Monster Movie
7.8
Monster Movie

Album de Can (1969)

Monster Movie est le premier album de CAN, mythe du krautrock, basé à Cologne initialement nommé Inner Space. Pourquoi Inner Space ? Parce que ces mecs, comme nombre d'allemands période 68/75, sont des allumés qui regardent les étoiles et se prennent pour des cosmonautes. Les fondateurs du groupe, Holger Czuckay et Irmin Schmidt, traumatisés par I'm The Wallrus, Stockhausen et le Velvet (Ils font parti des 100 personnes à avoir acheté l'album banane), forment le groupe, plus tard, ils sont rejoint par Michael Karoli et Jaki Liebzit. Au départ, rien à signaler : quelques improvisations, quelques musiques de films, mais ce n'est pas grand chose. Ce n'est qu'après l'arrivée de l'américain Malcolm Mooney "linguiste interprète spatial" que le groupe débute l'enregistrement de cette merveille.

Les mecs enregistrent des morceaux, entre 68 et 69, et ils se rendent compte qu'ils sont semblables au Velvet sur certains, et carrément à l'opposé sur d'autres. Le choix se portera sur les enregistrement qui formeront Monster Movie en 69, les autres, ils les gardent au chaud et ils ne les ressortiront que dans Delay, en 1982.

Cet album et moi, c'est une grande histoire d'amour, comme, d'ailleurs, je crois que j'étais déjà conquis rien qu'au regard de l'artwork renversant. Et puis j'ai écouté l'album, et d'entrée, la putain de basse de Czukay déboule, après ce riff de guitare qui restera gravé dans mon cerveau pour le restant de mes jours. Gratte psyché, chant halluciné, basse monocorde, batterie monotone, le tout dégageant une pêche jamais entendue, l'entrée en matière la plus parfaite qui soit. Father Cannot Yell est la première claque de l'album, dégageant une énergie surhumaine.

Et puis, arrivent les premiers riffs de Mary, Mary, So Contrary. S'il représente incontestablement le sceau de mon amour pour Monster Movie, c'est aussi surement un des morceaux qui m'a le plus marqué dans ma vie (pour l'instant). Je crois bien que c'est la meilleure balade que j'ai jamais entendu. Un morceau d'une tristesse infinie mais aucunement artificielle. C'est un morceau qui fait pleurer, mais qui fait pleurer pour de vrai : de joie, d'adrénaline, de tristesse, parce que Mooney est sincère, Mooney est humain et Mooney est triste. Et la terre entière en est bouleversée.

Ça démarre doucement, avec un brin d'inquiétude, et le morceau évolue, s'intensifie, pour finir par t'amener au fond du gouffre. Là où est Mooney quand il implore "Mary mary mary mary mary mary mary, mary mary mary mary mary...". Il est au fond du gouffre, et il entraine tout le monde avec lui, si bien que même la guitare se met à pleurer. Oui, elle pleure. J'ai entendu des guitares jouir, des guitares frimer, des guitares défier la pesanteur, mais je jure que c'est la première fois que j'entends une guitare pleurer. J'en ai entendu pleurnicher, ou feindre le désespoir, mais jamais pleurer sincèrement. Ce qui fait en fait toute la différence entre les morceaux chiants et Mary, Mary, So Contrary. Comme s'il y avait Mooney au sol, dans un tourbillon de folie et de désespoir, et qu'il avait pris le contrôle de Karoli pour pleurer à sa place. Parce que pour lui c'est impossible.

Puis, Outside My Door. m'a fait comprendre que cet album possède une richesse infinie. Exit la résignation, ce n'est plus le moment de pleurer mais de partir. Loin. Les guitares au ciel, le chant attaché à la terre qui hurle et s'explose les cordes vocales pour les rejoindre. Et puis, cet harmonica... On se croirait en direct d'une bataille de saloon céleste. Ce morceau est complètement fou. Comme les membres, comme cette scène allemande si géniale. C'est ici que la face A se termine.

You Doo Right occupe à lui tout seul la face B, 20 min issues de 12 heures d'improvisation musicale. Il s'agit encore d'une fille "I'm in love with my girl, she's away, i need your help, i need your love today !" , ce n'est ni une balade, ni un morceau fou, c'est un morceau de camé en bad trip, qui hurle que tout va bien mais qui est bien au courant que personne ne voudra le croire "Baby baby it's OK !" Et puis cette mélodie, ce rythme d'enfer qui t'accroche. Je crois que 20 minutes ne sont jamais passées aussi vite. Un hymne vient d'être créé, là, à partir de l'essence du rock n'roll 50's réinventé à l'allemande. Ça ne finira jamais, ça montera crescendo, ça te retournera la tête jusqu'à en faire de la bouillie. Tout s'enchaîne à la perfection, comme si le groupe n'était plus cinq mais un, indivisible.

Et puis Malcolm Mooney décompensa, car ses Etats Unis lui manquaient vraiment et qu'il avait réellement un problème mental. Il était pas clair, et sa musique l'a rendu fou. A la fin d'un concert, il resta bloqué en répétant "upstairs, downstaies..." inlassablement, puis retourna aux Etats Unis sous les conseils bienveillants de son psychiatre. Il fut remplacé par Damo Suzuki, un clochard japonais. Et Can ne refit plus jamais de Monster Movie, et devint un groupe productif, créa Tago Mago en 72 et entra dans la légende du Kraut.
moumoute
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Rock Choucroute. et Can.

Créée

le 19 déc. 2011

Critique lue 1.6K fois

57 j'aime

5 commentaires

moumoute

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

57
5

Du même critique

Fantastic Mr. Fox
moumoute
9

Ta mère la flûte !

Hier soir, j'ai fais un retour dans le passé. Je n'étais plus le simple étudiant en retard mangeant des pâtes sauce pesto dans son studio mal rangé, j'étais cet enfant de 8 ans qui regarde 3 fois par...

le 23 avr. 2011

137 j'aime

2

Le Tombeau des lucioles
moumoute
9

Risques de SPOIL

Bon sang, mais qu'est ce que je peux en avoir marre des gens à qui on a dit "regarde le tombeau des lucioles tu vas pleurer tellement c'est trop triste" et qui, dès lors, se retirent dans une grotte...

le 10 mai 2011

118 j'aime

17