On Fire
7.8
On Fire

Album de Galaxie 500 (1989)

On est un peu con quand on est gosse...

On est con parce qu’on sait ce qu’on aime mais on ne sait pas ce qu’on veut. Et surtout on écoute quand on nous dit qu’on ne peut pas. Alors que, franchement, c’est bien le moment où l’on peut tout.


Par exemple, on croit au Père Noël. Accordons-nous sur le fait que c’est la première étape pour qu’il existe bel et bien. Bien, avançons. Généralement, le Père Noël m’offrait ce que je lui demandais si mes souvenirs sont bons. Bon aussi, j’étais pas un sale gosse, j’étais content juste de recevoir. Donc, si je recevais ce que je lui avais demandé, c’était que du plus. Alors, je vous pose la question, pourquoi je demandais de la merde ? Genre des cartes Pokémon ou des dinosaures en plastique. Alors que moi je savais ce que j’aimais.


Moi, ce que j’aimais c’était quand mes parents invitaient des gens à manger le soir. Peu importe qui, ce n’étaient que des silhouettes adultes à mes yeux fatigués, c’était mieux quand je voyais pas qui c’était d’ailleurs. Je m’affalais sur un canapé et je me gavais de gâteaux apéro, surtout ceux qui sont de forme chelou là, aux fromages, et mes parents le lendemain me diraient que j’avais été un peu malpoli sur les bords. Dans ce canapé, j’entendais les conversations adultes auxquelles je ne suivais rien, à la fois attendant de pouvoir avoir les mêmes et conscient de leur profonde futilité. Des fois, je matais la télé, là aussi c’était plus un bruit de fond et quelques couleurs un peu aveuglantes. Des fois, j’allais jouer avec mes dinosaures à côté. Puis on passait à table, toujours le même bruit de fond. Enfin, on revenait dans les canapés, moi j’avais le bide plein et les paupières lourdes, et les conversations reprenaient, et là c’était encore mieux en étant encore plus éprouvé. Parce que d’ailleurs il faisait super chaud à cause de la cheminée. La cheminée, je crois que c’est ça qui faisait tout. Parce que ça faisait les couleurs en plus de la chaleur. Et je finirais endormi sur ce canapé jusqu’à ce que mon père me réveille quand les invités seraient partis.


Je le savais que c’était ça que j’aimais. J’aurais dû demander au Père Noël de décupler le moment. Pouvoir vivre tout ça dans les flammes-mêmes, m’y endormir pour que mon âme s’envole vers un ciel enfumé.


Parce qu’avec On Fire, je me sens comme lors de ces soirées, je voyage comme dans ce canapé quand tout était réuni. J’ai si chaud et le monde a tout à coup des contours bien plus inexacts. Mais les questions n’existent plus, elles n’ont plus lieu d’être. Le monde est infini. L’échéance de la mort est là, y apporte toute sa mélancolie. La guitare n’est jamais plus électrique que lorsque tu ne sais plus si c’est du piano, de la guitare acoustique ou juste le chanteur qui s’était pas arrêté de chevroter. Quand elle te lèche les flancs comme des langues de feu au toucher de gaze. Moi ça me donne envie d’avoir des draps un peu plus vivants. La tristesse de la nécessaire indifférence d’autrui (Step inside this house - You know I'd love you to - How come you can't see - The things you left behind?) ne fait que raviver l’envie de vivre en fin de compte. C’est encore mieux s’il fait froid dehors, Galaxie 500 le sait ça aussi, du coup ils ont écrit Snowflake. En plus, ces connards me bouleversent avec des trucs comme Strange ou Isn’t It A Pity, comme des rêves qui ne gardent que la substantifique moelle épineuse de tout rapport humain. Le manque est présent aussi, mais si beau dans sa lancinance qui ne semble pourtant jamais cesser, comme dans When Will You Come Home.


Ce disque ne s’arrête même pas là. Decomposing Trees. Les bûches se consumant pour oreiller, je suis à la lisière de ce sommeil fou et j’entends les cloches des moutons que je n’ai pas la force de compter. Et mes pensées remontent le conduit alors que retentissent les cuivres. Je me suis approprié cette sublime composition si vite et je ne l’oublierais, j’espère, jamais. Elle m’accompagne vers le vol serein de Leave The Planet et Plastic Bird, où l’on prend conscience de la dimension galactique du truc.


J’ai un peu dérivé, c’est ce qu'On Fire me fait. Tout ça pour dire que si j’avais été moins con, j’aurais demandé au Père Noël tant que je croyais en lui de pouvoir exploiter toute la force de ces soirées, dans les flammes, pour voir ce que je vais contempler pendant sûrement un siècle d’un peu plus haut. J'aurais dû, j'avais rien à perdre, c'est con.

michaudmifroid
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le 14 mai 2017

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