Vous voici face à ce qui risque fort de ressembler moins à une critique constructive qu’à une apologie amoureuse d’une œuvre qui représente pour moi la quintessence de la musique appliquée à un support.
La bande-son d’Octopath Traveler a été composée par Yasunori Nishiki, un illustre inconnu dans le game du jeu-vidéo et c’est peut-être là sa force. Il nous fait la démonstration éclatante, comme l’a pu faire John Powell par exemple dans sa BO de « Dragons » qu’il n’est point besoin d’épater la galerie avec des monstruosités de virtuosité et des montagnes de subtilité afin de produire quelque chose d’efficace. La simplicité est garante d’une certaine pureté du sentiment qui transpire de toute cette OST et on s’en voudrait presque d’aimer cela tant elle tient parfois à seulement quelques petites notes dont l’agencement paraît si banal et évident.
Souvent en effet, la musique se résume à un unique instrument au style simple et romantique, qu’on agrémente parfois d’un contre-instrument, ou de simples effets sonores. Le piano notamment révèle ainsi toutes ses potentialités harmoniques lorsqu’il n’est rythmé que par des carillons ou des tintements électriques qui savent se faire discrets. Cependant chaque track se permet de mettre à l’honneur l’instrument de son choix en fonction de ce qu’il souhaite évoquer et il y a une certaine jouissance à profiter de la pureté d’un unique instrument que tout met en valeur, spécialement à une époque où la mélodie de jeu vidéo semble de plus en plus phagocytée par une orchestration flamboyante qui cache son manque d’inspiration par une réalisation très, peut-être trop riche, et parfois complètement artificielle. Dans Octopath Traveler, la musique n’est jamais une musique d’ambiance, à la façon d’une mélodie d’ascenseur plus ou moins violente comme nous le proposent la plupart des jeux triple A contemporains ; au contraire elle est un élément de narration primordial.
Cette narration auditive, on ne la voit plus guère ces derniers temps, probablement car c’est un parti-pris artistique fort et néanmoins risqué. Même la BO de jeux comme Skyrim (l’une des meilleure BO de JV de tous les temps évidemment) ou the Witcher 3, deux RPG fabuleux, pour ne citer que ceux-ci, n’adoptent pas cette démarche et ne font rien d’autres que mettre en contexte une action déjà riche. Ici en revanche on est sur un jeu en pseudo 2D dont l’animation est extrêmement minimaliste, ce qui laisse en contrepartie le champs libre à une musique absolument rayonnante et présente.
A vrai dire je n’avais plus entendu de musique de jeux-vidéo partir aussi loin dans le mélodique depuis l’absolu chef d’œuvre de Hitoshi Sakimoto : Final Fantasy XII, qui lui jouait des mêmes cordes mais avec un aspect bien plus orchestral, reflétant probablement la grandeur de l’univers dans lequel on évoluait. Octopath traveler apparaît bien plus nombriliste (dans le bon sens du terme, si on peut dire) que son grand frère mais tous les deux plongent leurs racines dans le RPG à l’ancienne en 2D et sur des consoles d’un autre temps.
L’OST de OT raconte donc bel et bien une histoire matérielle si forte qu’on peut la suivre du tympan sans même avoir joué au jeu, ce qui est mon cas. La première chose que l’on note déjà c’est que celle-ci est composée de quatre CD, ce qui est énorme aujourd’hui, mais pas extrêmement inhabituel dans les RPG, surtout japonais. Là où cela commence à surprendre c’est quand on constate la durée moyenne des tracks qui n’est guère située qu’entre 2 et 4 minutes, ce qui est relativement peu et qui traduit par conséquent une potentielle richesse dans leur exécution et leur traitement afin de ne pas être trop répétitifs. Je vous le donne en mille : ils ne le sont pas.
