La Vie de rêve
5.3
La Vie de rêve

Album de Bigflo & Oli (2018)

Tacler Bigflo et Oli, c'est devenu un peu mainstream, donc je vais me permettre dans cette petite critique de défendre du mieux que je peux leur Vie de rêve qui a le principal défaut de faire apparaître La Vraie Vie toute petite à côté de lui. En effet, il apparaît comme un aboutissement du projet de l'album précédent, comblant toutes ses lacunes et se présentant comme son verso profond, plus homogène et possédant un véritable univers.

On reproche souvent aux frangins de se donner une image de "victimes du rap", qui "eux, disent la vérité" à côté de rappeurs "vulgaires" qui parleraient de "flingues, de filles et de drogues". On leur reproche aussi d'être trop souvent présent sur les réseaux, ce qui fait baisser leur crédibilité largement. Je leur reproche aussi de vouloir laisser cette image aux gens, je le leur reproche parce qu'ils laissent la porte ouverte à des tas de cons qui peuvent leur cracher dessus facilement, alors qu'ils laissent apparaître leur véritable profondeur lorsqu'on écoute leur musique, et particulièrement des albums comme celui-ci. C'est là qu'on les retrouve vraiment, et qu'on ressent toute leur complexité. Pas la complexité d'une vie touchée par la délinquance, la pauvreté, ou d'autres sujets sociaux graves mais la complexité personnelle de ces deux (très) jeunes rappeurs tombés peut être trop tôt dans la cour des grands, et qui ressentent peut-être l'impression d'avoir manqué quelque chose de leur enfance (un thème récurrent dans leur musique), quelque chose de simple mais d'essentiel.

Donc, Bigflo et Oli sont complexes et il leur arrive de faire des faux pas. Mais ça se pardonne, ce début d'album avec un "Plus tard" redondant, redite moins réussie de l'atmosphère de La Vraie Vie et beaucoup trop facile et le feat avec Petit Biscuit qui n'est pas non plus très intéressant.

Mais il faut être patient. On sait que les frangins ont du talent, et ils le prouvent à partir de Rentrez Chez vous où s'ensuit un déluge de bijoux. Peut-être la chanson la plus réussie de l'album, Rentrez chez vous évoque de façon très narrative (style typique de leur premier album) la question difficile des exilés de guerre, et met en images dans un texte très efficace des peurs que l'on est tous amenés à ressentir. Comme ça ne mange pas de pain, l'instrumental est également un vrai régal.
On entre petit à petit dans l'atmosphère très latino, (un peu jazzy) et mélancolique (vraiment beaucoup, l'album s'inscrira dans la continuité des morceaux les plus sombres et réussis de La Vraie vie comme Autre Part) avec une orchestration de cordes léchée.
Parmi les morceaux les plus réussis on trouve également Maman, qui prend le contrepied de son compère en exposant une relation bien plus complexe et difficile à exprimer, mais aussi beaucoup plus touchante (et indispensable...elle complète le tableau familial et donne aussi des choses que le padre ne donnait pas).
La Seule surprend par son atmosphère extrêmement old-school et un feat avec Kacem Wapalek (quelles allitérations...) et Naâman (une voix envoûtante) qui fonctionne extrêmement bien et créé une unité malgré la surprise du mélange des sonorités.
Florian complète à merveille son jumeau Olivio avec la même sincérité, et c'est là qu'on comprend que Bigflo et Oli n'ont pas à vendre cette image d'eux-mêmes comme des jeunes de "la vraie vie" plus proches des gens parce qu'ils n'ont aucune carapace face à leur public : qu'ils le fassent en musique, ils s'en sortent si bien. Une belle construction qui passe en revue divers aspects de l'existence du jeune complexé et son évolution vers l'acceptation de lui-même.
Rendez-vous là-haut et Sur La Lune répondent au désir de plus en plus marqué des deux frères : celui de chanter. Aucun problème avec ça, tant que la mélodie est belle, que l'instrumental et les paroles n'en pâtissent pas. Au contraire : Rendez-vous là-haut bénéficie d'une orchestration crépusculaire avec des cordes bouleversantes (bien que la mélodie soit déjà vue...), et Sur La Lune possède toutes les qualités d'une excellente chanson française, soit une structure des couplets travaillée (qui rappelle qu'on a pas besoin de dire beaucoup pour dire bien) et un refrain un peu plus original que d'ordinaire.
Donc, aucun problème que les frangins chantent, mais le public n'est peut-être pas encore complètement prêt : Ils doivent montrer aussi qu'ils savent encore rapper et s'éclater un peu. D'où la présence de Nous Aussi 2 (fun et dansante) et C'est que du rap avec... Black M et Soprano ? J'avoue que j'étais un peu réticent à l'idée de ce feat mais si les paroles de Black M souffrent d'une légère baisse de régime, Bigflo et Oli kickent et envoient des punchlines avec une efficacité déconcertante (rappelant leurs freestyles clash à l'époque des rap contenders), et le couplet de Soprano est étonnamment décoiffant. Faut pas crier avant d'avoir mal.

