La La land ne ressuscitera pas la comédie musicale au cinéma. Il ne produira pas l’effet qu’eut Gravity à sa sortie : c’est-à-dire régénérer un genre à l’abandon, presque mort, et qu’il soit ensuite sucer jusqu’à la moelle par les studios hollywoodiens, jusqu’à ce qu’il ne signifie plus rien. Cela avait marché pour des films comme Interstellar, voire, à la limite, pour The Martian, puis beaucoup moins pour des long-métrages tels que Life. Non, La La Land, fort heureusement, restera une exception dans le paysage cinématographique américain à la fin des années 2010. Le film donnera en revanche naissance à de nouvelles bandes originales aussi inventives, colorées et profondément inspirées comme l’est celle du troisième long-métrage de Damien Chazelle. Parce que l’on n’est pas mieux accompagné que par ses amis, le réalisateur fait encore appel à Justin Hurwitz qui, auparavant, avait déjà signé la splendide partition enfiévrée de Whiplash. Certes, on retrouve l’héritage rythmique de la précédente composition, même si, toutefois, celle de La La Land se nourrit davantage des aspects mélodiques et harmoniques de la musique de films. Le prodige américain, âgé d’à peine trente-deux ans au moment de la sortie du film, ouvre désormais son orchestre à une panoplie de nouveaux instruments qui viennent offrir des possibilités thématiques innombrables. Pourtant, le compositeur choisit de nous présenter qu’un seul thème, celui, très juste, de Mia et de Sebastian. Whiplash cloisonnait sa musique autour de quelques mouvements de batterie, de piano et/ou de saxophone, témoignant de l’intimité lugubre installée entre Andrew Neiman et Terence Fletcher ; La La Land, au contraire, se déploie symphoniquement, avec générosité, afin de représenter correctement la relation amoureuse passionnée décrite à l’écran. Tout aussi ambitieuse, cette bande originale s’inspire continuellement de la musique jazz et des plus grandes partitions de musique de films de l’âge d’or hollywoodien – celles de Max Steiner et de Miklos Rozsa. Sans conteste, que ce soit pour des supports swing ou des interprétations philharmoniques, Justin Hurwitz cite toute la palette musicale de Michel Legrand. Du côté des inspirations plus classiques, plus savantes autrement dit, Justin Hurwitz mentionne principalement, si ce n’est exclusivement, les meilleurs morceaux de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Cela dit : bienvenue à La La Land.



Songs of the morning and the evening :



https://www.youtube.com/watch?v=lV5XmoWC8Mo


Climb these hills
I'm reaching for the heights
And chasing all the lights that shine
And when they let you down
You'll get up off the ground
'Cause morning rolls around
And it's another day of sun


