Depuis son entrée triomphale sur le ring, en 2004, Kanye West n'a jamais manqué de faire savoir qu'il connaissait les règles du jeu sur le bout des gants. Le rap est un genre compétitif où la morgue, la hargne et le sens du défi valent bien des inspirations, et, dans ce registre, Kanye, infatigable bonimenteur, est prêt à toutes les batailles. Après la merveilleuse parenthèse mélancolique de son album 808's and heartbreak, le voici de nouveau dressé sur ses ergots, crâneur et conquérant, sûr de son talent et de sa toute-puissance.
Précédé par une campagne marketing aussi discrète que celle d'un épisode de La Guerre des étoiles, My beautiful dark twisted fantasy est un concentré d'ambition pure où le rappeur de Chicago se pose comme le rival hip-hop de Radiohead ou d'Arcade Fire. Cousues à la diable par le jeune maître lui-même, les orchestrations sont d'une stupéfiante richesse (dans tous les sens du terme), empruntant à tous les genres, des guitares de King Crimson au piano d'Elton John en passant par les boucles sombres d'Aphex Twin et les envolées symphoniques. Côté textes, rimes et cadences, le vibrionnant Kanye (épaulé par Jay-Z, Kid Cudi, Raekwon et l'ébouriffante Nicki Minaj) sort aussi le grand jeu, déroulant le fil de monologues excentriques, grotesques et grinçants qui trouveraient leur place dans un chapitre de Bret Easton Ellis. Du premier au dernier morceau, le pied reste soudé à l'accélérateur et la trajectoire est vertigineuse. On en ressort sonné. Un peu trop, peut-être. Au coeur du tour de force manquent un peu de la fragilité et du trouble qui donnaient à l'album précédent une grâce singulière.