LEMONADE
6.6
LEMONADE

Album de Beyoncé (2016)

Rester objectif : pas évident lorsqu’on est fan de Beyoncé. Il va pourtant bien falloir puisque la belle vient de lâcher son dernier album, Lemonade. Un opus de seulement 12 titres à se mettre sous la dent. Plutôt maigre comme LP !


Si la chanteuse s’est comme toujours chargée d’assurer une promotion calculée au millimètre près en n’en dévoilant le moins possible, on sait depuis quelques années que cette recette est toujours la bonne ! On ne pourra pas lui reprocher d’avoir envie d’innover son travail, toujours à la recherche de la distinction et de l’originalité. Beyoncé n’a jamais fait les choses à moitié, et ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer. Le weekend dernier, elle décidait de nous annoncer la sortie de son sixième album studio, Lemonade. Accompagné d’un film composé de la succession des clips de chaque titre, on découvre quelques visages connus comme Serena Williams et Zendaya. Des artistes qu’on avait déjà mentionnés.


Une chose est sûre. Bien qu’elle réussisse toujours à nous en mettre plein la vue grâce aux personnalités présentes autour de ses différents projets, Beyoncé s’est plutôt loupée sur ce coup là. En croisade avec l’intention de nous épater en basant son album sur les thèmes du problème conjugal additionné à la place de la femme afro-américaine dans la société, le résultat n’est pas à la hauteur des objectifs. On vous explique pourquoi.


La phase marketing


Vouloir faire un film album et teaser dessus comme si c’était l’événement du siècle, ok, on veut bien à condition que ça soit une première. Il s’avère que ça ne l’est pas, puisque Beyoncé avait déjà réalisé le même tour de procédé marketing avec son cinquième album studio sorti en 2013, à la différence qu’elle a ici pensé à annoncer la sortie de Lemonade une semaine avant.


Passons et grattons plus en profondeur sur cet album-film qui apparaît comme une thérapie. A l’heure actuelle, la superstar n’a plus rien à prouver vocalement parlant. Elle se trouve dans une phase où faire des vocalises est moins vendeur que se la jouer indé. Par conséquent, nous exposer ses problèmes personnels semble être sa solution. Si mentionner les aspects de sa vie privée n’est pas une première pour Beyoncé, elle qui a toujours préféré nous montrer les bons côtés de son quotidien fait une entorse à ses habitudes et va chercher plus loin dans ses sentiments enfouis.


Avec les rumeurs persistantes concernant les tromperies de son mari, renforcées par l’épisode de l’ascenseur dans lequel il se prenait des kicks par sa belle-soeur Solange, Beyoncé a du changer de stratégie en s’adaptant à la demande. Et oui, le public est à l’affût de la vérité ou plutôt du scandale. La femme de 34 ans a donc décidé d’exposer ses faiblesses, mais surtout, celles de Jay Z.


Le rendu visuel


Visuellement, elle propose un retour à la simplicité en puisant dans les éléments que la nature nous offre et dans ses origines, elle n’hésite pas à mettre de côté les gigantesques chorégraphies et les décors bling bling pour laisser place à des séquences sauvages et étranges à la fois. Façonnant le tout pour un rendu impeccable à l’œil mais qui pourtant reste ennuyant.


Elle s’efforce d’expliciter chaque étape de la trahison les rappelant mot par mot. Tout démarre avec l’intuition, puis s’en suit le déni, la colère, l’indifférence, le vide, la responsabilité, la réforme, le pardon, la résurrection, l’espoir. La rédemption vient en dernier lieu. Ce procédé, Beyoncé ne nous l’apprend pas car elle est loin d’être la première à traverser cette épreuve et sûrement pas la dernière. Qu’à cela ne tienne. C’est là qu’entre en jeu sa première passion, puisque chaque état d’esprit est développé par un morceau.


Une lemonade un peu trop aigre


Hormis « Formation » que l’on connaît déjà depuis février dernier et qui nous a plu d’emblée, à la première écoute de ces douze titres, nos oreilles n’accrochent pas. La deuxième écoute, mouais. L’action est introduite avec « Pray You Catch Me », l’orgue est sympa et rapidement, Beyoncé nous invite lentement et lascivement à découvrir la suite de l’histoire. Heureusement pour elle qu’on est curieux et patient, la tentation de passer le morceau se faisant grandissant. Place à la piste 2, « Hold Up » qui nous réveille un peu de notre sommeil grâce à ses influences reggae. La chanteuse n’hésite pas à s’y adresser directement à son mari :