Écrire pour une comédie musicale nécessite premièrement la composition de chansons qui se greffent naturellement au récit cinématographique. Celles-ci racontent par conséquent des histoires qui permettent l’installation de divers contextes ou l’identification à de multiples protagonistes. L’ouverture de cet immense ballet qu’est La La Land se nomme Antoher Day Of Sun. Comme tous les poèmes du chef d’œuvre de Damien Chazelle, il est écrit par Benj Pasek et Justin Paul. Or, à l’inverse des morceaux chantés qui suivront, Another Day Of Sun ne plante pas un décor et n’introduit guère des personnages. Les accords plaqués de cette piste rédigée en Mi bémol majeur, rappelant ainsi les couleurs bourgeoises du jazz, soutiennent, en premier lieu, une mélodie dansante et staccato au piano, bientôt accompagnée d’une voix féminine à l’unisson. Le rythme, déjà effréné, se voit appuyé par l’intervention peu discrète des cuivres et des percussions. La liaison des violons promènent ensuite le piano jovial au milieu des sons incessants des cymbales. Toute cette élégance manifeste confesse les phrases amusantes de la chanteuse tandis que Justin Hurwitz décale ses notes passionnantes vers des clés avoisinantes. En cela, les paroliers réalisent un travail remarquable, tant le quotidien, subtil mélange de promesses et de regrets, compose majoritairement le tableau qu’ils souhaitent déployer. Le tempo, d’une rapidité non-négligeable, excite la batterie virtuose de ce premier morceau. Une voix d’homme, à son tour, se joint à l’ode musicale alors que le compositeur délaisse une nouvelle fois sa tonique. Les citations vocales s’accélèrent pour enfin amener un refrain choral fortissimo, qui, bien au contraire, ralentit le rythme pour honorer une orchestration enjouée autour des claviers sollicités. Dès lors, les échos solaires en cascade, dominés par un chœur lumineux de bonheur, confondent les pas de ces splendides danseurs. De plus, la rondeur des notes exprimées se trouve contrebalancée par la précision, toujours excellente chez Justin Hurwitz, des cymbales et des percussions plus généralement. Un autre conte, cette fois-ci masculin, succède au refrain et les couplets lyriques, composés des deux sexes, s’embrassent et s’entrelacent en insistant constamment sur le picotement des consonnes. Ces délicieuses allitérations explosent ensuite le refrain, de nouveau crescendo, tandis que le compositeur écoule un interlude symphonique. Symbole de l’imaginaire, de la fantaisie et, aussi, d’une part jubilatoire de folie, la flûte traversière crache staccato le leitmotiv enchanté. Le piccolo, quant à lui, marque les arpèges legato. Les cors impétueux prennent alors le relais pour écarter cet instrument trop maigre pour bercer pareille scène. Ce savoureux mixage instrumental déchoit d’un coup dans une nuance basse et agréable. Bam ! La claque de la batterie met à terme à cette douce discussion pour que les rayons du soleil se diffusent sans peine sur toute la partition. La gueule écartelée, le chœur ne semble pourtant pas épuisé, tout au contraire ; quand les uns crient fortissimo les paroles, les autres fredonnent crescendo. Merveilleusement, cet univers polyphonique, parsemé de nombreuses voix dont on distingue chaque syllabe, ne parvient cependant pas, une seconde fois, à repousser la joie orchestrale de la fin d’Another Day Of Sun. Les notes blanches et tenues par les cordes invisibles dans ce torrent d’instruments confirme l’assurance des trompettes savourant toutes les notes.


Is someone in the crowd the only thing you really see ?
Watching while the world keeps spinning 'round ?
Somewhere there's a place where I find who I'm gonna be
A somewhere that's just waiting to be found


La foule d’Another Day Of Sun, chanson du jour, doit se disperser dans Someone In The Crowd, chanson de la nuit, pour éclairer une seule personne perdue dans cet océan phonateur. Justin Hurwitz décide d’écrire Someone In The Crowd en tant que reflet nocturne d’Another Day Of Sun. Pour ce faire, il enclenche deux mouvements distincts présentés, tout comme le morceau précédent, en Mi bémol majeur et avec un rythme identique à son double angélique. Malignes, les colocataires de Mia se pavanent, toutes couvertes de mensonges, et les trombones en contre-temps soulignent la maléfique chorégraphie. Les pulsations des percussions, notamment la grosse caisse, soutiennent le discours habilement proféré alors que le compositeur convoque des clés mineures gorgées de malice et de délice. Deux moments philharmoniques coupent leur hardiesse exaltante : la première séquence musicale s’affiche sur un piano balancé par des accords de jazz et des cymbales charleston sans cesse exploitées ; la deuxième accouple les trompettes et les flûtes traversières qui accouchent leurs notes fortissimo en jouant astucieusement avec la tonalité empruntée. Soudain, la batterie modère ses élans de caisses claires, bien que le crescendo cuivré crèvent nos oreilles. Silence. Mia chante doucement, pianissimo, les épaules caressées par la solitude rencontrée et avec pour seul amant le piano révélant chaque temps. De moderato à allegro, le tempo camoufle une âme abandonnée prête à chercher ce quelqu’un dans l’immensité. Les mélancoliques flûtes traversières cèdent par conséquent le leitmotiv aux trompettes euphoriques. Les chœurs s’agitent furieusement en débitant leurs paroles prophétiques vers une envolée poétique où l’orchestre éclate puis se tait forte piano. L’individu réclamé, Sebastian, se présente finalement à Mia. L’espiègle A Lovely Night, finement introduit par un mouvement chromatique descendant au piano, parcourt la voix chaleureuse et tendre du claviériste de La La Land. Toujours en Mi bémol majeur, Justin Hurwitz enrobe les mots de Sebastian d’une dorure pianistique, agissant comme un rempart amoureux contre Mia. La dame, mécontente et certainement très fière, se pare quant à elle d’un saxophone joueur. Sauf que le monsieur s’avère bien trompeur en interrompant la tirade de Mia par des affirmations mêlées d’interrogations et de doux sifflotements. Quelle perte de temps ! Ne trouvant point d’accord lorsqu’ils chantent, pour la première fois ensemble, leur entente devient réelle quand ils dansent. Pour escorter les mouvements de cette idylle jaillissante, Justin Hurwitz élabore, sur un rythme binaire maîtrisé, un morceau éclatant. Les violons legato démontrent leur arrogance ; les cuivres fortissimo prouvent leur impertinence. La batterie inscrit chaque pas de Sebastian dans le sol en confirmant son assurance. Le leitmotiv d’A Lovely Night se célèbre quand Mia rejoint l’heureux danseur. Le jeu ne s’arrête pourtant pas après un maigre silence. La farandole d’instruments, des trompettes en sourdine aux doubles-croches des cordes, sautille allègrement tandis que le leitmotiv se fraie un chemin dans cette forêt instrumentale. C’est ainsi que Justin Hurwitz nous gâte de modulations. Après l’éclatement final, le renversement des trombones débouche sur la satisfaction du piano, tout staccato, qui termine la joyeuse fable.


