À la fin du nouvel album de Kid Cudi, le très attendu Man On The Moon III: The Chosen, se trouve un morceau intitulé “Lovin’ Me”, sur lequel apparaît en featuring la chanteuse folk-rock Phoebe Bridgers. Une collaboration à laquelle personne ne s’attendait mais qui a beaucoup de sens, s’inscrivant dans une tradition pour le rappeur américain qui consiste à toujours travailler avec un artiste ou groupe indie inattendu, comme Ratatat sur deux chansons du premier volet de la trilogie Man On The Moon, The End Of Day (2009), St Vincent sur le second, The Legend of Mr. Rager (2010), ou encore HAIM sur la première parenthèse que fut Indicud (2013). Loin d’être forcément à la hauteur de ces précédentes collaborations, “Lovin’ Me” reste un morceau classique de la part de Kid Cudi, avec un sentiment simple mais beau et important, porté par une performance solaire du rappeur et une production futuriste, qui mélange des sonorités électroniques et une production hip-hop comme Dot Da Genius les fait si bien.


“Lovin’ Me” annonce une chose très clairement : Scott Mescudi a retrouvé son optimisme et son message d’encouragement à tous les misfits - ou plutôt les “kidz” comme il les surnomme - prônant l’acceptation de ses différences et l’amour de soi, la nécessité de vivre chaque moment à fond, de moquer du qu’en-dira-t-on et de se rappeler qu’ils ne seront jamais véritablement seuls car au moins lui, Kid Cudi, est là, a retrouvé toute sa splendeur et sa résonance. Ses morceaux qui relatent ses difficultés personnelles déguisées en odyssée spatiale d’un héros presque fictif sont plus directes et touchantes que certaines chansons torturées qu'il a pu nous servir ces dernières années (le douteux “passion project” Speedin' Bullet 2 Heaven, 2015). Cela est notamment palpable sur les deux premiers actes de l’album - qui se revendique dès lors comme étant narratif - parfaitement intitulés Return 2 Madness et The Rager, The Menace, avec des morceaux tels que l’excellent “Damaged” ou le cinématique “Dive”.


Bref, le Kid Cudi qui, en 2009, nous avait parlé et touché avec des morceaux tels que “Soundtrack 2 My Life” ou “Sky Might Fall” d’une façon que peu d’autres artistes avaient réussi à faire, puis qui nous avait entraîné dans les aventures plus sombres de Man On The Moon II: The Legend of Mr. Rager, est bel et bien de retour et c’est en réalité tout ce qu’on demandait de ce dernier volet de la saga Man On The Moon.


Et force est d’admettre qu’il est assez incroyable que Scott Mescudi et ses fidèles acolytes comme Dot Da Genius, Plain Pat et Emile Haynie aient réussi à recréer une atmosphère si proche de celle de The End Of Day et The Legend of Mr. Rager et à évoquer autant ces deux premiers volets de la trilogie sans tomber dans l’hommage, la parodie ou même le clin d’œil à outrance. Rien que les premières secondes de “Beautiful Trip”, l’introduction de l’album, suffisent pour nous ramener onze ans en arrière et nous replonger dans cet univers si particulier et si familier - le morceau samplant “In My Dreams (Cudder Anthem)”, la piste d’ouverture du premier album de Kid Cudi. Impossible également de bouder son plaisir à l’écoute de la troisième partie de “Solo Dolo”, les aventures hallucinées d’un stoner solitaire pourtant étonnement lucide vis-à-vis de ses problèmes, à la production brumeuse qui ressuscite bien l’émotion provoquée par les deux parties précédentes - respectivement présentes sur Man On The Moon: The End Of Day et Indicud.


Si la production sur Man On The Moon III: The Chosen évoque particulièrement le premier album de Kid Cudi, l’artiste américain américain revisite également l’influence plus rock de son second sur le nostalgique “Elsie’s Baby Boy (flashback)”, un morceau enjoué porté par un riff de guitare qui se répète et évoque une légère inspiration des années 70, ce qui vient apporter de la variété aux pistes qui composent ce septième opus.


