Quand le Shurik'n est lancé

Ce qu'est bon chez IAM, c'est qu'ils marient très bien leurs textes avec leur flow, en particulier sur leur disque de diamant L'École du Micro d'Argent. Alors que l'année suivante, l'album est récompensé aux Victoires de la Musique - qui ne sont plus synonymes de victoires aujourd'hui - Shurik'n sort son premier album solo : Où je vis.

Le Shurik'n est lancé, et tape où ça fait mal. Il abandonne le flow qui créait un rythme fou sur le plupart des morceaux de ses albums de groupe, pour se concentrer sur ses textes, personnels, avec un rythme en adéquation.

Geoffroy Mussard, aux origines malgache et réunionnaise, nous livre un album qui déconcertera beaucoup de non-partisans du rap. Avec Où je vis, il se confesse, il parle de lui, de sa cité, de ses sentiments, de ses problèmes. On peut concevoir que ce n'est pas original, et un peu lourd, mais non pas vraiment. Il ne s'appelle pas Shurik'n parce que les choux ricanent, mais parce qu'il aime la culture japonaise. Et il est bien cultivé Shurik'n-Sama. Il n'est pas là pour simplement kicker au mic' et se faire plaisir, il a vraiment des trucs à dire.

Le MC va nous raconter sa jeunesse dans son premier morceau avec Samuraï, à sa sauce. Il transposera la tension juvénile dans l'ère du Japon féodale, pour un morceau authentique et d'une classe incroyable, comme un bon vieux Kurosawa.

Le rappeur cinéphile va continuer sur sa lancée, laissant petit à petit sa fantaisie, pour laisser le brut prendre les devants. Ça sera redondant, les seize morceaux resteront sur des thèmes assez proches mais qui se différencient quand même, qui disposent d'une qualité textuelle intelligente et d'un rythme à faire bouger les têtes de Louis XVI et de Marie-Antoinette.

Certains n'aiment pas l'ambiance de Où je vis, certains regrettent le fait qu'il ne kick pas de façon cool, en balançant des punchlines. Mais cet album ne se partage pas en voiture ou en chaîne hi-fi, il se savoure seul, oreillettes dans les esgourdes ou casque sur la tête, afin d'avaler ce qu'il a nous dire. Et là c'est seulement, une fois concentré, que tu pourras percevoir la force d'un album qui aura eu du mal à trouver sa place entre NTM, Opéra Puccino, Heptagone, MC Solaar ou encore Quelques gouttes suffisent...

Notre Shurik'n continuera sur sa lancée jusqu'au bout pour finir sa route vers le FN avec le morceau Manifeste, dont le sample est tiré du film Spartacus. Écrite le lendemain des élections municipales de 1998 à Marseille en réponse des 30% de l'extrême-droite obtenus au suffrage. Véritable pièce maîtresse où Shurik'n et son compère Akhenaton livrent chacun un couplet d'anthologie. Le côté anti-FN me gave d'habitude... mais là c'est émouvant et subtile. Sinon le Shurik'n va plus loin que ça pour clôturer son album, il nous quitte en levant son verre à l'homme, pour une piste pessimiste et particulièrement prenante.

La planète Mars' cède en 1998 avec Shu' l'un des albums avec des textes les plus savoureux sans édulcorant ou autre artifice, où on retiendra des morceaux personnels poignants comme La Lettre, Les Miens ou Esprit Anesthésié pour ne citer qu'eux en plus des précédemment cités... en n'oubliant pas les collaborations réussies et les autres morceaux qui valent tous le coup, mis à part peut-être l'Oncle Shu.

Beaucoup disent que le rap c'était mieux avant. C'est vrai qu'on pouvait allumer la radio et trouver des sons magiques, et que ceci est devenu inimaginable aujourd'hui. Mais le rap n'est pas mort, il faut le chercher nous-même. Mais une chose est sûr la radio est morte avec sa musique commerciale. Pour reprendre Shurik'n, je ne crois même plus en la musique populaire, et que la catin d'aujourd'hui puisse redevenir princesse d'autrefois.