Magnification
6.9
Magnification

Album de Yes (2001)

« Le concept même de rock orchestral peut susciter quelques réserves, l’expérience de Yes en la matière étant du reste assez mitigée, tout comme l’idée que l’orchestre se substitue aux claviers (à l’exception de quelques accompagnements de piano basiques interprétés par Alan White). La première écoute rassure quand au bon goût de l’ensemble, les parties orchestrales, à la fois élégantes et discrètes, lui conférant un supplément de majesté et mettant agréablement en valeur le contenu mélodique (…). »


YES – Aymeric Leroy, Le mot et le reste, p.308.


Si l’on évoque régulièrement l’âge d’or de YES comme de bien d’autres grands groupes de rock des 70’s avec des étoiles dans les yeux, on est généralement peu enclin à évoquer ce qui a suivi. Et c’est dommage car de nombreux groupes ont prouvé qu’ils pouvaient encore nous livrer des étincelles de bonheur musical bien plus tard. Magnification (2001) est de ceux-là. L’album souffre à mon sens de deux tares qui peuvent l’entraver vis-à-vis de l’écoute des musicophiles passionnés, le fait d’abord qu’il n’appartient pas à la fameuse période de créativité seventies, ensuite le fait qu’il ait eu la malchance de sortir pile poil …le 11 septembre 2001 (1). Pourtant deux décennies plus tard je l’écoute encore avec autant de plaisir et j’ai voulu, à l’occasion de son anniversaire récent ; lui dédier une petite chronique. N’en doutez pas, il le mérite d’une certaine manière, et si cela peut vous donner envie d’y rejeter une oreille, voire deux, j’en serais ravi.


A l’aube du nouveau millénaire, Yes est revenu dans sa configuration initiale, toutefois sans claviériste. Exit Billy Sherwood, guitariste grand fan de Yes et Chris Squire (2) et Igor Khoroshev, claviériste donc de The ladder (1999), apparemment viré suite à certains écarts de conduite pas au goût des membres initiaux (3). Rick Wakeman n’étant pas disponible suite à plusieurs engagements en cours, l’idée se fait jour de revenir à une formation élargie où un orchestre symphonique aurait toute sa place.


Et au fond, pourquoi pas ?


Plus de 30 ans après Time and a word, l’idée est séduisante et intéressante en ce sens qu’elle participe à ce renouveau du groupe opéré depuis les années 90 et Union qui amorçait une nouvelle période créative, pas forcément toujours pleinement accomplie musicalement mais avec une volonté d’en découdre à nouveau, que ce soit avec la technologie actuelle comme la composition et les textes. D’un autre côté, cela fait également sortir Yes de sa zone de confort et permet de voir les progrès et le chemin parcouru trois décennies après des débuts timides mais passionnants. Et surtout une autre utilisation de l’orchestre que dans Time and a Word (4).


« Le chanteur se désole du rythme effréné imposé par la vie contemporaine (« Spirit Of Survival ») et du drame des réfugiés et de l’indifférence qu’il suscite (« We agree »), suggérant comme échappatoire au sentiment de confusion et d’impuissance que ces constats peuvent inspirer une conscience du monde « élargie » (c’est ainsi qu’il faut entendre le mot « magnification »). »


YES – Aymeric Leroy, Le mot et le reste, p.308.


Côté textes donc, il faut remarquer que Jon Anderson a depuis quelques temps déjà mis un peu de côté l’aspect métaphysique parfois un peu new-âge au profit d’un regard plus acéré sur le monde contemporain. C’était peut-être ambigu par exemple dans les 80’s sur un Owner of a lonely hearts, cela ne l’est plus dans les 90’s et cette critique du monde actuel est assez réjouissante.


Musicalement tout le monde est en forme.


On pourra regretter que la guitare de Steve Howe soit parfois un peu noyée ou dépassée face à l’orchestre symphonique quand il est en mode électrique mais sur les passages acoustiques où il est souvent des plus sollicité, la mise en avant est souvent superbe (« Magnification », « We agree », « soft as a dove » ou bien sûr le superbe « Dreamtime »). L’alternance pièces courtes et compos longues tient d’ailleurs assez bien le rythme, surtout que les quatre titres allant respectivement de 7 à 10 minutes (5) sont d’ailleurs assez bons, un « In the presence of » de par sa sobriété et son élégance pouvant se permettre aisément de renouer avec les plus beaux titres de l’âge d’or de Yes, c’est dire.


Ce qui surprend le plus agréablement c’est d’avoir plusieurs touches de piano jouées avec une simplicité désarmante par le batteur, Alan White (oui oui) qui offrent un regain de fraîcheur à plusieurs instants du disque. On sort des moments les plus dynamiques et enragés offert par l’instrument sous les doigts habiles de Rick Wakeman dans le passé ce qui ici n’est pas plus mal, puisque ça fait un petit contrepoint bienvenu avec l’orchestre dévolu dès lors à apporter les passages où la tempête fait rage. Surtout que des « Time is time » et « Can you imagine » sonnent comme autant de petits retours habiles au format balade-pop parfois exploré avec bonheur dans les rares incursions que Yes fit hors du rock progressif. (6)


A l’image de sa pochette pleine d’étoiles dans un espace recrée comme une carte de navigation, l’espace d’un album, Yes renouait de fort belle manière avec son passé glorieux avec, pour l’ultime participation de Jon Anderson au groupe qu’il avait co-fondé, à nouveau des compositions à rêver d’une beauté poétique qui s’enracine dans un autre temps.


Probablement le dernier grand album de Yes (7).


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(1) Du moins pour le reste du monde sauf l’Amérique où suite à l’attaque terroriste du 11 septembre 2001, l’album fut repoussé au 6 décembre.


(2) Les deux joueront ensemble dans un album en commun, « Conspiracy » en 2000 sans oublier le « Conspiracy live » en 2013. Et puis Sherwood croisera la route d’un autre musicien de YES, enfin, ex-musicien mais j’aurais envie de dire « c’est tout comme », Tony Kaye, une collaboration sous forme d’album live suivra en 2014.


(3) Dommage que Leroy dans son passionnant ouvrage sur le groupe ne s’attarde pas plus sur ces petits points de détails qui, pour moi sont réellement passionnant dans la sociologie et l’histoire interne d’un groupe.


(4) Les conditions et le budget sont aussi un peu plus pratiques. Yes dispose désormais d’une renommée acquise après toutes ces années qui peut lui permettre d’avoir ce sympathique petit caprice. Pour les curieux, ma chro de Time and a Word : https://www.senscritique.com/album/Time_and_a_Word/critique/217459023


(5) On pourra chipoter sur le fait que l’orchestre puisse parfois broder un peu une à deux minutes parfois dans le vide pour remplir un peu la durée d’une compo cela dit.


(6) Et comme l’évoque très justement Aymeric Leroy dans son ouvrage sur YES, « Can you imagine » permet le temps d’un titre d’avoir Chris Squire en chanteur lead dans un petit morceau qui n’est pas sans rappeler son unique album solo, le formidable « Fish out of water », ce qui n’est somme toute pas rien.


(7) A noter que ce ne sera pas l’avis de beaucoup mais j’apprécie vraiment « Fly from home » (2011) qui a quand même ses bons moments.

Nio_Lynes
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le 30 sept. 2021

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