Le seul CD 1 est un CD de thèmes. Absolument, de thèmes tous strictement différents sans rapport les uns avec les autres (et tous sublimes, mais dois-je encore le préciser?). Spécifiquement, on a, seulement dans ce premier CD, le thème principal du jeu, 8 thèmes de personnages (vous l’aurez compris sans que j’ai besoin de l’expliquer j’espère, le jeu tourne autour de huit héros différents) ainsi que 8 thèmes d’environnement leur correspondant. Autant de thèmes, c’est absolument incroyable, d’autant que ce ne sont pas les seuls thèmes que présente la BO. Imaginez seulement que toute la BO d’un Tomb Raider (récent ou non) s’articule autour d’un seul et unique véritable thème musical, comme beaucoup de jeu. Peu de film par ailleurs ont la chance d’avoir autant de thèmes ; on en comptait déjà 7/8 dans les bons Star Wars (et seulement un ou deux dans le 7 et le 8) dont la musique est réputée pour beaucoup de choses dont ses thèmes variés et créatifs.
D’ailleurs, si on s’y penche un peu, le CD est lui aussi presque uniquement composé de thèmes de lieux ou d’émotion. Je ne sais guère à quoi ils font référence, n’ayant pas testé le jeu, mais ils fonctionnent.
Évidemment, cette BO n’est pas parfaite. Son défaut principal à partir du deuxième CD est inhérent à son mode de composition : son orchestration n’est pas d’une originalité folle et il s’empêche de jouer avec les codes musicaux. Certains gimmicks peuvent parfois paraître un petit peu caricaturaux, comme l’emploi répété de cordes en staccato pour symboliser un personnage malicieux et dont la vitesse varie selon le caractère de calme de la situation. Une ville que je devine être le siège du pouvoir sera invariablement accompagnée d’une marche rythmique militaire et des roulement de tambour ainsi que pléthore de cymbales. Un moment léger par une simple pompe un peu grotesque au sous-bas qu’accompagne un instrument syncopé. C’est bien sûr ce genre d’élément symbolique qui constitue toute la puissance évocatrice de cette BO mais elle peut lasser à terme, par manque de maestria (qu’on ne reprochera pas à un compositeur qui est ici en train de faire avec un succès incroyable, ses premières armes) à tel point que si le premier CD nous captivera invariablement, le deuxième proposera facilement un prétexte pour faire autre chose en même temps. Je ne doute pas cependant grâce à différents retours qu’ils s’accordent parfaitement avec l’expérience de jeu. Les thèmes de bataille et de Boss n’en seront que plus épique car une attention toute particulière semble leur avoir été accordée et on y sent ostensiblement la volonté de casser une rythmique et des harmonies simples et classiques sur lesquelles se reposent les phases d’exploration et de rôle play.
Pas vraiment de surprise non plus sur la variété de l’orchestration, peu d’instruments aux consonances exotiques mis à part quelques flûtes japonaises (qui ne sont plus guère exotiques pour personnes) ou quelques variations synthétiques timides, bien qu’intéressantes. On remarquera plutôt l’attention mise à la transmission d’ambiances maîtrisées. Ainsi les harmoniques ésotériques de certains personnages côtoierons sans soucis aucun les mélodies typiquement médiévales qui elles succéderons à une musique que j’aimerai appeler « steampunk » en mêlant un certain baroque à des dissonances musicales un peu grunge (si quelqu’un comprend mon sentiment dans cette phrase qui n’a pas de sens, contactez-moi que je vous épouse)
Bref, cette BO est un concentré d’onirisme et de voyage, écoutez le premier CD dans votre canapé, puis écoutez le reste à tous les moments de votre vie, pour travailler, pour manger ou pour pécho c’est parfait, c’est mon son de cœur de 2018 et je suis fort heureux que Square Enix ait donné sa chance à Nishiki qui fait un travail sublime que, j’espère, il raffinera dans ses prochains travaux, pourvu qu’on lui laisse la liberté suffisante.
Je n’ai qu’un seul regret, c’est que Nintendo s’obstine à faire de ce jeu une exclusivité Switch. S’il-vous-plait, arrêtez de faire des jeux de ouf sur cette console que personne n’achète, ou alors portez les sur PC. Ça me fait du mal, ça fait du mal aux joueurs et ça fait surtout du mal à ce jeu qui n’a absolument pas rencontré le public qu’il mérite…

Aq.

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le 15 oct. 2018

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