On retrouve quelques bonnes idées par ci par là rappelant le style narratif surtout présent dans La Cour des Grands comme Bienvenue chez Nous faisant le tour des contrées de notre hexagone ou le très touchant Château de Sable, histoire où les métaphores maritimes s'enchainent avec virtuosité.

En vérité, c'est cette harmonisation qui marque le véritable intérêt de La Vie de Rêve (qui sera probablement et malheureusement moins écouté que ses prédécesseurs). Il s'impose comme suite nécessaire à La Vraie Vie, complète avec brio ce qui pouvait lui manquer, et les deux apparaissent a présent indissociables. A présent, on perçoit une véritable continuité dans l'évolution de Bigflo et Oli, et ce troisième album apparaît comme l'édifice final d'un premier cycle, formé de la pierre apportée par les deux premiers. On y retrouve la qualité qu'ils ont de raconter des histoires (plutôt présente dans La Cour des Grands) et leur talent en musique pure qui leur fait composer de merveilleuses instrus artisanales (plutôt développé dans La Vraie Vie). On a ici l'album rêvé par les précédents, qui lui ont préparé un tapis rouge idéal.

Ces qualités réunies offrent cet album charnière qui fait office d'épilogue mais aussi d'ouverture à une nouvelle ère. On aurait presque envie de leur dire : Pas besoin de vouloir raconter "nos" histoires à travers les vôtres, continuez simplement de les raconter aussi bien.
Là, personne ne vous dira : "Nous aussi, on peut le faire".

Elliptic
8
Écrit par

Créée

le 23 nov. 2018

Critique lue 1.5K fois

4 j'aime

3 commentaires

Elliot Minialai

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

4
3

D'autres avis sur La Vie de rêve

La Vie de rêve
NicolasBriffaut
4

Du disque d'or au disque dur

Très franchement j'étais un grand fan de B&O, le premium album était parfait avec du rap conscient, old school et plus "détente" il y en avait pour tout les gouts et en plus il était bien écris...

le 30 nov. 2018

6 j'aime

1

La Vie de rêve
ElectricBooz
1

Rap conformisse, infantile, pucelé, d'une banalité innommable.

Le rap d'aujourd'hui (d'autant plus le rap de blancs, et tout particulièrement Bigflop & Holy ), c'est pas nouveau, c'est une machine à fric, une moissonneuse-batteuse qui récolte des fans, des...

le 22 déc. 2018

5 j'aime

7

La Vie de rêve
Elliptic
8

La cour des grands de La Vraie Vie

Tacler Bigflo et Oli, c'est devenu un peu mainstream, donc je vais me permettre dans cette petite critique de défendre du mieux que je peux leur Vie de rêve qui a le principal défaut de faire...

le 23 nov. 2018

4 j'aime

3

Du même critique

Simulation Theory
Elliptic
7

La nouvelle grande cour de récré de Muse

Ce n'est pas une note négligeable de la part des utilisateurs de Sens Critique, et quelque peu injuste si l'on regarde les choses en face. Je vais donc tenter de défendre au maximum cet album, pas du...

le 9 nov. 2018

6 j'aime

4

Trench
Elliptic
7

Frustrant mais Inattendu

Il faudra encore être patient avec cet album que l'on a attendu avec grande impatience après la grosse machine Blurryface dont les 14 titres emportaient chacun a leurs façons, et qui comportait...

le 25 oct. 2018

5 j'aime

La Vie de rêve
Elliptic
8

La cour des grands de La Vraie Vie

Tacler Bigflo et Oli, c'est devenu un peu mainstream, donc je vais me permettre dans cette petite critique de défendre du mieux que je peux leur Vie de rêve qui a le principal défaut de faire...

le 23 nov. 2018

4 j'aime

3