Here's to the ones who dream
Foolish as they may seem
Here's to the hearts that ache
Here's to the mess we make


La La Land est une histoire de succès et de défaites. La réussite amoureuse reste intimement liée à l’accomplissement professionnel. Musicalement, Justin Hurwitz traduit, avec intelligence et avec pertinence, ce rapport entre les deux. Start A Fire ne ressemble en rien à Audition (The Fools Who Dream) pour autant. Ainsi, Sebastian ne s’exclame pas dans Start A Fire, restant dans l’ombre de la caricature artistique, alors que Mia gonfle ses poumons dans Audition (The Fools Who Dream) comme si son existence défilait dans le fil de sa voix en choisissant sa voie. Les acclamations pour cette dernière sont les nôtres ; celles pour son soupirant demeurent étrangères au début de Start A Fire. Tel un succès commercial, tout en conservant un travail mélodique appréciable, la chanson de John Legend écrite en Si mineur débute par les accords clichés du piano, se libérant dans les hauteurs. Très vite, John Legend rattrape l’affranchissement soudain du subtil clavier, et il lui plaque ses anaphores sentimentales. Le piano, non-traficoté, se noie alors dans une marée de confrères électroniques. La guitare électrique étouffe les cordes du piano alors que la batterie, au rythme particulièrement régulier, se vêtit de chœurs féminins. Ils célèbrent, en outre, avec modernité, les plus grandes chansons de swing comme celles de Frank Sinatra. D’ailleurs, ceux-ci prolongent les paroles toutes chaudes de John Legend, qui paraphrasent ce que ne peut exprimer Sebastian lorsqu’il s’adresse à Mia. Lui, immobilisé par une charmante pudeur, se confie avec les seuls instruments. Une note, un mot. Un accord, une phrase. Un legato, une affirmation. Un staccato, une exclamation. La déclaration ne peut toutefois se faire en public. Aussi travestit-il ses émotions à travers un clavier Roli où chaque doigté, bien que précis, manque de sincérité. Le concert se clôt certes sur ce piano tentant de s’évader ; or le vrombissement de l’auditoire l’aplatit sans scrupule. La folle foule le fustige. Au contraire, par respect, personne ne s’attaque aux cris véritables de Mia dans Audition (The Fools Who Dream). Ce chant solitaire s’ouvre par les mots authentiques de Mia. Ils s’évadent ensuite dans un sourire. A ses côtés, toujours, le piano borde, avec la rondeur de ses notes, la fragile élocution de la rêveuse afin qu’elle se renforce. Tandis qu’une délicieuse assurance la conquiert, l’aimable clavier soutient de plus fortes hauteurs, et c’est comme si, bien qu’absent, Sebastian alimentait les espoirs de sa bien-aimée. Audition (The Fools Who Dream), aux allures personnelles, demeure une chanson universelle adressée à tous les idiots et toutes les idiotes dont l’âme s’enfuit dans la Seine. D’une tante qui vivait à Paris découle l’histoire de tant de vies. Justin Hurwitz permet paradoxalement cette évasion des artistes, des peintres, des poètes, des musiciens et des comédiens, en abandonnant jamais sa tonique – Fa majeur, semblable, alors, à l’Automne d’Antonio Vivaldi. La fidélité envers nos rêves se doit alors d’être récompensée. Quand la fête, aussitôt, brise les frontières de l’impossible, le compositeur talentueux en appelle à d’autres degrés tout aussi racés. Comme l’orchestre semble si petit face à Mia discourant intimement pour des centaines, des milliers et des millions ! Le subtil decrescendo éteint ses dernières syllabes, concluant la strophe par un si volatile « again ». Dans La La Land, les illusions mélodiques solfient encore.



