Savage Eye
6.9
Savage Eye

Album de The Pretty Things (1975)

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Silk Torpedo a apporté aux Pretty Things quelque chose dont ils avaient perdu l'habitude depuis une bonne décennie : le succès. Succès modeste, certes, mais succès tout de même. De toute façon, quand vous avez signé sur le label du plus grand groupe de rock du monde, un succès même modeste suffit à vous ouvrir pas mal de portes. C'est ainsi que les six Pretties passent la majeure partie de 1975 sur les routes américaines, à vivre la vie de toute bonne star qui se respecte : sexe, drogues et rock and roll. Mais il s'agit de confirmer après ça : un nouveau disque s'impose.


À première vue, Savage Eye ressemble beaucoup à une copie carbone de Silk Torpedo : le même son d'une propreté parfaite, emblématique des radios américaines des années 1970, les mêmes compositions très pop, gorgées d'harmonies vocales, où la voix du nouveau venu Gordon Edwards domine souvent celle du taulier Phil May, la même tendance à vaciller au bord du gouffre de la guimauve sans jamais vraiment y tomber.


Sauf que cette fois-ci, le groupe y tombe tête la première avec My Song, une ballade effroyablement sirupeuse aux paroles tellement gnan-gnan que même un Elton John lobotomisé n'en voudrait pas. Après le furieux orage de guitares de Under the Volcano, c'est une sale surprise de tomber sur cette chose, sans doute l'une des pires chansons à porter le nom des Pretties. Ailleurs, l'album n'échappe pas au remplissage, par exemple avec cet I'm Keeping dont la gouaille sonne curieusement faux, comme s'il n'avait été enregistré que pour citer les copains de label Bad Company, ou ce Theme for Michelle, petit instrumental au piano si léger qu'il s'oublie sitôt écouté.


Mais le reste, le reste est bien digne de figurer au canon des Pretty Things : la déferlante mécanique de Remember That Boy qui piétine tout sur son passage ; l'arrogante nonchalance de It Isn't Rock and Roll, malgré son refrain beaucoup trop FM ; la désarmante sincérité de Sad Eye, ce bijou méconnu ; l'ambiance « fin de soirée » de la bluesy It's Been So Long. Et bien sûr, la pièce maîtresse, l'épique Drowned Man, cet hommage à un roadie mort qui sonne quand même méchamment comme une resucée de Joey, la pièce maîtresse de Silk Torpedo. Le seul point sur lequel le cadet surpasse son aîné, c'est la pochette : le kitsch assumé a laissé place à une brillante simplicité.


Le public américain réserve à Savage Eye un accueil plus tiède qu'à son prédécesseur : les ventes sont suffisantes pour un classement dans les tréfonds du Billboard 200, ni plus, ni moins. Le public se déplace toujours pour les concerts, mais moins qu'avant. Les singles, comme d'habitude, ne se vendent pas. L'ambiance au sein du groupe est épouvantable entre les petits nouveaux aux dents longues et les vénérables anciens dépassés par la situation et usés par des années de galère. Personne n'est vraiment surpris quand Phil May oublie de venir à un concert l'année suivante et claque la porte (ou se fait virer, selon les versions). Personne n'est vraiment attristé quand ce qui reste des Pretty Things se disperse quelques mois plus tard : ils n'étaient plus qu'un anachronisme pataud et boursouflé. Les Seventies sont déjà finies, 1977 est en vue. No future.

Tídwald
8
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le 25 mai 2016

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