"It's gonna be Legen... wait for it... dary Tales !"

« Chevaliers de tous les pays, unissez-vous ! ». Telle aurait pu être la devise internationaliste de Rhapsody, adaptant à sa cause les idées de Marx. Le groupe italien garde cette imagerie fantastico-chevaleresque depuis ces débuts, que ce soit dans ses (immondes) clips, dans leur musique, leurs paroles ou leur imagerie. Un peu d’histoire pour introduire ce premier opus des transalpins. Le groupe, mis sur les rails par les sires Turilli et Staropoli, le premier lâchant de redoutables coups à l’aide de sa guitare tandis que l’autre se charge du combat à distance par son arme redoutable, le clavier ; s’appelait d’abord Thundercross. Il mène sa première bataille en 1994 avec une demo du nom prometteur de Land of Immortals. On y retrouve ce qui caractérise Rhapsody des années durant, des titres réutilisés, avec une production assez moisie et loin de refléter les ambitions de grandeur supposées par la musique des italiens, épique à souhait. Le marteleur Daniele Carbonera (rien à voir avec les pâtes) les rejoint à la batterie tandis que c’est Cristiano Adacher qui a le devoir de hurler dans les oreilles des monstres que nos joyeux lurons se mettent en tête d’affronter. Suite à cette demo, le groupe signe chez Limb, qui accepte de leur fournir l’équipement nécessaire à leur grande quête contre le Mal. Un second essai sort alors, à savoir Eternal Glory, brillamment acclamé par la critique spécialisée et permettant au groupe de sortir de l’anonymat, reprenant les titres de Land of Immortals en lui en ajoutant trois nouveaux.

Le groupe est donc fin prêt pour délivrer sa première offrande aux dieux du metal, mais doit faire face à un premier obstacle, le départ de Cristiano Adacher et du bassiste Andrea Furlan. Bien entendu, il en faudrait plus pour effrayer nos héroïques compagnons, qui trouvent en la personne de Fabio Lione (auparavant chanteur de Labyrinth) le remplaçant de leur ami Cristiano, qui n’a su résister à la pression d’une telle mission. Et puis, on est des guerriers ou non, donc exit le bassiste, on fera sans ! C’est finalement Sascha Paeth, qui produit l’album, qui se chargera des parties de basse pour Legendary Tales en attendant de trouver un homme digne de ce poste et prêt à endosser les lourdes responsabilités qu’il entraîne.

C’est finalement en 1997 que sort ce premier album, inaugurant la quête de l’Epée d’Emeraude, histoire fantastique se situant dans le monde d’Algalord et narrée par le groupe tout au long de leurs albums. En voilà une ambition et une nouveauté. Les albums-concepts, ça existe depuis longtemps et dans pas mal de genres. On pense bien sûr au Ziggy Stardust de Bowie, au Tommy des Who ou à The Final Experiment d’Ayreon, plus contemporain de cette première galette (pizza conviendrait mieux d’ailleurs) italienne. Mais le projet de Rhapsody dépasse en ambition ce qui a été fait jusque là. Des trois cités auparavant, seul celui d’Ayreon peut tenir la comparaison en terme de durée (pas en terme de qualité, cela va de soi). Car l’aventure de l’Epée d’Emeraude s’étale, mine de rien, sur pas moins de 4 albums et un EP, soit 5 ans, si on prend comme départ le premier album (1997 donc) et pour fin Power of the Dragonflame (2002). Dans ce combat tout manichéen du Bien contre le Mal, Rhapsody s’autoproclame héraut (et héros) d’un tout nouveau genre, à savoir le « Hollywood Metal ». Le groupe doit avoir une vision très clichesque du cinéma hollywoodien pour revendiquer cette appellation, y voyant sans doute des fresques épiques pleine d’effets spéciaux, en général des films de qualité assez légère. Hollywood a aussi su faire des films qui sortent du lot, oubliés par nos italiens, mais passons, de toute façon cette étiquette est superflue et ne caractérise pas la musique mais surtout le concept de narration, d’une sorte de films en plusieurs épisodes, avec des passages narratifs qu’on trouve peu dans ce premier opus, et qui seront assurés à partir de 2004 (pour une nouvelle saga) par Christopher Lee, rien que ça.