City of Stars :



https://www.youtube.com/watch?v=QZLT9LmbhPQ


Dans La La Land, en particulier, s’expriment les genres musicaux d’autrefois ; ils se modernisent quand Justin Hurwitz les convoque. Tantôt le long-métrage rend homme aux bandes originales d’antan, tantôt la partition du film de Damien Chazelle rassasie les instruments oubliés de l’orchestre classique. Ceux-là même, à une certaine période, trônaient en haut des marches du Panthéon de la musique. Le jazz revit par conséquent à travers la passion débordante de Sebastian. Deux morceaux, principalement, empruntent les chemins incertains et virtuoses du jazz : Herman’s Habit et Summer Montage/Madeline. J’admets, en écho à la première partie des critiques de La La Land, que mes connaissances en la matière restent maigres. Pas question de me défiler, nonobstant, alors que Herman’s Habit, sur un rythme binaire, parvient à me réconcilier avec la particularité des sonorités et leur improvisation trompeuse. En incorporant un tissu mélodique cuivré parmi la contrebasse presto et la ride d’une batterie, Justin Hurwitz symbolise la réunion entre l’extrême rigueur et la légère liberté harmonique. Le saxophone, pareil à la trompette, goûte le plaisir de l’ariette toute faite. Dans tout ce grabuge disséqué, le piano démontre son éclat, à la fois en ponctuant les temps, et avant tout en caressant divinement, du bout des doigts, les touches de la grâce. Le voilà encore agile dans Summer Montage/Madeline ! Les notes pré-écrites sur une feuille de papier ne lui autorisent pas de refléter ses volontés. Aussi tente-t-il constamment d’imiter ses confrères orchestraux qui, quant à eux, s’offrent le luxe de la virtuosité. Bien généreux, ils rejoignent malgré tout l’heureux clavier qui, à travers un glissando, s’affranchit de toutes ces barrières. C’est qu’il paraissait fort prétentieux ; c’est pourquoi les trompettes ne cessaient pas de l’interrompre. Tout le monde, dans La La Land, finit pour s’entendre – littéralement. Conséquemment, le dialogue forte, à la fin du morceau cité, entre les cuivres et le piano, réverbère les échelles chromatiques de ces deux compères. Ces utilisations somptueuses, typiques de la musique jazz, n’égalent cependant pas la langueur du spleen présenté dans Engagement Party. Si Summer Montage/Montage caractérise l’euphorie des premières sorties, Engagement Party incarne la beauté des mois passés. Ce quelqu’un est désormais plus que trouvé : il s’inscrit symphoniquement dans le cœur de Mia. Ayant à la fois les contours courbés du saxophone et l’allure massive d’une batterie, le piano promène paisiblement les pensées silencieuses de Mia et de Sebastian. Quelle bienveillante tendresse sillonne les vallées cordiales de l’instrument ! Reprenant Someone In The Crowd, la main gauche plaque simplement les accords pour mieux dessiner le leitmotiv de la main droite, sur une nuance mezzo piano. Puisque cela n’est pas suffisant, Justin Hurwitz pousse d’une octave les doigts attentifs du joueur tandis que l’accompagnement délivre quelques notes ondoyantes. En outre, les intervalles de seconde participent grandement à envelopper le morceau d’un voile réconfortant. La pédale douce, toujours enclenchée, apaise les frappements de chaque marteau. La pédale forte, quant à elle, régulière sur toutes les mesures, élargit la mélodie. Lorsqu’elle se relève, l’étreinte prend fin.


