Métamec
7.8
Métamec

Album de Léo Ferré (2000)

De tous les albums posthumes sortis après Léo Ferré, "Métamec" est largement le plus apprécié et le plus utile. En effet, son fils Mathieu Ferré explique comment il a bricolé pour faire "exister" un disque que voulait créer son père, à travers un livret pour le moins d'une qualité rarement acquise dans les CD. Malgré une pochette différente (mais magnifique), il a fait tout ce qu'il a pu pour donner la vie à l'embryon, en collectant les pistes audio enregistré par le paternel très très producteur. Alors, ça crée un contraste attendrissant et amusant: lui, Léo Ferré, un des plus grands chanteurs/poètes français du 20ème siècle, le plus prolifique de tous... ici amené à enregistrer chez soi, et même à parler sur une cassette contenant sa propre musique ! On entend même son fils l’appeler ("Death, Death, death"). J'adore ce côté très artisanal. Vraiment. On est littéralement chez lui. Et finalement, Mathieu réussit à rendre vivant un projet pourtant avorté, et à faire encore un peu plus exister l’œuvre de son papa. Une initiative à applaudir, d'autant que c'est encore une œuvre imposante.
Il s'ouvre sur "Le vieux marin", tiré des dialogues de "l'Opéra des rats" (au passage, Ferré était beaucoup plus doué comme poète que comme dialoguiste...). L'image est repris par énormément d'artistes, mais jamais de la manière de Ferré.La musique est magnifique, la voix est très intime. Une chanson remarquable. "La méthode", avec son instrumentalisation on va dire particulière (aucune mélodie, sauf à la fin où il reprend celle de la majestueuse "Lorsque tu me liras"), propose une version raccourcie d'un texte extrêmement fleuve qu'il a publié quelques années plus tôt. Il a bien fait, d'ailleurs, tellement la version longue du poème est intenable. Ce texte prend tout son sens avec sa voix, en fait. Il ne peut pas être lu, il doit être écouté. Donc, finalement, c'est un bon texte, qui est comme un sarcophage: faut le fouiller, démêler les bandelettes, afin de voir les pièces d'or qui s'y nichent. Beaucoup plus simple, "Michel", petit hommage très touchant. Les paroles vont droit au but. Et on repart sur le lourd, mais cette fois, c'est vraiment du très lourd: "Métamec". Titre écrasant de 18 minutes, la star du disque autant pour sa durée que pour son symbolisme. Je vais être clair, c'est un des textes les plus difficiles que j'ai jamais lu. Pour vous dire, j'ai passé 5 ans à tenter de comprendre de quoi il parlait. Maintenant, je sais: c'est un colossal hommage aux Marginaux. Une Encyclopédie de toutes leurs valeurs, de toute la philosophie que représente ce mot. Il dit tout ce qu'il y a à dire sur le sujet, carrément. Certes, il est très difficile à suivre, je pense même qu'il est obligatoire d'avoir le texte sous les yeux (qui n'est même plus fleuve, mais océan) pour écouter le titre à sa juste valeur, sinon on perd très rapidement le fil et on décroche. Ce qui est regrettable. Il pond un poème au format inédit. Pour le déclamer, il choisit la sublime musique de son adaptation du "Bateau Ivre", qu'il remontera même pour les dernières strophes. Ça me touche beaucoup, c'est ce que je faisais il y a quelques années moi aussi, du haut de mes 16 ans... Le seul réel reproche que je pourrai lui faire, c'est le moment où il essaie de le "chanter". "Métamec" se chante pas, il se dégueule, il se crie, il s'ouvre sur l'univers. Sois heureux, Métamec ! Par contre, avec "Zaza", il perd le contrôle. On assiste à un règlement de compte avec Madeleine (qui a déjà eu droit à sa pique sur "la Méthode"...), sur une musique bateau, beaucoup plus qu'à un hommage à sa deuxième guenon. Il atteint pas l'orteil de "Pépée". "Du coco" tranche avec toutes les autres chansons de l'album: il est ENJOUE, mesdames et messieurs ! Les paroles sont pas franchement passionnantes, mais la musique est très agréable. Le deuxième mastodonte, "Death... Death... Death..." est lui aussi constitué de fragments. La version longue est tout aussi assommante que la version enregistrée. Cependant, j'y prend plaisir, à être assommé par ce morceau. Hommage à la Mort (enfin je crois), sur une musique pour le coup très répétitive (surtout sur 14 minutes !), il laisse une impression de grandeur mal étalée, c'est tout. Une grandeur quand même. "Si tu veux tu es neuve" rappelle les textes de vieilles chansons d'amour compliquées ("Les amants tristes", comme le précise son fils, mais aussi "Tout ce que tu veux"). La musique est très triste, mais c'est un moment très solennel et magnifique. "Opus X". Je vais m'aventurer loin, mais je pense sincèrement que c'est le titre le plus mystérieux de toute la chanson française. C'est une pièce fantôme: à quoi était destinée cette musique ? A rester vierge ? Impossible quand on connait Léo Ferré. On ne saura jamais quel poème devait être posé dessus. Tout comme on ne saura jamais pourquoi il l'a enregistré, pourquoi il s'y tait et ne dit absolument rien. Pourquoi n'y a-t-il pas de sons parasites derrière, contrairement aux autres ? Et même la musique en elle-même... d'une qualité impressionnante, martienne. Aussi brillante que l'étoile qu'il a rejoint un certain 14 Juillet...
Il nous manque, le vieux Lion. Et finalement, cet "Opus X", il nous permet de bien rêver, comme si c'était son sourire gravé sur disque, comme pour nous dire "Allez, mec, c'était une blague, je suis là tu le sais bien"...

Billy98
8
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le 14 avr. 2017

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Billy98

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