Racine carrée
6.3
Racine carrée

Album de Stromae (2013)

"Tu peux mentir à qui tu veux / Tu souris trop pour être heureux..."

Après avoir connu un succès assez phénoménal avec "Cheese", son premier disque, notamment grâce à la ritournelle electro "Alors on danse", le jeune maestro belge revient cette fois avec "Racine Carrée". Autant le dire tout de suite, je ne suis pas du tout sensible habituellement aux tentatives de buzz diverses et variées qui pullulent sur Youtube ou les réseaux sociaux, mais je dois avouer que celle opérée par Stromae pour le clip de "Formidable" ne m’a pas laissé indifférent, par son originalité et son audace. Logiquement (et comme beaucoup de monde), c’est donc ce single pour le moins atypique qui m’a donné envie de me pencher sur le nouvel album, moi qui jusque-là ne voyait en cet artiste qu’un énergumène un peu en marge de la soupe musicale contemporaine, mais pas convaincant pour autant. D’ailleurs, "Alors on danse" me laisse encore assez indifférent à l’heure actuelle.

Avec "Racine Carrée", j’ai l’impression que Stromae a pris de l’ampleur, beaucoup d’ampleur. Je le pensais plutôt lisse, je le découvre cru et ironique dans ses textes, qui, comme ceux de Fuzati du Klub des Loosers, ont une légère tendance à vous prendre à la gorge, parfois rances comme un gaz asphyxiant, parfois lourds comme une boule de plomb malgré leur relative simplicité ; et si vous n’y prenez pas garde, il se peut qu’une énorme envie de chialer tombe soudain sur vos épaules à l’écoute, par exemple, de "Papaoutai" (l’autre grande réussite de cet opus), avec ses paroles cruelles, presque naïves et d’une tristesse absolue. Autre point commun avec Fuzati (après, promis, j’arrête) : Stromae s’interroge fréquemment, à raison, sur les relations familiales et sur la place du père dans la société actuelle. Sans doute est-ce dû au fait qu’il a perdu le sien très tôt, mais le pessimisme de ses réponses fait froid dans le dos, tout simplement parce qu’elles ne manquent pas de pertinence. Le nom de l’album fait très certainement référence à ce thème récurrent du schéma familial traditionnel, ici mis à mal par l’absence de la figure paternelle, qui, plus généralement, entraîne une perte de repères, démultipliée par la profusion de moyens de communication et d’informations souvent contradictoires qui caractérisent le monde hyperconnecté d’aujourd’hui, dont la jeunesse est la victime consentante. Plus de racines donc, on est partout chez soi, on est un peu tout le monde, quitte à ne plus trop savoir qui l’on est vraiment et à s’inventer des identités. Etrangement, ce type qui a souvent fait le buzz se retrouve donc à dénoncer la fausseté et la virtualité des sentiments amoureux ou amicaux sur "Carmen" ("Et c’est comme ça qu’on s’aime, comme ça consomme"). Dans "Bâtard", il va même plus loin, tissant un lien de cause à effet entre le déracinement familial et l’absence de convictions politiques, autre idée récurrente que l’on retrouve également dans "AVF".

On l’aura compris, "Racine Carrée" a beau être un album finalement très personnel de la part de l’artiste belge, il saura aussi faire résonner en tout un chacun ses notes de vérité. On ne peut pas dire que l’optimisme étouffe les textes, loin de là ("Moules frites" dont le personnage principal semble mourir d’une MST, puis quelques minutes après c’est le cancer qui pointe le bout de ses pinces dans "Quand c’est ?")… Alors que reste-t-il pour faire illusion ? La musique, évidemment. Fidèle à son habitude, Stromae mêle chanson pure, rythmes dancefloor largement supportables pour les oreilles (ce qui est de plus en plus rarement le cas) et sonorités ethniques, pour un résultat encore une fois très cosmopolite qui, malgré le pessimisme ambiant du bonhomme, vous donnera la plupart du temps envie de remuer. "Ta fête", "Papaoutai", "Humain à l’eau" et "Sommeil" sont de sacrés exemples de grand écart maîtrisé entre textes cyniques et mélodies dansantes. Alors bébé, oups, pardon, mademoiselle… On danse ou pas ?
Psychedeclic
8
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le 8 sept. 2013

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