City of stars
Are you shining just for me ?
City of stars
There's so much that I can't see
Who knows ?
I felt it from the first embrace I shared with you


Je suis de celles et de ceux qui ne se lassent jamais de chantonner City Of Stars. Non pas que ce soit la plus admirable chanson de la partition – puisqu’il s’agit de Audition (The Fools Who Dream) –, ni même la plus complexe d’un point de vue de l’écriture – par opposition aux morceaux de jazz –, mais de sa simplicité raffinée naît le plaisir de l’écoute. Encore une fois, les paroliers réunissent la multitude avec le particulier et ils font interagir la grandeur avec la pudeur. La version initiale ne comprend que la voix et les sifflotements de Ryan Gosling, le piano y est plus élégant, et le leitmotiv, jamais pleinement accompli, s’ajoute sur une guitare sèche, puis sur un glockenspiel. La confiance du piano s’incarne alors dans l’appui infaillible des pédales. Dessinée par les cordes frottées d’un violoncelle, la voix chatouillée de Sebastian communique avec plus d’une – et moi la première ! Avec ses notes délectables, City Of Stars transparaît déjà comme l’épicentre narratif de la bande originale, pour ce qui est des chansons, tout du moins. Il ne peut toutefois se réaliser entièrement si la moitié de Sebastian s’absente. De même, dans City Of Stars (Humming), qui exalte seulement les fredonnements de Mia, la musique n’apparaît pas complète parce qu’il manque une partie du récit, c’est-à-dire ce quelqu’un, ce Sebastian. City Of Stars (Humming) demeure plus contemporaine que l’ancienne version plus classique de Ryan Gosling. Le pincement – pizzicato – des cordes de la guitare sèche galvanise les bourdonnements que l’on prend plaisir à entendre. C’est une douceur infinie qui prospère lorsque les murmures assouvis de Mia s’évaporent. C’est une habile folie qui s’épanouit quand elle récite quelques onomatopées adorées. Le commentaire se centre bien plus sur la version en duo avec Emma Stone. D’ailleurs, l’ostinato du piano, qui introduit superbement le morceau, semble à la fois plus jovial et plus impatient. En effet, le chant de Sebastian intervient plus rapidement que dans la première interprétation, encore que le tempo ne modifie aucunement sa course . D’octaves en octaves, touches après touches, Justin Hurwitz ne manque de le moduler pour onduler le timbre affectueux, mais à la limite ironique, du monsieur. Quand c’est au tour de Mia de s’exclamer, les picotements de ses lèvres laissent échapper des soupirs que les notes du piano rattrapent, en décorant d’étoiles musicales le morceau de Justin Hurwitz. Le rire amoureux se mêle au poème car s’aimer est d’abord une aventure amusante. A rush. A glance. A touch. A dance. Voilà ce que c’est dans un premier temps. Allitérations de « s » et de « l » font bondir le clavier sur ses hauteurs ; et tandis qu’il se divertit, l’unisson voyageur de Mia et de Sebastian éveille la structure binaire de la piste. On oublie, avec bonheur, qu’il s’agit de mathématiques. Les nuances, qu’importe ! Le rythme, tant pis ! Puis, bizarrement, Sebastian décide de faire disparaître timidement sa voix pour que Mia, serinant les mêmes paroles que le pianiste, illustre son assurance. Il faut, en amour, parfois se taire, regarder l’autre profiter de notre mutisme. Il devient alors évident que Sebastian veuille que cela reste – Think I want it to stay – ; ce que lui permet le retour satisfait de l’ostinato. Il laisse, finalement, l’épilogue du texte à l’astre roux qui n’a jamais si bien brillé.



