Quand 1001° Centigrades paraît en 1971, l'esprit de Christian Vander vadrouille déjà ailleurs. Nommé "Theusz Hamtaahk", l'objet de ses préoccupations est à l'image de la démesure Magmaïenne entammée deux ans auparavant. Sous l'impulsion de son nouveau manager, Giorgio Gomelsky (responsable du 666 d'Aphrodite's Child), Vander, en pleine appétence créative et désormais leader incontesté au sein du vaisseau Kobaien, se lance dans la conception d'une périilleuse trilogie. Sur trois mouvements, seul le dernier connaîtra une réelle validation discographique, malgré la publication plus tard des deux autres sous différents supports (un live et une bande originale de film). Baptisée Mekanïk Destruktïw Kommandöh (MDK), cette ultime suite de la trilogie est le résultat de profondes perturbations, à l'instar du changement de maison de disque en faveur d'A&M, mais aussi et surtout de l'arrivée au sein du groupe du bassiste Jannick Top, devenu depuis membre historique et "bassiste-hero" grâce à sa conception très classique du jeu de basse (au point tel qu'il accorde sa quatre cordes à la manière d'un violoncelle)

"Jugement de l'humanité pour toute sa vulgarité, sa cruauté, son inutilité, et son manque d'humilité comme seul Nebëhr Gudahtt, prophète, "agit" par l'univers, a pu le concevoir dans son infinie sagesse"

Le concept scénaristique de MDK reprend la thématique kobaienne de l'inévitable déchéance humaine et de la fin du monde qu'elle entraînera. Le prophète kobaien Nebëhr Gudahtt aura beau donner un avertissement aux terriens, ces derniers n'en tiennent pas compte, exceptés quelques clairvoyants. Les rares "sages" ainsi repérés par la population kobaienne échapperont à l'apocalypse, Kobaia se portant garant de leur survie. Les autres, victimes de leur paupérisme et leur fatuité, finiront exterminés : "Tes actes perfides et grossiers m'ont fortement déplu, les sanctions qui te seront infligées dépasseront les limites de l'entendement humain et inhumain".

Mekanïk Destruktïw Kommandöh, ou l'impeccable parabole de l'apocalypse victorieuse. Avec Magma, une fois devient coutume : l'eschatologie moralisante, présente dans la plupart des textes kobaiens, est une nouvelle fois abordée mais d'une manière bien plus traumatisante que précédemment. Kobaia était marqué d'un charisme psychédélicojazzy neuf et contrôlé mais manquait d'un concept fort et d'homogénéité tandis que 1001° Centigrades, plus proche du jazz fusion, pêchait par une complexité des thèmes qui entraînait leur non-mémorisation et leur logique difficulté d'accès. En 1973, Magma balaie tous ces défauts. Comme si les Kobaiens étaient eux-mêmes intervenus dans le processus créatif, MDK propose une musique extra-terrestre, jamais entendue ni imaginée jusqu'alors. De quoi anéantir le plus prêché des prosaïsmes, jusqu'à le convertir à un imaginaire coloré et alarmant. Apogée des rêves hypnotiques de Vander ("Hortz Fur Dëhn Stekëhn West"), summum de lyrisme synchrotronique ("Mekanïk Kommandöh"), apothéose de douceur alarmiste et frénétique ("Nebëhr Gudatt"), Mekanïk Destruktïw Kommandöh est le zénith du mouvement Zeuhl, hors de l'humain, hors de la vie, hors du temps.

D'un point de vue strictement musicologique, l'album heurte joyeusement l'oreille par ses métriques impaires en témoignage de l'insaisissable doublette rythmique Vander/Top. Si Klausz Basquiz reste l'indisociable voix de Magma, la nouveauté de la prosodie kobaienne aux inflexions germaniques permet quant à elle une expérimentation audacieuse des chants choraux, beaucoup plus présents et féminins qu'auparavant.

Trop facilement qualifiée d'oeuvre progressive, MDK représente en réalité le genre Zeuhl créé par Magma dans son paroxysme. Zeuhl car fou, fouillis mais extrêmement structuré et hierarchisé avec cohérence. Zeuhl car audacieux, nouveau, insolite, singulier, bizarroïde. Surtout, Zeuhl car extraterrestre. Faisons de ce rêve céleste partie intégrante des cieux auxquels il appartient. Faisons de Mekanïk Destruktïw Kommandöh le paradis de notre discographie à tous. Il en a le pouvoir.
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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