Douce ironie de savoir que ce dimanche 4 février constitue le pinacle de la carrière de Justin Timberlake. Ce fameux Half-Time Show qui 14 ans en arrière l’avait littéralement cloué au pilori par la frange puritaine américaine. Double ironie si l’on considère aussi l’arrière-plan de ce show : soit la mère-patrie de Prince, artiste idolâtré par l’ex-NSync mais aussi avec lequel une prétendue dispute a éclaté depuis 2007.


5ème album solo donc pour Justin Timberlake. Et bouleversement dans la mise en lumière de l’opus. Une promotion éclaire avec la sortie de 4 singles sur 4 semaines. Hormis un passage chez Jimmy Fallon, la seule prestation live pour défendre "Man Of The Woods" aura donc été…le Superbowl. On est donc loin de l’occupation des medias (pas de SNL, pas de tour des Late Night), la sortie par dose homéopathique des single. L’annonce de la tournée va dans ce sens : pré-réservations disponibles, calendrier de tournée d’ores et déjà établi sur presque un an.


Fils artistique de Prince & Michael Jackson, Justin Timberlake suit le sillon creusé par ses aînés : allier danse, chant, faire frétiller tympans et orbites. Ultime facette de cette filiation : ce souci permanent de se redéfinir quitte parfois à plus le dire que le faire. En ce sens, Justin Timberlake incarne le prototype de l’artiste pop de la fin du XXème siècle : impossible à définir musicalement, incertitude concernant la définition même de ce courant musicale la pop. Tantôt estampillé artiste blanc chantant de la musique noire, tantôt estampillé imitateur officiel de Michael Jackson, parfois ambassadeur du R’N’B, souvent présenté comme le VRP de Timbaland, Justin Timberlake est donc reconnaissable mais quelque part indéfinissable.


La différence est assez saisissante entre une piste CD et sa retranscription live. Un peu comme si les racines du Tennessee n’était pas assez hype mais se prêtait pas mal à la scène. Oui ces rythmes up-tempo, ce côté post new-jack swing mais qui se mélangent de manière opportune avec ces guitares, ces teintes rock. Le virage entamé lors du précédent opus abondait dans ce sens : derrière ce côté désuet, limite nostalgique, il y avait un côté un peu plus assumé. Oui les costards Tom Ford mais oui surtout à des mélodies plus rock/blues (cf le titre That Girl).


Les multiples teasers du nouvel album semblaient corroborer cette nouvelle direction. Opportunisme à combiner des plans contemplatifs et le côté "tendance" de sa région natale (combo barbe, chemise de bûcheron et bonnet). Et si on y ajoute le nom de l’album (traduction du prénom donné à son fils), on obtient presque un malentendu consistant à penser ce 5ème album comme rock/country/folk. Oui mais au-delà des intentions, n’oublions pas les contributeurs de cette galette : Timbaland, J-Roc, Pharrell (dont c’est la 2ème collaboration depuis un conflit opposant l’ancienne maison de disque de Timberlake avec Pharrell…en 2001), Swiss Beatz soit les mastodontes de sonorités urbaines. La présence de Chris Stapleton atténue quelque peu ce sentiment d’être floué : après un featuring en live en 2015, l’apport de Chris Stapleton devait incarner ce son de Memphis. Hormis un duo, sa contribution se limitera à la composition & les paroles sur 3 titres. Pour le reste, on assiste littéralement à ce changement dans la continuité.


Bête de scène, Justin Timberlake est aussi un monstre de mediatraining. Passe sur les lapalissades sur "l’album de la maturité", "la joie de repartir en tournée". Quelques regrets néanmoins au moment d’entendre le côté "le plus personnel" de cet opus : quelque ersatz donc de rock bien senti, des bridges prévisibles mais efficaces et ces envolées aigues comme signature vocale incontournable du natif de Memphis. Mais c’est presque trop peu tant l’ensemble est "noyé" dans des beats saturés, des loops répétitives et cette facilité à pouvoir identifier le producteur de la piste à sa première écoute. Plus trop personnel pour le coup, non ?


Car ne nous y trompons pas : l’album se tient. Il demeure cependant exagéré de l’estampiller comme "album le plus personnel" : si quelques expérimentations sont décelées, l’emprise de la "team" habituelle est telle qu’il est difficile d’inscrire dans Man Of The Woods autrement que dans la lignée de ses prédécesseurs. Certes la maîtrise est là, le côté imparable aussi. Cependant, comment ne pas comprendre les intentions de Justin Timberlake ? Face à un marché qui oublie plus vite qu’il n’honore, un auditoire difficilement saisissable et pourtant si versatile, Timberlake suit la tendance actuelle : occuper brièvement mais de manière soudaine et puissante l’espace médiatique. Des réseaux sociaux en passant par les collections capsules, le magasin éphémère à New-York, tout en n’oubliant pas de flatter son compteur de vues sur YouTube, Justin Timberlake a effectué un sans-faute. Concis, rapide, chirurgical, Man Of The Woods remplit les standards actuels du lancement d’un CD aujourd’hui (NB : lancement effectué…à Parsley Park, antre de Prince). Dès lors, pour combler quelque peu le manque "d’originalité" de l’opus, quoi de mieux que d’exagérer les superlatifs et autres qualificatifs au moment d’évoquer cet opus. Et qu’importe les critiques. Le terrain a été occupé brièvement mais assez pour que la résonance attire spectateurs et emplissent donc les salles. Non pas qu’il faille condamner les visées mercantilistes de l’artiste. Mais l’affinité entre le public, la critique, l’industrie musicale et l’artiste est telle que l’on regrette presque cette mise en avant de l’opus caractéristique de ces contemporains. Au final, Man Of The Woods est à l’image de cet Halftime-Show : compressé, spectaculaire sur la forme, soudain mais quelque peu éphémère.

RaZom
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le 21 févr. 2018

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