Mia & Sebastian :



https://www.youtube.com/watch?v=HSg3tBzAVFk


Pour autant, l’émotion ne saura jamais aussi grande que dans Mia & Sebastian’s Theme. Couvrant la mélodie, l’accompagnement, à la main gauche, s’avère aussi sublime que le leitmotiv malgré son utile discrétion lorsque le thème se déploie légèrement. Réservé comme Sebastian, inoffensif comme Mia, il récite tranquillement ses mesures piano. Parfaitement équilibré, le voici magnifique une octave plus loin, alors que l’accompagnement partage davantage les baisers de la mélodie legato. Le rythme s’accélère au fur et à mesure que les respirations augmentent l’immense sensation. Si la première moitié du thème appartient plus à Mia, la seconde partie, plus déchaînée, reste le fait de Sebastian. C’est-à-dire que la demoiselle le libère des barreaux harmoniques. Mia & Sebastian’s Theme se résout par les notes frivoles et forte du clavier non-tempéré. Une dose, sinon une quantité monstre, de romantisme devient malgré tout nécessaire pour combler deux cœurs qui s’enlacent. Planetarium, éblouissante valse des amants, sur un mode ternaire, ressemble rapidement à une célébration de la musique romantique de Berlioz à Dvorak. C’est en fait la drague de la flûte traversière enchantée, pleines d’ornements et de mélismes, armée d’un piccolo particulièrement taquin – c’est ici Sebastian. Le souffle de ces derniers embêtent presque les instruments boisés et plus sérieux qui personnifient Mia alors que la caméra de Damien Chazelle tourne autour d’elle. Le basson semble d’abord refuser ; mais le hautbois tout à fait charmé ne résiste pas à l’envie d’embrasser les vents égayés. Il se remplit, avec toujours autant de tendresse, de l’amour de Mia et de Sebastian, tel le cor anglais qui répète le premier mouvement du thème. De plus, la flûte, puis les cordes des violons, scandent l’heureuse danse en contre-temps. Le basson, encore réfractaire il y a quelques secondes, se montre royalement volontaire pour déclarer le second mouvement du thème. Quand la harpe frotte ses cordes tendues et aériennes, elle lie le retour de la flûte contentée au hautbois rasséréné. Les violons et les altos, ensemble, s’emballent crescendo ; le piccolo saisit qu’il doit tenir sa langue. Silence. Justin Hurwitz nous régale ensuite avec la totalité de l’orchestre triomphant un amour transparent. Ainsi le roulement des timbales offre la vigueur suffisante aux violons legato dont les archers glissent sans peine pour menotter les mains de Mia et de Sebastian. Tandis qu’ils s’envolent dans les cieux – ou qu’ils s’envoient en l’air puisque toute danse mime une parade –, la flûte, non plus timide comme auparavant, au travers d’un message, se soulage. La piano cher à Sebastian illumine Mia, sans tambour ni trompette. Déjà conquise, cette dernière le cajole avec des violons piano. Quoi de plus merveilleux que l’enclenchement du second mouvement du thème par les violoncelles ! Rarement entendu pareille harmonie dans une symphonie. La partition, aussi limpide que le ciel azuré, est d’ailleurs récompensée par une orchestration d’une finesse exquise, où même la trompette ne paraît pas écrasante, comme si elle remerciait le compositeur de lui dédier de telles notes. La conclusion du morceau dégourdit cette flûte et les violons pizzicato rigolent de sa félicité. Pour terminer, l’orchestre joue un accord fortissimo, alors que le thème de Mia et de Sebastian doit résonner encore une fois, le temps d’un au-revoir.


