Neon Bible
7.4
Neon Bible

Album de Arcade Fire (2007)

Il est difficile de ne pas être déçu par Neon Bible lors des premières écoutes. Mais après tout, comment passer après le foudroiement intégral de Funeral ? On en voulait forcément plus, on voulait retrouver ce sentiment unique d’urgence, de vitalité, de spontanéité, de rage sans commune mesure qui fait de Funeral un disque tétanisant. Il était donc légitime d’attendre que Neon Bible soit le prolongement de cette énergie inaliénable et sans équivalent et aille encore plus loin dans la puissance épique, mais la première écoute est déroutante : où est passé le son monstrueux, où sont passées la rage, la détresse, le surpassement total, le feu conquérant ? Perdus, semble-t-il.


Le son de Neon Bible est étonnamment plat, les guitares ne tranchent plus dans le vif, pas plus que la batterie, le disque semble baigner dans un flou sonore étrange. Tout juste si l’on remarque quelques parties d’orgues qui s’imposent presque de manière incongrue dans l’univers du groupe. Les chansons ne renouent pas avec les élans élégiaques titanesques des Neighborhood, Wake Up et autres In The Backseat. L’ensemble paraît tiède et ne possède pas le potentiel remue tripes de son aîné.


Mais il faut croire que je n’ai pas retenu la leçon et que je ne la retiens jamais, en réalité. Non, Funeral ne m’a pas cloué sur place. En fait c’est In The Backseat, au bout de la seconde voire troisième écoute qui m’a accroché pour ne plus me lâcher, alors que je n’avais pas perçu le magnétisme des autres chansons. Et c’est principalement pour In The Backseat que j’ai fini par m’acheter l’album et là, dès le premier passage dans le lecteur : la révélation de Tunnels qui est en fait une bien plus grande chanson que In The Backseat. Puis tout l’album qui agit comme une drogue, avec l’envie de l’écouter chaque jour comme cela ne m’était plus arrivé depuis longtemps.


Tout cela pour dire que je n’ai pas capté la force de Funeral de manière immédiate (comme une chiée d’autres albums, pour ne pas dire tous), alors que, stupidement, j’attendais que Neon Bible me tue sans préambules. Il faut croire que le choc Funeral a été tellement intense que je pensais avoir capté le truc et être capable de m’acclimater directement à Neon Bible, comme une sorte de rab à accueillir béatement, les esgourdes grandes ouvertes en laissant agir la magie.


Alors que Neon Bible n’est pas un disque qui se laisse dompter ainsi, et il ne tombe certainement pas dans la pâle copie ou plutôt le simple add-on de Funeral. J’attendais sans doute cela, et c’est stupide j’en conviens, car Arcade Fire a eu suffisamment d’intelligence pour éviter le piège et aller au-delà, en proposant une musique si proche et à la fois si éloignée de celle de Funeral. Le groupe est identique, c’est certain, mais Neon Bible est un album qui n’a besoin de rien ni de personne pour s’épanouir et vivre de sa propre vie, un album qui, lui aussi, n’a guère d’équivalent, et c’est finalement ce qui est le plus épatant dans l’histoire.


En gros, ce que je suis en train d’essayer de dire, c’est qu’Arcade Fire a réussi à créer un fantastique second album et à confirmer la qualité de Funeral, en conservant son souffle et en proposant quelque chose de (presque) totalement neuf. Cela tient du miracle, vraiment, et je crois que même moi je n’en attendais pas tant, ou en tout cas pas de cette manière. Bon, Neon Bible n’atteint certainement pas les sommets de Funeral, de toute façon rien ne peut égaler l’énergie de Tunnels qui reste quand même une des plus grandes chansons jamais écrites, mais il est sans doute plus homogène, et forme un ensemble cohérent, à l’atmosphère intense, mystique, dans un sens bien plus envoûtante et réussie que celle de son aîné qui accusait quelques temps faibles.


Neon Bible est un album plus accompli que Funeral, oui, j’imagine. Toutes les chansons sont excellentes, il suffit en fait de quelques écoutes pour s’en rendre compte. On cherche un truc qui cloche, mais on ne trouve pas, rien, pas un seul temps mort, une dynamique impeccable relance sans cesse la machine. Et les élans made in Arcade Fire sont bel et bien là. Le fait qu’ils soient moins percutants et moins visibles que dans Funeral donne l’impression, au début, que le groupe ne va pas au bout de ses idées et ne se vide pas comme il le devrait, mais en réalité cette retenue leur va bien et confère une substance aux chansons qui ne se dévoilent pas de manière aussi crue que Tunnels, Wake Up et compagnie, mais qui n’en sont pas moins intenses.


Black Mirror (ces guitares et ce piano), Intervention (surtout, imbattable dans le domaine du power épique), Ocean Of Noise et Windowsill (qui mettent KO les ballades que l’on trouve sur Funeral), The Well And The Lighthouse (qui s’envole littéralement durant sa seconde partie lyrique), No Cars Go, tout cela rentre aisément dans la catégorie des très grandes chansons inimitables à la façon Arcade Fire (sans parler de Black Wave/Bad Vibrations qui est un descendant réjouissant du fabuleux Haïti, durant sa première partie).


On pourrait en dire autant de Antichrist Television Blues qui semble complètement à côté de la plaque avec son rythme rock boogie (quoi, Arcade Fire fait dans le vieux boogie tout moisi ? Nooooon, tout sauf le passé et les vieilles confitures déconfites !), alors que cette relecture se révèle finalement être un truc diablement jouissif qui conserve cette âme, cette étincelle Arcade Fire aussi dépotante qu’émouvante, ce mélange improbable qui me fascine le plus chez ce groupe. Tension et émotions habitent comme jamais avec Arcade Fire, ce qui rend ce groupe définitivement essentiel. Et puis ces orgues, ha ces orgues sont aussi une immense trouvaille, c’est déjà énorme sur Intervention mais elles atteignent des sommets sur le final My Body Is A Cage, le plus beau titre du disque, aux inspirations quasi religieuses, presque aussi tétanisant, et encore plus chiadé question final fracassant de lyrisme qu’In The Backseat, c’est dire.


Neon Bible est un album déroutant. On a l’impression, en bon auditeur imbu de sa personne, que le groupe fait constamment fausse route, insère ou retire des truc de sa musique (son moins nerveux, orgues, rythmiques passe partout), au point d’en perdre l’essence alors que c’est en réalité toute le contraire qui se passe. Arcade Fire se réinvente de manière surprenante tout en conservant sa fouge, son feeling inimitables et sa capacité à écrire des chansons magnifiques. Le groupe sait mieux que personne ce qui est bon pour lui, et c’est vraiment réconfortant d’avoir tort à ce point, car on peut laisser faire le groupe en étant confiant pour l’avenir. Il faudra bien qu’un jour cela s’arrête malheureusement, et il y a de quoi être triste à cette pensée, mais il ne faudra pas en vouloir à Arcade Fire, pas après avoir sorti des albums comme Funeral et Neon Bible.

benton
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le 13 sept. 2016

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