Que fais-tu mon amour, elles ne t’aiment pas comme je t’aime, ne vois-tu pas qu’il n’y a aucun autre homme au-dessus de toi ? C’est une manière cruelle de traiter la femme qui t’aime… Tu sais ce que je te donne la vie, si tu essaies encore de faire ça, tu perdras ta femme
– Beyoncé



L’avertissement est lancé sans performance vocale, Beyoncé déambule en robe jaune poussin dans les rues, armée d’une batte de baseball et déglinguant tout sur son passage avant de se retrouver dans un parking quasiment vide. Accompagné de Jack White, dans le studio d’enregistrement seulement, la maman de Blue Ivy se déchaîne sur une production rock alternatif intitulée « Don’t Hurt Yourself ». Elle ne s’est pas fatiguée sur la recherche instrumentale qui pouvait le mieux coller avec sa colère qu’on avait déjà deviné dans le précédent titre.


On déambule jusqu’à « Sorry » qui est le premier morceau à retenir notre attention en terme de mélodie. Entraînant, tout en restant léger et docile accompagné d’un rythme ludique, le clip est porté par Serena Williams qui a décidé de prouver qu’elle savait placer un twerk en plus de tenir une raquette. La joueuse américaine vient soutenir Queen B, assise sagement sur son trône en essayant de faire comprendre qu’elle est prête à reprendre son indépendance tout en adressant des doigts d’honneur à la caméra sur ces belles paroles :



Les doigts du milieu levés, agite-les devant son visage, dis-lui mec au revoir… Je regarde ma montre, il devrait être à la maison, aujourd’hui je regrette la nuit ou j’ai enfilé cette bague… J’ai laissé une note dans le couloir, lorsque tu la liras je serai loin
– Beyoncé



Réveil poussif


Voilà. Un énième avertissement, donc on espère que le message est passé. Bref, quoiqu’il en soit la superstar semble vouloir s’évader le temps du titre « 6 Insh » qu’elle partage avec The Weeknd. Passé les deux premières minutes barbantes on accroche totalement avec le pont qui s’étend presque sur le reste de la chanson tout en l’embellissant. Profondément sombre au début, Beyoncé détaille la vie d’une strip-teaseuse bourrée d’ambition, tout en fusionnant avec l’empreinte et le style de The Weeknd. Cette production rappelle aussi le titre « Haunted » et la partie chant fait penser à « Superpower » (feat. Frank Ocean) tous deux extraits du précédent album de la chanteuse.


Et puis tout à coup on entre dans cette deuxième minute et vingt-sixième seconde, et on ne comprend pas ce qu’il se passe, on croirait que l’espoir est venu frapper sur ce bridge qui laisse entrer la lumière pour terminer sur les choeurs et la voix de tête de Beyoncé. Du coup, on reste sur l’aspect positif en classant ce featuring dans les bons points. Dans un registre plus cadencé on arrive sur « Daddy Lessons » qui permet à l’artiste de montrer qu’elle a fait la paix avec son père Matthew Knowles, qui était son manager jusqu’en 2011. Mélangeant l’esprit country qui lui vient du Texas au jazz de la Nouvelle-Orléans, la femme dévoile de nouvelles vidéos archives de son papa et elle à un jeune âge et on découvre également des moments passés entre Blue Ivy et son grand père.


On vient se poser tranquillement sur notre réel et unique coup de cœur de ce Lemonade, « Love Drought » Si pour la vidéo elle choisit de prendre le large avec ses copines tout en paradant sur des meubles dans des positions curieuses, l’image reste belle avec ses couleurs tièdes et douces qui apaisent tout comme son titre. Cette réforme est sans aucun doute le seul sentiment ou toute sa sincérité ressort à sa juste valeur. On a juste envie de s’allonger tranquillement sur ce partiel de coton.


Aller de l’avant


Toujours dans un registre calme on se cale sur « Sandcastles » qui, vous l’aurez compris, est la chanson du pardon. Tout y est pour nous faire comprendre qu’il s’agit de cet état, et on a même le droit à la présence de Jay Z dans le rôle de l’époux qui a fauté et qui tente de se faire gracier. On serait presque tenté de lui décerner l’oscar du meilleur acteur pour son implication. En revanche, nous qui voulions plus de présence vocale de la part de Queen B, et bien on est servi. Un peu trop même. On sent la douleur toujours présente au point de lui briser la gorge sur un extrait lent à en devenir pénible. Mais Beyoncé peut compter sur son collègue, James Blake pour l’encourager à aller de l’avant sur le titre « Forward » faisant office d’interlude.