Man On The Moon III: The Chosen correspond donc bien aux attentes des auditeurs qui ont suivi et grandi avec Kid Cudi et ses deux premiers opus, se positionnant comme une suite digne de ce nom qui colle parfaitement avec l’univers des deux premiers épisodes. La nostalgie est par conséquent très forte à l’écoute de ce nouvel album du rappeur américain mais celui-ci ne se contente pas seulement d’évoquer le passé et de se répéter et cherche aussi à proposer avec ce troisième volet une identité musicale propre à celui-ci et, surtout, qui lui permet de s’essayer aux tendances actuelles d’un paysage hip-hop américain qu’il a, en partie, aidé à façonner au début des années 2010, donnant naissance à toute une génération d’artistes qui prônent son influence et l’importance qu’a eu la musique de Scott Mescudi sur eux… Travis Scott en tête de file.


Et ce dernier semble bien présent sur Man On The Moon III: The Chosen. Enfin, pas littéralement, mais son influence est indéniable sur des morceaux tels que “Another Day” ou “Heaven On Earth”, notamment au niveau des ad-libs autotunées. C’est d’ailleurs peut-être ce que je reprocherais à Kid Cudi sur son septième album : si le rappeur réussit par moment à bien inclure des sonorités et des idées plus actuelles à sa musique, ce qui permet à celle-ci d’évoluer et également d’offrir à l’artiste la possibilité de s’auto-féliciter vis-à-vis de l’influence qu’ont eu ses premiers albums sur le hip-hop US formant ainsi une boucle métaphorique fort satisfaisante, sur certaines pistes de l’album - les deux j’ai citées précédemment en particulier - Kid Cudi semble se fondre un peu trop dans des productions qui se veulent au goût du jour, laissant transparaître le fait que même si le rappeur a aidé à inspirer de jeunes talents qui sont aujourd’hui au sommet des charts, de Lil Uzi Vert à Juice WRLD en passant par Trippie Redd qui est présent sur ce qui est probablement la piste la plus anecdotique de l’album, “Rockstar Knights”, eux aussi l’influencent. Cela n’est en aucun cas une mauvaise chose mais face à des morceaux où Kid Cudi mélange parfaitement ce qui fait signature musicale avec des éléments plus actuels et rafraîchissants (“She Knows It”, “Tequila Shots”), on se questionne un peu sur la nécessité d’inclure ces excursions peu concluantes et qui portent nettement moins l’empreinte de l’ex-protégé de Kanye West sur Man On The Moon III: The Chosen. Cependant, je dois aussi applaudir le fait que Kid Cudi soit arrivé, en 2020, à confectionner un album de dix-huit pistes qui s’écoute aussi facilement, ayant la même durée que ses prédécesseurs, même si The Chosen comprend peut-être moins de morceaux mémorables que The End Of Day et The Legend of Mr. Rager.


Mais les chansons de ce troisième volet de Man On The Moon qui marquent l’auditeur le font particulièrement fort, surtout pour les fans de l’artiste de Cleveland. Si j’ai mis en avant mes réserves face à “Another Day” qui ressemble un peu trop à une production de Travis Scott, le trio de pistes qui ouvre l’album dont celle-ci fait partie est une entrée en matière très énergique et vivifiante qui annonce le retour de Kid Cudi plus en forme que sur ses quatre albums précédents. “Dive” porte bien son nom, nous plongeant dans un univers sci-fi cinématique que seuls Scott Mescudi et Dot Da Genius savent évoquer musicalement - agrémenté d’un petit clin d’œil fort appréciable à des anciens collaborateurs (“I’m just up in my habitat, playin' little Ratatat, kickin' with my tribe”). “Elsie’s Baby Boy (flashback)”, que j’ai déjà évoqué, constitue un instant plein de nostalgie réjouissant. “The Void” est une véritable expérience musicale et peut-être bien le point culminant de ce Man On The Moon III. Kid Cudi y est optimiste et décidé à toujours se relever malgré les défaites et à garder la tête haute, avant de remercier les “kidz” qui l’ont suivi et soutenu pendant toutes ces années ("You've been in my dreams, you've been in my dreams/Oh, I'm just trying to be the best man I can be/Thank you for listening/Thank you for never leaving me") et leur offrir un message d’espoir simple mais parfaitement nuancé (“It's gon' be okay/I promise you”) qui va se retrouver sur toute la fin de l’album.