Toutes les belles choses ont une fin. Dans la bande originale de La La Land, il s’agit de l’Epilogue. Enfermé dans la brute réalité, celle qui éclipse les rêves et les amours fanatiques, le thème de Mia et de Sebastian semble suffoquer dans un vieil enregistrement du passé. Terriblement seul, pour ne pas dire abandonné, Sebastian exige Mia en ne jouant que la mélodie. Elle le rejoint en fait quand une autre histoire s’écrit dans la partition de Justin Hurwitz. Comme si des années avaient forgé cette relation, le piano n’a jamais paru si confiant, les cabrioles du reste de l’orchestre étant absentes. Autant la main droite que la main gauche défendent leurs notes. Par la suite, un merveilleux baiser projette Mia et Sebastian en-dehors de la vérité et, en sept minutes, le compositeur doit tout raconter. Il débute par la jovialité et la folie des premiers instants, quand ils s’excluent des interdits embêtants. Pour cela, Justin Hurwitz reprend symphoniquement Another Day Of Sun, pour compter les jours qui défilent à toute vitesse, tandis que le rythme presto s’empresse. Le piano cède facilement sa place aux cuivres hilares que les réjouissances de la batterie, foncièrement frénétique, défient du regard. Dans un second temps, le jeune compositeur répond à cette farandole par l’ostinato maintenant célèbre de Someone In The Crowd, moment de la confirmation, de l’engagement. Par des liaisons philharmoniques plus grandioses les unes que les autres, les tambours forte et les trompettes empiffrées s’esbignent devant les ambitions de Mia. La chanson des rêveurs, Audition (The Fools Who Dream), étale sa sagesse devant tout l’auditoire. L’Epilogue étant un espace complet des libertés, Sebastian s’empare du refrain de son amante pour exsuder ton talent. Or, une fois les aspirations professionnelles félicitées, la trompette a cappella élève son chant divin. Les revoilà, les cordes féeriques dans lesquelles il semble impossible de se défaire ! Le legato de ces dames ouvre le bal. Le plus poétique des chœurs inonde les cœurs d’un chagrin miraculeux. Il en devient presque difficile à écouter tant sa vélocité parvient à masquer la fausseté de la scène. Il galope, galope, et plus jamais ne revient, contrairement à la mélodie de City Of Stars sur laquelle se superposent des images volées. Dès lors, le leitmotiv idéalisé quitte péniblement la séquence. Progressivement, les étoiles cessent de scintiller. Progressivement, elles s’éteignent pour plonger Sebastian dans l’obscurité. C’est par conséquent avec beaucoup de regrets que les ultimes notes de Mia & Sebastian’s Theme finissent définitivement le morceau, l’histoire. Elles veulent s’étirer alors qu’il est grand temps de renoncer. Pas encore, toutefois, car il reste un dernier regard à partager. Dans The End, courte piste qui achève le long-métrage, la gorge se serre tandis que les yeux s’embrument. La flûte traversière représentant Sebastian accepte de chuchoter finalement le thème. Il sourit. Mia, la prunelle couverte d’un voile trempé, le lui rend, s’en va vers sa nouvelle vie. En acquiesçant son départ, le récit de ces deux-là se finit. Il ne reste plus que le piano, le chœur et l’orchestre avec lesquels le claviériste se marie fortissimo dans un commun accord. Il est maintenant temps pour lui d’avancer.



End Credits :



https://www.youtube.com/watch?v=lpTPwWFtfAk


Je me suis peut-être trompée dans mon introduction en affirmant que la comédie musicale renaissait puis mourait avec La La Land. Des projets sont actuellement en cours. En écoutant, avec attention, ce que Justin Hurwitz a écrit pour tous les amoureux et toutes les amoureuses de la musique, je me suis davantage rendue compte de son caractère unique. En mêlant l’intime au sublime, en refusant de tomber dans l’atonalité voire dans la dissonance, le compositeur épate par sa gourmandise mélodique. Bien que les musiques se confondent, car elles utilisent principalement les mêmes modes et les mêmes clés, chacune d’entre elles reflètent les paroles imprononçables des gens qui s’adorent et qui, du fait de nombreux choix, sont obligés de se quitter. Cela ne signifie pourtant pas qu’ils sont battus par la réalité. Les rêves n’ont pas de fin dans La La Land. C’est justement là qu’ils reposent. La, La, La …

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le 15 déc. 2017

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