Et puis vient enfin la piste que tout le monde attend, le fameux featuring avec Kendrick Lamar. « Freedom« . Facile, trop facile de nommer ce titre ainsi bien que la production soit lourde et efficace. Beyoncé sait qu’elle travail avec un génie qui a réussit à faire entendre sa voix, alors quoi de mieux que de s’associer à lui pour créer un tube qui deviendra certainement le nouvel hymne du mouvement militant Black Lives Matter. Malheureusement tout ça manque totalement d’originalité, et histoire de rajouter une couche à cet extrait, le clip qui a pour but d’être un hommage direct à la femme afro-américaine pousse à son paroxysme en mettant en avant les mamans de Trayvon Martin, Eric Garner et Michael Brown. Cette séquence émotion exagérée est fermée par le discours prononcé lors des 90 printemps de la grand mère de Jay Z, Hattie White, qui est à l’origine du nom de ce sixième album studio.



J’ai eu mes hauts et mes bas, mais j’ai toujours trouvé la force en moi pour me tirer vers le haut. On m’a donné des citrons, j’en ai fait de la limonade.
– Beyoncé



On touche à la fin avec l’avant dernier morceau de cet opus, « All Night » qui se veut libérateur. Écrit en partie par Big Boi et André 3000, on retrouve également Diplo posté sur sa boîte à rythme. Même si l’effort est notable sur la partie instrumentale, en revanche en ce qui concerne le chant, rien d’extraordinaire n’en ressort. Dommage, Beyoncé aurait pu pousser un peu plus loin dans son interprétation en prenant plus de liberté. Pour terminer, c’est « Formation » que l’on connait déjà, qui vient refermer ce nouveau chapitre qui regroupe les trois dernières années de vie de la star.


Beyoncé ne surprend plus


Si dans son précédent album, Beyoncé nous vendait l’image de la femme qui réussi à entretenir son couple en dévoilant son sex appeal dans quasiment tous ses clips, apparemment ça n’aura pas suffit à faire en sorte que son Jay Z ne détourne pas les yeux. Pour cet album, elle a dû se résigner à raconter la suite des événements, beaucoup moins joyeux. Et pourtant malgré cette envie de se mettre à nue face à son public on a du mal à croire à cette authenticité tellement elle en joue trop. Le comble, c’est quand même Jay Z qui accepte de se mettre en scène dans cette séquence du pardon, on est dans l’abus et ça devient ridicule au point de se demander si tout ça n’a pas été inventé. Surtout que l’on n’est pas dupe, il y a bien trop de choses en jeu pour que le couple en arrive au divorce d’ici les dix voire quinze prochaines années.


Après avoir dévoilé le single « Formation » en février, on avait bien compris que l’ancienne Destiny’s Child souhaitait s’orienter vers une musique plus engagée, mais le hic vient du fait qu’elle n’aille pas jusqu’au bout en associant ses problèmes de couple. Et plus encore, elle a attendu très longtemps avant d’assumer son point de vue, c’était en 2013 qu’on aurait aimé la voir plus investi. Aujourd’hui, elle part avec l’intention de remettre au goût du jour un combat pour lequel des gens se battent depuis toujours, donc finalement elle ne fait que surfer sur une vague qui revient perpétuellement. Arrivera t-elle à faire changer la mentalité des hommes ? Les noirs n’ont pas attendu qu’elle se réveille pour faire valoir leur égalité, forcément on a l’impression que ce combat ne durera que le temps d’un album pour Beyoncé.


On a envie de croire en ce cri poussé par la chanteuse, mais elle surjoue tant qu'elle gâche l'authenticité de sa base de départ. Si en 2008 elle se disait heureuse d'être reconnue pour son travail de performeuse et se gardait d'exposer son opinion profonde, Beyoncé reste une femme d'affaire et n'hésite pas à revenir sur ses paroles en se servant d'un mouvement sérieux pour vendre. Est-elle sincère dans sa démarche ? Une partie d'elle doit sûrement l'être. On espère que l'autre partie le deviendra même si on réalise que beaucoup de ses idées ont été pompées sur sa sœur, Solange, notamment sur la mise en scène du mariage de cette dernière. On lui accorde tout de même un bon point pour son envie d'imposer son éclectisme et son perfectionnement artistique sur ce nouveau projet qui malheureusement ne propose pas grand chose d'original.

Hype_Soul
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le 3 mai 2016

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Hype_Soul

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