Legendary Tales, le bien nommé, nous plonge donc dans cet univers épique d’Algalord, où le Guerrier de Glace (il doit venir du Mont-Blanc, c’est lui qui est représenté sur la pochette) débute sa quête de l’Epée d’Emeraude (présentée dès le deuxième titre, « Warrior of Ice ») et doit faire face à un vilain méchant pas beau du tout, le diabolique Akron. Pour une quête si héroïque et remplie de banalités fantastiques telle que pourrait en écrire un pauvre ado en mal de grandeur dans une « fan-fiction », la musique se devait d’être à la hauteur, représenter ce côté merveilleux, un peu simpliste, bon enfant, tout en ayant un côté « grandiose » et épique. Si je suis un peu ironique depuis le début face à l’imagerie du groupe, à ses thèmes ou à son concept mignon, je me dois de remettre les pendules à l’heure. Ce premier album est très réussi, et je dois une fière chandelle au groupe qui, avec d’autres (Blind Guardian, Nightwish, Sonata Arctica…) m’a procuré de nombreuses heures de plaisir et a été un de mes premiers contacts avec le monde du metal et à travers ça de la musique. Si j’écoute moins leurs albums aujourd’hui, je le fais à chaque fois avec un plaisir non retenu. Et sincèrement, Legendary Tales est l’un de leurs meilleurs, il est très « frais », homogène, débordant de sincérité et de bonnes intentions. Il pose déjà ce qui fait les forces et les faiblesses de Rhapsody (qui deviendra plus tard « of Fire »), à savoir un power metal symphonique de première classe, ultra efficace, épique, mais avec des ballades que j’ai généralement trouvé très mauvaises et un côté kitsch et ringard, ultra-assumé mais qui lui attire aussi de nombreux détracteurs et prête au moins à faire sourire.

Mais comment ne pas succomber et ne pas se croire à son tour sur son cheval blanc à parcourir monts et merveilles pour démolir les forces du Mal en entendant des titres comme « Warrior of Ice » (« Mightyyyyyyyy Warrior ! »), qui déboule après cette intro en latin qui caractérise encore une fois pas mal d’albums du groupe, « Rage of the Winter » ou encore « Land of Immortals », qui promet de beaux jours à notre guerrier lorsque sa fin sera venue (et clairement l’un de tous meilleurs titres des triestins) ? Tous ont des refrains qu’on peut chanter à tue-tête, sont incroyablement accrocheurs, ont des solos qui amènent le quidam à faire de l’air guitar sans se soucier du ridicule (se disant que le sien ne peut de toute façon dépasser celui du groupe), une rythmique qui fait merveilleusement son travail, des chœurs qui en rajoutent au côté kitsch et épique, des claviers chevauchant l’ensemble de l’opus… La production est meilleure que dans les demos susmentionnées, mais conserve le sentiment de sincérité, d’authenticité dont je parlais plus haut. Je parlais plus haut des ballades. Certes, « Echoes of Tragedy » est très dispensable, mais un titre comme « Forest of Unicorns » passe bien, avec des guitares acoustiques qui permettent de ne pas oublier qu’ils restent un peu bohémiens, chez Rhapsody (ok c’était facile et ridiculement amené, mais il fallait que je la fasse), avec une voix féminine durant le refrain et une ambiance très « feu de camp » et assez reposante. Le côté grandiloquent désiré par l’histoire construite par Luca Turilli est parfaitement présent, notamment dans une piste comme l’éponyme, plus longue, assez calme mais arrivant à conserver ce côté épique en liant acoustique (le coté « feu de camp » déjà évoqué, notamment grâce au clavier), riffs dévastateurs, solo toujours aussi réussi et refrain plein de chœurs et enjoignant ses auditeurs à la bravoure. Les passages narratifs sont encore absents, et la voix de Fabio Lione colle parfaitement à la musique, sachant se faire douce mais aussi bien plus hargneuse (le refrain de « Flames of Revenge », titre qui nécessite sans doute cette colère de la part du guerrier de glace), et sans aller dire qu’il s’agit du meilleur chanteur de la planète, il s’en sort avec les honneurs (mieux en tout cas que le traître Cristiano).

Le meilleur reste à venir, Rhapsody saura réutiliser ces éléments en les poussant à leur paroxysme pour Symphony of Enchanted Lands, ce qui aura pour effet de repousser encore plus ses détracteurs, mais aussi de montrer qu’ils assument entièrement le parti pris de leur musique (qui cherche à lier, en gros, classique – formation qu’ont suivi les deux fondateurs du groupe et très présent dans les claviers (sur « Lord of the Thunder », par exemple – et power metal) et ne sont pas prêts à faire des concessions pour sonner plus « sérieux » (même si eux se prennent certainement très au sérieux). La quête de l’Epée d’Emeraude a commencé, les grands auteurs de fantasy se retournent peut-être dans leur tombe, mais au fond, elle a permis de révéler un groupe à la musique redoutablement efficace. En 1997, Rhapsody a réussi, tâche ardue, à renouveler l’esprit du power metal et à en montrer une facette jusqu’au-boutiste qu’il n’avait pas encore présenté.
Flavinours
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le 11 août 2012

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Flavien M

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