rythmes, d’ambiance, ou bien passer d’un blues-rock basique à une musique de bal populaire, modulation de fréquence pour piliers de bistrots mélomanes. Le plus étonnant c’est que malgré ça, tous les morceaux restent homogènes, grotesques parfois, mais toujours bien bâtis, aucune faute de goût. Moi, j’ai une préférence pour L’America. Je le trouve très visuel, dès l’intro et l’orgue électronique tout en suspense, je vois le film duquel il aurait put être tiré, et je voyage. Et on ne peut pas passer à côté du final, un grandiose Riders On The Storm. Mouvement de basse et solo de clavier légendaires, toute parole pour expliquer ce que l’on ressent serait de la parabole inutile, et n’arrivera pas à couvrir l’orage qui gronde dans le lointain. Cette chanson est à la croisée, et a la dimension de ce que doit être un groupe américain. Puissant, viril, debout droit dans ses bottes, et libre comme un cheval sauvage. Jim Morrison mourra quelques mois plus tard à paris, dans des circonstances mystérieuses.