Les deux actes finaux, intitulés Heart of Rose Gold et Powers, comprennent des moments légèrement moins mémorables mais qui frappent juste pour n’importe quel auditeur qui a suivi le parcours peu évident de Scott Mescudi depuis la mixtape A Kid Named Cudi (2008), entre moments de gloire et pertes de vitesse sur fond de dépression et d’addiction. Sur “4 Da Kidz”, un morceau de remerciement plaisant et touchant, l’artiste évoque de manière très directe les hauts et les bas de ces douze dernières années partagés avec son public et la mission qu’il s’était donné au début de sa carrière et qu’il continue de mener : celle d’offrir un échappatoire et du réconfort à des jeunes qui se sentent esseulés (“For every lil' homie that's lonely/This is all for you, give a fuck about the phony”). La collaboration de Kid Cudi avec Phoebe Bridgers sur “Lovin’ Me” donne naissance à un morceau très lumineux qui en est presque étrange pour ces deux artistes. La chanteuse américaine y revisite son propre “Chinese Satellite” (“I've been goin', goin' in circles/Reoccurring dreams, talkin' in my sleep”), présent sur - l’absolument exceptionnel - Punisher sorti plus tôt cette année. Ici, le message n’est pas très original (“I told myself I cannot grow/Without lovin' me, lovin' me”) mais a un écho particulier lorsqu’il est délivré par Kid Cudi. L’entendre proclamer avec tant de fierté et après toutes ces années de doute “As I stare at Scott, I know he's all I got”, une phrase qui ressemble à une citation Tumblr mais qui a l’air si nécessaire dans la bouche du rappeur, est une façon parfaite de clore la saga musicale et personnelle qu’il avait lancée en 2009. Et enfin, l’ultime morceau de cet album et de la trilogie Man On The Moon, “Lord I Know”, voit le héros de l’histoire et l’artiste célébrer sa victoire avec un flow soutenu, très rythmé et accrocheur, revendiquant haut et fort un statut qu’il a bien mérité : “I'm a warrior, baby, I'm a warrior”.


Réussir à recréer l’univers que Kid Cudi et ses collaborateurs avaient confectionné avec Man On The Moon: The End Of Day et Man On The Moon II: The Legend of Mr. Rager aurait largement suffit pour faire de ce Man On The Moon III: The Chosen un album satisfaisant. Mais cette mission parfaitement accomplie est agrémentée d’un véritable retour en grande forme du rappeur américain, celui que nous attendions depuis plusieurs albums, avec une énergie et une ambition que nous n’avions pas ressenties chez lui depuis un paquet d’années. Cela fait de ce septième opus de Scott Mescudi un moment particulièrement fort pour ceux qui ont suivi son évolution et ont avancé avec lui, ainsi qu’une belle addition à une discographie variée qui ne ressemble à aucune autre dans le hip-hop américain. En s’adaptant également à un paysage musical plus actuel grâce à des collaborations avec des producteurs en vogue bien sélectionnés tels que FINNEAS, WondaGurl ou Take a Daytrip, Kid Cudi montre qu’il a encore beaucoup à offrir et qu’il n’a pas peur de s’adapter à de nouveaux courants musicaux, comme le prouve “Show Out” qui, sans forcément correspondre à l’univers des Man On The Moon, est un tube en puissance qui porte l’empreinte de l’artiste originaire de Cleveland, mais aussi d’affirmer son influence sur le hip-hop et toute une nouvelle école de rappeurs.


Man On The Moon III: The Chosen n’est cependant jamais pompeux mais au contraire révèle une véritable humilité, notamment sur les morceaux les plus optimistes de l’album, ce qui apporte de la fraîcheur et permet de clore la saga musicale sur une note d’espoir rassurante. Le septième opus de Kid Cudi prend de véritables airs de victoire pour le rappeur et pour son public. Un final digne de ce nom - qui touchera probablement davantage ceux qui ont suivi les aventures de cet homme sur la lune - et le début d’un nouveau chapitre, aussi bien artistique que personnel, pour Scott Mescudi.


Thank you for listening.
To be continued.


Score : 7.5


Key tracks : "The Void", "She Knows This", "Solo Dolo, Pt. III"

killyourdarlings
7

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Créée

le 25 déc. 2020

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Keith Morrison

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